” La voie la plus sage est de mettre fin à l’euro de façon bien planifiée “
Luiz Carlos Bresser-Pereira, ancien ministre des finances du Brésil, suggère de revenir aux monnaies nationales pour mieux reconstruire ensuite à long terme la monnaie unique
Pour sortir la zone euro de la crise, une solution s’impose : mettre fin de façon ordonnée à la monnaie unique. Telle est la vision défendue par le Brésilien Luiz Carlos Bresser-Pereira, professeur émérite d’économie à la Fondation Getulio Vargas, à São Paulo, et plusieurs fois ministre dans les années 1980 et 1990. Il était notamment ministre des finances en 1987, lorsque le Brésil restructura sa dette publique.
Entretien
Propos recueilllis par Clément Lacombe et Stéphane Mauer
Quelles sont, selon vous, les racines de la crise secouant la zone euro ?
C’est essentiellement une crise de la balance des paiements. Une erreur majeure a été faite lors de la création de l’euro : celle de contrôler uniquement les déficits des comptes publics et absolument pas les comptes courants, en s’appuyant sur la doctrine libérale voulant que le secteur privé soit toujours équilibré par le marché.
Cela a abouti à une crise de taux de change interne à la zone euro, avec un euro surévalué pour les pays aujourd’hui en difficulté. Un mouvement amplifié par les réformes prises par Gerhard Schröder pour améliorer la compétitivité de l’Allemagne et l’euphorie qui avait gagné des pays comme l’Espagne, où l’endettement privé a explosé.
Résultat, l’euro est devenu une monnaie étrangère pour un grand nombre de nations de l’Union monétaire. Il n’y a rien de pire pour un pays que d’être endetté dans une monnaie étrangère. Dans le cas inverse, votre souveraineté peut être préservée, principalement en dévaluant votre monnaie. Mais ce n’est pas possible aujourd’hui.
Que pensez-vous des débats mis en place par les Européens pour essayer d’enrayer la crise ?
La controverse austérité contre croissance fait fausse route : la croissance ne résoudrait pas les problèmes de taux de change affectant certains pays. Quant à l’austérité, c’est une façon très inefficace et injuste de résoudre la crise, suffisante pour la France, par exemple, mais pas pour l’Espagne…
Il y a certes eu deux mesures courageuses. D’abord, les nombreuses liquidités déversées par la Banque centrale européenne (BCE), un outil longtemps tabou : cela a résolu les problèmes des banques, même si cela n’a pas sauvé les Etats. Ensuite, les plans actuels pour renforcer l’union budgétaire et créer une union bancaire.
Cette piste fédérale mérite d’être tentée, même si je pense que la voie la plus sage est de mettre fin à l’euro d’une façon coordonnée et bien planifiée.
Il faut donc revenir aux monnaies nationales ?
La construction européenne est un très beau projet, vous avez les systèmes politiques et sociaux les plus avancés au monde, mais l’euro était trop ambitieux. Une monnaie commune ne peut exister que dans un Etat fédéral où les Etats fédérés n’ont plus guère d’autonomie fiscale, où la dette est contrôlée par l’Etat fédéral. Or, arriver à créer un réel Etat fédéral prendra beaucoup de temps, le voir émerger à court terme est quasi impossible : il n’y a qu’à regarder la taille du budget européen, qui ne représente qu’environ 1 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne.
Si vous persistez à maintenir en vie l’euro, la probabilité de le voir s’effondrer de façon incontrôlée grossit de jour en jour. Ce qui ferait tomber ensuite toute la construction européenne.
Il faudrait un plan de sortie extrêmement balisé : chacun des dix-sept pays reviendrait le même jour à sa propre monnaie ; immédiatement, les Etats les plus endettés procéderaient à une dévaluation pour regagner de la compétitivité, avant de revenir à une bande de fluctuation des changes comme avant la création de l’euro ; parallèlement, une union bancaire limiterait l’impact sur le plan financier, afin de couper le lien entre les Etats et les banques installées sur leur territoire.
Mais les risques sont énormes, vu l’interaction financière et économique entre les pays de la zone euro. Et cela risque de tuer l’Union européenne…
L’union bancaire limiterait justement les risques financiers et amortirait le choc. En finir avec l’euro est une solution loin d’être largement partagée, mais il faut garder en tête qu’une grande partie des économistes sont employés par le secteur financier et dominent les débats. Or le secteur financier est par essence très conservateur…
De plus, croire que l’extinction de l’euro marquerait la fin de l’Union européenne est absurde. Elle marchait très bien avant la naissance de la monnaie unique.
Une devise commune doit rester le but de la construction européenne une fois la fin de l’euro actée, mais seulement le but ultime. Et tant pis si cela prend dix ou vingt ans pour la recréer.
Propos recueillis par
Clément Lacombe et Stéphane Lauer
Source : article publié dans Le Monde daté du 7 août 2012
Pour aller plus loin : lire l’analyse de Jacques Sapir, du 5 août 2012 : « Même des politiques « non conventionnelles » de la BCE ne sauveraient ni l’euro ni l’Europe » ; document téléchargeable (en pdf) ci-après : J.SapirEuro-UE-05.08.12