Une bonne trentaine de délégués de 11 pays se sont retrouvés pour la Conférence annuelle du réseau à Freising – cette belle petite ville de Bavière qui fut le lieu des études et de l’ordination de Joseph Ratzinger ! – à l’invitation du groupe allemand Wir sind Kirche. Nos trois délégués belges y ont travaillé dur, car seuls l’anglais et l’allemand étaient prévus dans les discussions… Mais avec un peu de bonne volonté de toutes parts… ! (Pierre Collet)
L’Union Européenne reconnaît l’apport des différentes religions, et organise un dialogue régulier avec elles. À la Conférence de notre Réseau Européen près de Munich en ce début mai, j’en ai appris un peu plus.
D’abord, cette reconnaissance aurait été voulue par l’Allemagne, qui entendait ainsi sauvegarder son système d’impôt dédicacé au culte catholique ou protestant (mais pas pour le culte musulman) suivant la déclaration d’appartenance religieuse que fait le contribuable. Quant au dialogue, l’existence du Réseau permet qu’il ne se fasse pas uniquement avec les instances officielles : grâce au travail obstiné de quelques représentants sur tous les fronts possibles (compliqués, comme peuvent l’être les institutions de l’Union mais il œuvre aussi au Conseil de l’Europe), les responsables européens savent aujourd’hui que l’Église catholique ne se résume pas au nonce et à la hiérarchie, et qu’il existe un courant de catholiques progressistes soucieux des droits humains et de la dimension interconvictionnelle ; et les partenaires athées du dialogue ont appris que le monde catholique n’est pas un monobloc traditionaliste.[1]
Avec des représentants de onze pays européens ayant chacun son histoire et sa sensibilité, les discussions ont été passionnées sur la notion de laïcité, amenée par les Français qui en rappellent les exigences:
– neutralité du gouvernement, sans religion ni philosophie dominante; liberté de religion (y compris liberté d’exprimer sa foi et de changer de confession) – pour autant qu’elle reste compatible avec les droits humains ;
– non-discrimination du fait des convictions (assurer les mêmes droits ET les mêmes devoirs) ;
– séparation de la religion et de l’État.
L’appellation du réseau de communication et d’action gravitant autour du Parlement européen, la Plate-forme pour la Laïcité en Politique et sa mailinglist l’Alliance pour une Europe Laïque, qui lui sert de « vigie », n’est pas sans soulever beaucoup de questions, voire d’objections : en Belgique et en Angleterre, « laïque » ou « secular » désignent l’athée militant ; en Autriche, la sécularisation est vue comme quasi apocalyptique et l’affiliation à un réseau qui porte ce nom risque de discréditer complètement le mouvement Nous sommes Église d’Autriche; d’autres participants, comme les Hollandais, doutent de la possibilité de séparer vraiment Église et État (tant de pays ont encore une monarchie qui dirige l’Église nationale ; en Autriche, l’Église catholique est très présente sur le terrain social et séparer l’Église de l’État est une revendication néo-nazie !).
On souligne cependant que les préventions actuelles à l’encontre de la laïcité étaient les mêmes il y a un siècle à l’encontre du modernisme, dont l’Église catholique a fini par reconnaître les apports, jusqu’à un certain point en tout cas ; le projet d’instauration de l’équivalent du PACS en Italie a vu le pape apporter un soutien public à un politicien aussi peu recommandable que Berlusconi ; en Allemagne, l’Église catholique est un gros employeur, particulièrement dans le secteur social, mais il ne s’agit pas d’y faire grève, d’épouser un divorcé ou d’afficher son homosexualité, au risque de perdre son emploi ! Tout ceci pour convaincre les indécis qu’il est important que le christianisme renonce à sa situation dominante, que c’est important pour ses membres, pour la société et pour le témoignage qu’il donne de l’Évangile. Cette ‘laïcité’ serait également la meilleure garantie pour que les différentes convictions vivent harmonieusement ensemble.
On reconnaît donc de manière assez générale que l’affiliation à cette Alliance est importante pour le travail au niveau des institutions européennes, mais qu’elle devrait être accompagnée d’une clarification de la terminologie et d’un travail d’élaboration d’une sorte de définition interne, pour éviter d’inutiles controverses dans les différents pays concernés ; car de l’avis de beaucoup il ne s’agit peut-être pas tant de “séparer” la religion de la politique que d’encadrer leurs échanges mutuels. Il a fallu voter de manière très formelle : 17 pour l’affiliation, 5 contre, 1 abstention.
