Faire revivre les résistances d’hier et les lier avec celles d’aujourd’hui
Par Panos Angelopoulos*
C’est la meilleure manière de préparer les combats à venir.
En Grèce, les luttes et les combats font partie du quotidien.
En termes sociaux, la situation est sans précédent depuis la fin de l’occupation allemande en 1944.
Depuis 2009, le pays a été plongé dans une dépression et récession organisée.
Les politiques d’austérité, censées diminuer la dette et le déficit publics, les ont fait exploser.
La Troïka et les deux derniers gouvernements ont imposé au peuple grec des mesures draconiennes, sinon suicidaires, par le biais de deux Memoranda et de maints plans de sauvetage qui n’ont de sauvetage que le nom.
Résultats ?
– Le pouvoir d’achat enregistre une baisse de 35%.
– Le taux de chômage dépasse actuellement 22%, pour attendre le 50%, voire plus, chez les jeunes et les femmes.
– Le Smic, les salaires, les retraites et les allocations ont subi des coupes drastiques allant de 20% jusqu’à 40%.
– En ce qui concerne les conditions et les droits des travailleurs, nous avons connu l’abolition des conventions collectives, par branche et par métier, et leur remplacement par des contrats individuels, négociés au sein de chaque entreprise.
– Parmi les mesures phares, annoncées avant les dernières élections, figure l’abolition du statut de fonctionnaire et 150 000 licenciements dans la fonction publique d’ici 2015.
– Le démantèlement des services publics s’est accéléré.
Leur sous financement s’est intensifié, notamment dans le secteur de la santé. Les hôpitaux publics se trouvent actuellement privés de matériel de base (seringues, pansements), voire de médicaments.
– En termes de fiscalité, on a connu une forte augmentation d’impôts directs et indirects : le seuil des revenus non imposables est passé de 12 000 à 5 000 euros, et la TVA de 9% à 13% ou de 18% à 23%.
Pourtant, aucun gouvernant n’a pensé toucher le grand capital, les banquiers, les armateurs et le plus grand propriétaire foncier dans le pays, l’Eglise.
Quels sont les effets sociaux de toutes ces mesures antisociales ?
– Désintégration de toute forme de solidarité institutionnelle avec des graves atteintes aux liens sociaux et au tissu social.
– 30% de la population en dessous du seuil de pauvreté.
– Des phénomènes de malnutrition, avec des enfants qui s’évanouissent à l’école.
– Les suicides enregistrent une augmentation de 30%.
– Les SDF se multiplient par plusieurs dizaines de milliers.
– Des maladies disparues pendant longtemps refont surface.
Il est question d’un début de crise sanitaire, d’une crise humanitaire.
Mais avant tout et à l’origine de tout ça, il est question d’une attaque de classe menée sur tous les fronts.
Une attaque qui a eu recours à plusieurs mécanismes de « persuasion ».
– L’application d’une politique de choc et d’effroi, de par sa rapidité et sa brutalité.
– La culpabilisation, faisant appel à la responsabilité collective.
– La mise en concurrence de tous contre tous (grecs-immigrés, salariés public-privé…)
– Les chantages permanents. Le vrai faux dilemme de deux dernières années, réitéré tous les deux mois suivant les échéances d’attribution des tranches d’aide financière ou des contrôles faits par la Troïka, a été : soit suspension de paiement des salaires et des retraites, donc faillite et chaos, soit application stricte des mesures de rigueur.
– Le terrorisme et le martelage médiatiques, stigmatisant et diabolisant toute opposition.
– Last but not least, la répression policière, la répression d’Etat, recourant à des pratiques d’antan et d’ailleurs. Des reporters et des journalistes spécialisés en zones de guerre comparent la violence d’Etat en plein centre d’Athènes avec celle rencontrée à Kaboul ou à Bagdad.
A court terme, tout ce dispositif a eu ses effets.
Le peuple grec a passé une première période de peur paralysante, d’inertie, de repli sur soi, donc de repli identitaire favorisant la suspicion de tous contre tous, voire le nationalisme, le racisme, la xénophobie.
Mais cela n’a été que de courte durée. Des résistances tenaces ont vu rapidement le jour. Elles ont pris à la fois la forme de protestations « traditionnelles » de masses : grèves, manifestations, rassemblements, mais aussi, et surtout, des formes nouvelles et radicales, spontanées, décentralisées, allant parfois jusqu’à l’autogestion.
Leur dénominateur commun est qu’elles viennent d’en bas, qu’elles s’organisent au niveau de quartier et de lieux de travail, souvent en rupture avec les formes traditionnelles de lutte.
Elle donnent naissance à des structures de solidarité et d’entraide à l’égard des plus démunis, notamment en termes de nourriture, avec des repas populaires, et des soins médicaux, avec des dispensaires autogérés.
