Par Louise Arbour*
L’OTAN vient de signer un contrat d’une valeur de 1,7 milliard de dollars (1,35 milliard d’euros) pour l’acquisition de cinq drones. Les Etats-Unis envisagent de doubler les dĂ©penses consacrĂ©es Ă l’acquisition de drones sur les dix prochaines annĂ©es, les Ă©levant Ă 11 milliards de dollars. Les forces alliĂ©es sont aujourd’hui dĂ©terminĂ©es Ă dĂ©velopper des technologies similaires afin de rentabiliser leur budget de dĂ©fense, mis Ă mal par la crise. Toutefois, l’utilisation de ces appareils pour des attaques pose un vĂ©ritable problème en droit international, qui, s’il n’est pas pris en compte, ne fera qu’empirer.
Ces avions sans pilote, initialement créés pour des missions de reconnaissance, sont de plus en plus utilisĂ©s dans le cadre d’attaques aĂ©riennes ciblĂ©es. Les drones sont un atout opĂ©rationnel Ă©vident. Peu coĂ»teux, ils ne perdent rien en efficacitĂ©. Ils sont rapides, peuvent couvrir de longs trajets et permettent de surveiller la situation au sol dans des zones difficilement accessibles Ă une altitude de 18 000 mètres.
Selon des militaires, les camĂ©ras fixĂ©es Ă ces avions offrent une image claire et permettent ainsi d’Ă©valuer la prĂ©sence de civils Ă proximitĂ© des cibles. Leur pilotage Ă distance Ă©vite Ă©videmment de mettre les soldats en danger.
Les missions de drones s’attirent cependant les foudres de pays comme le Pakistan, la Somalie et le YĂ©men, oĂą ni l’OTAN ni les Etats-Unis ne sont en guerre – Ă moins que la  » guerre contre le terrorisme  » n’ait transformĂ© le monde entier en champ de bataille. Ce  » permis de tuer « , selon l’expression d’un des rapporteurs des Nations unies, constitue une vĂ©ritable menace pour les populations civiles et est interprĂ©tĂ© avec laxisme au regard des principes de droit existants.
Sans règles claires pour rĂ©gir l’utilisation de drones, les risques de dĂ©rives augmentent. La guerre contre le terrorisme a dĂ©jĂ servi d’alibi aux Etats qui souhaitaient revoir les principes de protection des populations civiles inscrits dans les conventions de Genève. Certains d’entre eux ont Ă©largi la dĂ©finition des notions de  » combattant  » – par opposition Ă civil – et de  » dommages collatĂ©raux « , s’octroyant ainsi une plus grande marge de manoeuvre. Ces attaques ne doivent pas devenir la norme, d’autant plus que les règles Ă©tablies par les alliĂ©s serviront inĂ©vitablement d’exemple pour tous.
Les Etats-Unis ont dĂ©fendu la lĂ©gitimitĂ© de leurs missions en s’appuyant sur le principe d’utilisation de la force contre des ennemis en terrain Ă©tranger, si le pays  » consent Ă , est incapable ou refuse  » d’agir. Le Pakistan, bien que sa position ait Ă©tĂ© ambiguĂ« par le passĂ©, a rĂ©cemment et publiquement affirmĂ© que les attaques de drones sont illĂ©gales et violent sa souverainetĂ© et son intĂ©gritĂ© territoriale. Cette dĂ©claration n’est pourtant pas parvenue Ă modifier la position de l’administration Obama.
A mesure que le nombre de drones augmente – les Etats-Unis en ont quatre fois plus qu’en 2001 -, la transparence de leurs missions et la responsabilitĂ© de leurs chefs dĂ©clinent. Ils Ă©taient auparavant utilisĂ©s pour des attaques très ciblĂ©es contre les principaux dirigeants d’Al-Qaida.
La liste des cibles de ces assassinats extrajudiciaires s’est allongĂ©e, jusqu’Ă inclure, par exemple, des trafiquants de drogue en Afghanistan et des militants somaliens. Qui plus est, ces opĂ©rations sont conduites dans des lieux isolĂ©s, avec une telle opacitĂ© qu’il est impossible de dĂ©terminer qui a Ă©tĂ© tuĂ© ou blessĂ© ou de contrĂ´ler leur conformitĂ© au droit de la guerre. Selon certaines estimations, pour quatre ou cinq combattants tuĂ©s, un civil trouverait la mort.
Alors que de nombreuses armĂ©es prĂ©tendent se prĂ©occuper de leurs obligations lĂ©gales, elles refusent de plus en plus de rendre des comptes, peut-ĂŞtre parce qu’elles ont l’impression d’ĂŞtre plus vulnĂ©rables aux poursuites judiciaires. Si l’OTAN est satisfaite de la campagne menĂ©e en Libye, aucune Ă©valuation prĂ©cise du nombre de civils tuĂ©s, notamment par des attaques de drones, n’a Ă©tĂ© rendue publique.
Ces attaques sont dĂ©clarĂ©es objectives et prĂ©cises, mais il est impossible de corroborer ces dires. Le principe de proportionnalitĂ© entre le but de l’opĂ©ration militaire et les dommages collatĂ©raux n’est ainsi pas toujours respectĂ©.
A Chicago, les 20 et 21 mai, les alliĂ©s de l’OTAN ont annoncĂ© l’Ă©largissement de leur programme d’utilisation de drones, alors mĂŞme que ces armes ignorent largement les principes juridiques, politiques, lĂ©gaux et moraux qui encadrent les conflits armĂ©s.
Il est impĂ©ratif d’imposer des conditions Ă l’utilisation de ces drones, par l’Ă©tablissement de critères stricts de sĂ©lection des cibles et la garantie d’une conformitĂ© au droit international. Un cercle vicieux pourrait se mettre en place dans lequel l’utilisation de ces armes, sans règles pour rĂ©gir leur fonctionnement, favoriserait le recours Ă la force plutĂ´t qu’Ă la diplomatie.
Louise Arbour
*Louise Arbour, PrĂ©sidente d’International Crisis Group, est une ancienne Haut-Comissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme .
Source : article publié dans Le Monde daté du 6 juillet 2012.