La Conférence a tenu également un atelier sur les droits humains dans l’Église car, sans les respecter, celle-ci ne sera jamais légitime à vouloir critiquer la société. L’atelier a été le lieu de l’habituelle tension : essaie-t-on de changer l’Église institutionnelle (combat dans lequel les Autrichiens par exemple semblent infatigables), ou transgresse-t-on simplement les règles injustes ou inhumaines qui nous empêchent de vivre notre foi et de la célébrer ?
Les violations des droits humains que commet l’Église tiennent à sa volonté de contrôle des gens, à sa volonté de pouvoir en fait. En avançant sur le chemin de la sécularisation, on détachera naturellement l’Église de ces travers. De petites communautés permettent de mettre en œuvre l’égalité, la non discrimination, la libre expression, etc. Mais faire entendre une autre voix est important aussi, pour témoigner de notre foi, particulièrement à l’égard de tous ceux qui voient l’Église catholique comme un bloc (exactement comme nous avons tendance à voir l’Islam comme un bloc …). Et défendre les personnes qui souffrent de l’intransigeance des principes de l’institution catholique est également de notre devoir (ainsi les personnes employées de près ou de loin par l’Église).
Comment faire fonctionner un réseau international ? Secrétariat, site Internet, trésorier, équipe de coordination (regroupant si possible une personne de chaque pays : merci à Pierre Collet !) : une séance plus organisationnelle est également au programme. Ensuite, des échos sont donnés :
– du Forum Social Mondial (prochain rendez-vous en Tunisie) et de son corollaire, le Forum Mondial Théologie et Libération, pour lesquels les délégués italiens sont bien motivés ;
– d’un grave problème actuel de justice sociale en Afrique notamment : l’achat par des compagnies internationales des meilleures terres cultivables ;
– de la décision hongroise de supprimer la possibilité du service civil (mais pas le service militaire !) : il y a plusieurs années que nous n’avions plus rencontré de délégué de ce pays et du groupe Bokor ;
– du Concile catholique américain, qui a rassemblé à Detroit de nombreux participants, dont plusieurs membres du Réseau, qui ont apprécié les échanges, l’ambiance positive et les interventions vigoureuses, notamment de Joan Chittister dont la congrégation est actuellement mise sous pression par le Vatican. J’entends aussi que la politique de Barak Obama en matière de soins de santé n’a pas fait l’unanimité au sein de l’Église catholique. Ceci étant sans doute lié à cela…
Sur le front de Nous sommes Église, l’actualité est à :
– cet appel à la désobéissance osé par les prêtres autrichiens qui refusent d’exclure de la communion les personnes divorcées ou les pratiquants trop occasionnels, et de n’être que des distributeurs de sacrements ;
– le soutien aux religieuses américaines injustement mises sous tutelle par le Vatican ainsi qu’aux théologiens irlandais et espagnols récemment réduits au silence ;
– la préparation du 50e anniversaire du Concile Vatican II, dont on tient à rappeler les principales options : l’Église est une communauté, les droits (y compris sexuels) doivent être respectés, les différences entre catholiques et protestants doivent s’estomper ; un site web www.council50.org sert de caisse de résonance à toutes les initiatives qui seront prises dès la conférence de presse à Rome le 9 octobre 2012 ;
– l’émergence de nouveaux appels à réforme, venant cette fois de milieux moins ‘contestataires’ que Nous sommes Église, qui donc ne s’inscrivent pas forcément dans le mouvement international IMWAC, mais l’essentiel est de porter des revendications convergentes.
Enfin, un temps fort de la Conférence a été la visite du mémorial du camp de concentration de Dachau. Même s’il n’y avait à convaincre personne de l’horreur subie et de la nécessité de la mémoire, l’émotion était bien au rendez-vous.
Sylvie KEMPGENS
(extrait du bulletin « PAVÉS » n° 31 de mars 2012)
[1] Pour une réflexion de fond sur cette question, lire sur www.fhedles.fr l’intervention de Bernard QUELQUEJEU au G3i en janvier dernier intitulée Les convictions partagées dans l’espace politique.
Quelques photos de participants