Au Pérou, l’Eglise tente de ramener le calme dans la région andine
Lima Correspondance
La radicalisation de l’opposition à un projet minier a rendu nécessaire une médiation
Munis d’un pli contenant onze pages de doléances, l’évêque Miguel Cabrejos et le Père Gaston Garatea se sont réunis, mardi 10 juillet, avec le président Ollanta Humala. Pour faire part au chef de l’Etat péruvien de la réunion tenue la veille avec de nombreux dirigeants de Cajamarca, une région du nord du Pérou au coeur d’un violent conflit minier.
Les deux religieux, très respectés, tentent de renouer le dialogue interrompu entre le gouvernement et les opposants au projet Conga, une immense mine d’or et de cuivre qui, selon eux, réduira les ressources hydriques de la région. « C’est un processus qui va prendre du temps », a souligné Mgr Cabrejos, ancien président de la conférence épiscopale, satisfait des premières rencontres.
« Cette réunion a servi à ce que nous soyons vraiment écoutés, une chose que l’on demandait à Ollanta Humala et qui ne s’est jamais produite jusque-là », a remercié Milton Sanchez, le président de la Plateforme interinstitutionnelle de Celendin, mouvement citoyen fermement opposé à Conga. « Le gouvernement va nommer des représentants pour enrichir le groupe de travail qui a commencé », a aussi salué Mgr Cabrejos, qui espère ainsi que la paix revienne dans la région andine.
Huit mois après le début de la mobilisation contre Conga, un projet qui divise les Péruviens, Cajamarca est le théâtre d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. Début juillet, cinq personnes ont été tuées par balles. Trois provinces ont été placées en état d’urgence. L’arrestation brutale d’un des principaux dirigeants du mouvement, l’ancien prêtre et écologiste Marco Arana, n’a fait qu’attiser les tensions.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Humala, un officier du cadre de réserve élu sur un programme nationaliste de gauche, en juillet 2011, seize personnes ont trouvé la mort lors d’affrontements entre les forces de sécurité et des protestataires. « Le président Humala est en train de faire une énorme erreur en pensant que la répression, la militarisation et la guerre de position représentent une stratégie adéquate pour affronter les conflits sociaux dans notre pays », estime Rocio Silva Santisteban, à la Coordination nationale des droits de l’homme.
A Cajamarca, les deux camps se sont radicalisés. Les dirigeants du mouvement anti-Conga, en grève depuis plus d’un mois, sont décidés à ne pas accepter le projet minier, bien que ses initiateurs se soient engagés à construire de grands réservoirs quadruplant l’offre initiale d’eau, comme l’exigeait le gouvernement. En face, l’entreprise Yanacocha, qui gère l’exploitation de Conga, a indiqué qu’elle ne stopperait pas le chantier ni la construction de réservoirs, qui représentent pour la compagnie un investissement supplémentaire de 102 millions de dollars.
Dépassé par une situation qui apparaît sans issue et qui a déjà provoqué la chute de son premier gouvernement en décembre 2011, le président Humala a proposé, vendredi, que Mgr Miguel Cabrejos « puisse participer à un espace de dialogue à Cajamarca ». Les dirigeants du mouvement social ont accepté la médiation. Une avancée saluée par l’opinion, qui se demande comment se terminera le conflit et ce qu’il adviendra de ce projet minier longtemps promu comme le plus grand investissement minier de l’histoire du Pérou (4,8 milliards de dollars sur 19 ans).
« Cette décision de nommer un médiateur montre un changement salutaire d’attitude du président, qui s’ouvr: e au dialogue. Mais c’est aussi une preuve de faiblesse du gouvernement, qui est perçu comme un allié de l’entreprise », souligne l’analyste politique Santiago Pedraglio.
Cette perception n’est pas nouvelle au Pérou, ajoute M. Pedraglio. Et de rappeler que des représentants de l’Eglise ont souvent dû intervenir lors de crises similaires. « Il est incroyable qu’un Etat laïc comme le Pérou doive recourir à l’Eglise », juge Rocio Silva, qui reconnaît néanmoins que la médiation des deux religieux est aujourd’hui « la seule lumière au fond du tunnel pour rétablir un lien de communication minimum entre les deux parties ».
Chrystelle Barbier
Source : article publié dans Le Monde daté du 12 juillet 2012
• EN SAVOIR PLUS sur le projet minier (cuivre et or) « Conga », et son contexte politique, économique et social : « Xstrata-Glencore : une fusion qui vaut «l’or du Pérou» et la discrétion suisse », texte téléchargeable (en pdf) ci-après : Xstrata-Glencore-SuisseJuin2012
• AGIR en France, en soutenant le Comité de solidarité avec Cajamarca : http://solidaritecajamarca.blogspot.fr/