” Il est crucial que l’Europe réduise sa consommation d’énergie “
Le député européen Claude Turmes, rapporteur de la directive sur l’efficacité énergétique, appelle le gouvernement français à défendre le texte
Entretien
Claude Turmes, député (Vert) luxembourgeois au Parlement européen, est le rapporteur du projet de directive sur l’efficacité énergétique. Un texte qu’il négocie avec le Conseil européen et la Commission. La discussion est entrée dans une phase décisive, qui devrait se conclure le 15 juin, lors de la réunion des ministres européens de l’énergie.
Quel est l’enjeu de la directive sur les économies d’énergie ?
Il s’agit de finaliser le paquet énergie climat de mars 2007, en rendant contraignant l’objectif de réduction de 20 % en 2020 de la consommation d’énergie en Europe. C’est bon pour le climat, et bon pour l’économie.
Pourquoi ?
Les calculs de l’Agence internationale de l’énergie sont clairs : les mesures permettant de limiter le réchauffement à 2 °C reposent à plus de 50 % sur les économies d’énergie. Le reste concerne les renouvelables et quelques autres technologies. Le gros de l’effort pour le climat signifie des maisons mieux isolées, des voitures plus économes et en moins grand nombre, ainsi que des processus industriels plus efficaces.
Et pour l’économie ?
La faiblesse de l’Europe est en partie due à notre balance commerciale déficitaire : l’Europe importe 450 milliards d’euros par an de pétrole et de gaz, dont 60 milliards pour la France. Gaspiller l’énergie crée le plus grand transfert de richesses de l’humanité, des consommateurs européens vers la Russie, le Qatar ou la Norvège.
Si l’efficacité énergétique est si cruciale, pourquoi est-il aussi difficile de la faire progresser ?
Elle implique un changement structurel beaucoup plus profond que, par exemple, le transfert du nucléaire vers les renouvelables ou le gaz. Dans un monde où l’on devient efficace, le marché de l’énergie se rétrécit, et le modèle économique des revendeurs de gaz et de l’électricité doit changer pour trouver sa rentabilité dans les services de conseil et d’investissement dans la maîtrise de l’énergie. Des tankers comme EDF ou Gaz de France hésitent, parce que le rendement financier de ces mesures par rapport à celui des centrales existantes est incertain.
Comment interprétez-vous cette réalité ?
Selon moi, cela signifie que les responsables politiques privilégient les intérêts des entreprises énergétiques plutot que l’intérêt collectif. Pourtant, les consommateurs ont tout à gagner au niveau de l’emploi – un euro dans la rénovation du bâtiment est plus créateur d’emploi local que tout autre investissement dans l’énergie. Mais la politique est soumise à d’énormes pressions des lobbies. La transition énergétique suppose qu’elle se libère de cette pression.
Où en sont les négociations ?
Nous allons mener deux réunions entre la présidence danoise du Conseil européen et le Parlement, afin d’essayer de clore le dossier pour la réunion des ministres européens de l’énergie, le 15 juin, ou du moins ne leur laisser que quelques points à finaliser.
Lesquels sont essentiels ?
L’article 6 du texte indique une économie de 1,5 % d’énergie finale par an. Mais le Conseil voudrait exclure les transports et une partie de l’industrie, si bien que l’on ferait plutôt 1,1 %. C’est trop peu pour atteindre l’objectif de réduction de 20 % en 2020.
Par ailleurs, l’article 4 prévoit que les bâtiments publics doivent être exemplaires. Le Conseil voudrait se limiter à ceux de l’Etat central, en excluant ceux des collectivités locales. Pour débloquer ce point, nous poussons l’idée d’une feuille de route ” Bâtiment 2050 “, prévoyant les outils pour rénover le parc, la formation des salariés, l’information des citoyens, etc.
Quelle est l’attitude des principaux Etats ?
La Pologne veut une directive ambitieuse, parce qu’elle a compris que les prix élevés de l’énergie menaçaient son économie. L’Allemagne – c’est absurde en pleine décision de sortie du nucléaire – est divisée entre le ministère de l’énergie, très hostile à cette directive, et un ministère de l’environnement qui y est favorable. L’Espagne est très négative, alors que c’est le pays qui dépend le plus du pétrole en Europe. L’Italie est positive, la maîtrise de l’énergie y est un point fort des réformes.
Et la France ?
L’ancien gouvernement ne nous aidait pas [1]. Mon message à la nouvelle ministre : ” Aidez-nous à tirer cette directive vers le haut. “
Propos recueillis par Hervé Kempf
Source : article publié dans Le Monde daté du 6 juin 2012
[1] Pour en savoir plus sur la politique de la France : lire l’article « Quand la France torpille la politique européenne d’efficacité énergétique » téléchargeable ci-après (en pdf) :