C’est le thème du dossier du numéro 55 de la revue “Réseaux des Parvis” actuellement sous presse.
Il s’inscrit dans l’exigence de penser, dire, vivre et transmettre la foi dans le contexte contemporain. Comme nous le rappelle le théologien Joseph Moingt : « La foi ne peut se vivre sans se dire ; et elle ne peut se dire en répétant les anciens discours (…) elle doit se retirer d’un langage vieilli et devenu inadéquat pour faire face à de nouvelles interrogations et préoccupations sans du tout se retirer de la tradition vivante qui l’a portée jusqu’à nous.
La foi cesserait vite d’être croyable aux croyants eux-mêmes, pour peu qu’ils y réfléchissent, du jour où elle ne leur paraîtrait plus pensable, et elle cesserait d’être pensable par eux sitôt qu’elle ne pourrait plus se dire entre tous ceux qui partagent, à défaut des mêmes croyances, la même culture et rationalité, un même langage de communication. Un signal de la non communicabilité de la foi est déjà donné, quand les chrétiens se sentent incapables de la soumettre, rien qu’entre eux, aux interrogations de notre temps et ne savent plus que la chanter ou la crier… » (« Dieu qui vient à l’homme », p.1155-1156).
Voici une courte présentation des articles proposés.
– Et Dieu s’est fait homme (Jean-Marie Kohler)
L’être humain est voué à croire : l’enfant doit se fier à son entourage pour grandir, l’adulte ne peut assumer son quotidien et nourrir ses espérances qu’en se fiant à ses semblables. Refuser la confiance originelle tissée d’héritage, de soin réciproque et de projets condamne à la mort et au néant. Mais il ne s’agit pas de croire n’importe quoi. Pour s’incarner avec bonheur dans le vécu des hommes, la foi doit être pensable à partir de ce vécu de manière à pouvoir être partagée et transmise. Elle appelle l’intelligence, et leur union porte les paroles reçues vers un avenir inédit. Ainsi l’homme peut-il progresser de croyance en croyance et de savoir en savoir, précieuses étapes à franchir sans s’y attarder. C’est seulement en avançant de la sorte, dans le mouvement et non dans le confort des arrêts qui engluent, que se révèlent « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6), la voie de la liberté et de l’accomplissement.
L’incroyable incarnation de Dieu dans l’humanité est-elle fantasme ou réalité, duperie ou vérité ? L’esprit critique a bien entendu un rôle décisif à jouer pour explorer cette question. Mais le « vrai ou faux » de l’alternative rationaliste ne permet pas de sonder le fond des choses et de trancher là où la vie de l’homme et le sens du monde sont en jeu. La rationalité ne donne accès qu’au seuil de l’univers que révèlent les poètes, les artistes et les mystiques, témoins de l’incommensurable réalité. La raison a besoin d’être éclairée par l’intelligence du cœur qui, riche du patrimoine affectif et symbolique des générations passées, réinterprète sans cesse la parole fondatrice pour l’enrichir au fil de la vie. La question de l’incarnation de Dieu ne se résout ni dans un déni ni dans tel ou tel énoncé dogmatique qui restreint et réifie, elle nous façonne au plus profond de nous-mêmes en nous ouvrant à l’infini qui est notre vocation.
– « Sciences sacrées » – Le conflit toujours ouvert de la foi biblique avec la science grecque (Jean-Bernard Jolly)
Autour de 600 av. J.C. sont apparus dans le monde méditerranéen deux faits de grande portée historique, que l’on peut désigner en bref comme la science et la foi. Ils affectent l’intimité des individus aussi bien que les expressions de la culture. Leurs rapports sont complexes et souvent la foi a tenté de réduire la science, comme la science de nier la foi. L’une pourtant ne va pas sans l’autre, au long de toute l’histoire occidentale.
L’article dresse un panorama des étapes de leurs relations difficiles : conversion de Constantin, influence d’Augustin, ruptures successives de la Renaissance puis de la Réforme, crise moderniste, retournements apportés par Pie XII, puis par Vatican II…
Aujourd’hui sont revenus les temps de la crispation et du soupçon, en une fracture comparable à celle du concile, mais en sens inverse. Apparaît alors ici un champ crucial de recherche, indissociable d’un engagement militant : qu’est-ce qui promeut de manière insidieuse le fondamentalisme religieux dans nos sociétés chrétiennes, et aussi bien dans les monothéismes juif et musulman, en s’appuyant simultanément sur des politiques fascisantes ? Les responsables religieux ont évidemment leur part dans ces évolutions inquiétantes. Mais l’impression est forte que le phénomène, comme beaucoup d’autres, leur échappe largement. Aux chercheurs en sciences religieuses et sociales, mais surtout aux croyants et aux citoyens en tant que militants de ne pas se dérober.