Parmi les mouvements les plus emblématiques a été celui de « On ne paie rien, on ne vend rien, on ne doit rien ! ».
Ce mouvement a traduit une réalité tout en exprimant haut et fort une revendication : « On ne va pas payer leur crise. On n’en est pas les responsables. On est saigné à blanc et on dit ya basta ! »
Il y a un an, il y a eu aussi le grand mouvement des Indignés qui a ramené à l’ordre du jour la question cruciale, celle de la démocratie réelle, de la démocratie qui émane de la consultation populaire, respecte les volontés du peuple et garantit son droit de se gouverner.
Car cette démocratie a été bafouée au nom de la finance et des intérêts des spéculateurs, des banquiers et des créanciers.
Pendant deux ans, on est témoin d’un déni de démocratie, d’une démocratie de façade qui s’incline devant les diktats d’une finance impersonnelle et déshumanisante.
Pendant deux ans, on est témoin de l’instauration d’un état d’exception qui ne dit pas son nom, mais qui se cache bien derrière des euphémismes tels que l’ « assainissement » de l’économie.
Pourtant comment « assainir les finances » si on met un pays à genoux, en récession, ce qui, évidemment, ne peut que réduire les recettes et déséquilibrer le budget ?
A quoi donc ont servi les « généreux » prêts de l’Europe et du FMI ?
A payer … la dette et rien que la dette envers les banques, tout en s’endettant à nouveau.
Les « experts » de la Troïka ont le capitalisme comme religion.
Une religion dont les divinités, les marchés financiers aux décrets imprévisibles, arbitraires et irrationnels, exigent des sacrifices humains.
Mais c’est ainsi aussi que les fameux plans de sauvetage se sont vus délégitimés de par leurs propres conséquences néfastes.
Actuellement, même leurs promoteurs les plus fervents avouent l’échec.
Pourtant, si selon l’expression de Financial Times, la Grèce a été la première colonie de la zone euro, si la Grèce a été un laboratoire et le peuple grec un cobaye soumis aux plans d’austérité, les conclusions de cette « opération » ne sont pas réservées à lui seul.
D’où l’importance des combats qui s’y mènent.
Il n’est pas improbable qu’en Grèce se joue l’avenir de l’Europe.
C’est cela le sens autant des résistances de deux dernières années que des résultats sortis des urnes autant le 6 mai que le 17 juin prochain.
Parce que, par-delà les frontières, il y a deux Europe diamétralement opposées qui s’affrontent. D’une part celle de la finance, qui impose une politique conduisant à la destruction de la société et favorisant les replis identitaires.
D’autre part, celle qui affirme le droit à la dignité, à une vie pleine et entière, tout en défendant les acquis démocratiques et sociaux, tout en se battant pour la justice sociale, contre toute oppression, pour la solidarité entre les peules.
L’enjeu est de taille.
Et le combat passe par des résistances au niveau européen.
Le combat passe aussi par des hauts lieux de résistance comme ce Plateau des Glières et appelle à la solidarité entre les peuples.
* Panos Angelopoulos est membre du Comité grec contre la dette.
Discours prononcé le dimanche 27 mai 2012 lors du meeting final (auquel ont assisté 3500 participants) du Festival des Résistances sur le lieu hautement symbolique du Plateau des Glières (Haute Savoie – France) haut lieu de la résistance armée au nazisme et du Conseil national de la Résistance dont ce qui reste du programme constitue une cible à abattre pour le patronat français et la droite en général. Les autres intervenants étaient : Henri BOUVIER, Olivier VALLADE, Didier MAGNIN (qui ont rendu hommage à Raymond AUBRAC décédé en avril 2012), Serge WOURGAFT (Responsable de la FNDIRP), Isabelle DE LÉON (Agent de pôle-emploi, désobéisseuse et gréviste de la faim), Xavier MATHIEU ( Réfractaire à la loi sur la collecte des empreintes ADN pour des faits syndicaux), Marc VUILLEMOT (Animateur du combat citoyen pour la défense de la maternité de La Seyne sur mer), Catherine TOURIER (Militante RESF), Mihály CSAKO (sociologue hongrois, militant contre la montée de l’extrême droite), Charles PALANT (Résistant, Déporté, Fondateur du Mrap), Walter BASSAN, Gérard DECORPS (CRHA, « Quelles valeurs pour la république ?)
Source : publié le 4 juin par le CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde) ; http://www.cadtm.org/Faire-revivre-les-resistances-d
EN SAVOIR PLUS :
• sur le Rassemblement 2012 organisé par l’association « Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui » (CRHA) à Thorens- Glières :
http://www.citoyens-resistants.fr/spip.php?rubrique1
• Retrouver toutes les interventions (textes et vidéos) des prises de parole (« Les paroles de résistance 2012 ») du 27 mai 2012 à : http://www.citoyens-resistants.fr/spip.php?article247