– Penser le monde, penser la foi (Lucienne Gouguenheim)
La grande aventure intellectuelle de la fin du 20ème siècle aura été une nouvelle perception de la complexité et de la façon de l’appréhender. Complexité du cosmos, des organismes vivants, des sociétés humaines…
L’étude de l’évolution des astres qui le peuplent et de l’Univers lui-même met en évidence l’universalité et la prégnance de ce phénomène, qui disqualifie toute vision fixiste et donne aussi accès à la façon de penser la complexité. L’Univers existe en lui-même, avec des propriétés qui lui sont propres, tout en étant constitué d’éléments ayant chacun leurs propriétés spécifiques et qui interagissent entre eux : il constitue un système. Il est nécessaire de connaître l’ensemble des éléments qui le constituent pour comprendre son fonctionnement et celui de ses constituants.
Dans une telle situation, le schéma ancien selon lequel un problème peut être compris et traité en le considérant comme isolé, ou qui imagine l’avenir en extrapolant le présent, s’avère inefficace. Quand nous isolons un problème pour l’étudier, sans tenir compte du fait qu’il fait partie d’un système et sans commencer par analyser le système lui-même, nous risquons de nous priver de la connaissance de ce qui permettrait de le résoudre. « Si nous ne changeons pas notre façon de penser, nous ne serons pas capables de résoudre les problèmes que nous créons avec nos modes actuels de pensée » disait Albert Einstein.
– La Process Theology, un essai pour dire Dieu aujourd’hui (Claude Dubois)
La théologie du « process » est une tentative pour comprendre le rôle de Dieu dans une création que nous avons découvert en constante évolution. Ce courant de pensée d’abord philosophique est né au début du 20ème siècle aux Etats Unis au sein du protestantisme libéral à partir des travaux du mathématicien et philosophe Withehead.
Au sein d’un monde où désormais toutes choses nous apparaissent en cours de changement et en interaction, Dieu participe lui même à ce flux de transformation et de relation. Il en est à la fois à l’origine et l’accompagne dans son évolution, auteur et acteur de ce processus, c’est ce que la théologie du process appelle la « nature primordiale » de Dieu ; et ce qui est plus révolutionnaire, Il est objet lui-même de ce processus, c’est « sa nature conséquente ». Parce qu’Il s’implique en permanence dans le cours du monde sans y être dilué, Dieu est lui-même transformé par ce qui arrive dans sa création. Dieu a besoin de nous pour, à chaque stade de l’évolution, faire advenir la vie du chaos. Il est tributaire de nos décisions.
– Croyants aujourd’hui, comment faire Eglise ? une histoire de libération (Michel Deheunynck)
Réactualiser les deux spécificités contextuelles du message de libération de Jésus :
– Que cette libération n’est pas attribuée au mérite ni aux plus vertueux, ni aux plus pieux ; elle est destinée à toute l’humanité. Mais cette visée universelle suppose la levée préalable et radicale de toute forme d’asservissement et de captivité, de soumission et d’oppression, mais aussi d’humiliation et de résignation, de honte et de peur. Cette émancipation est incontournable pour la dignité de tous : victimes et prédateurs.
– Que cette libération s’opère au coeur même de la vie, de ses défis, de ses conflits, à distance des dispositifs religieusement institués et parfois en contradiction avec eux : cette libération évangélique est une libération laïque ! …
– Notre foi en actes (Bernard Jarry et le groupe Partenia 77)
Il n’y a pas dans nos vies de croyants deux registres séparés qui seraient celui du religieux et celui du monde. Nous nous accordons sur une théologie qui met l’humain au centre : c’est là que nous rencontrons Dieu, c’est ce que signifie l’incarnation. L’évangile nous montre que toute démarche de foi part du vécu. Elle ne se limite pas à de bonnes paroles ou des rappels de listes de valeurs, elle implique des actes qui engagent. Et c’est la démarche que nous voulons suivre ; démarche qui n’est pas seulement individuelle mais celle de notre communauté croyante, celle que nous formons ensemble.
Dans la mouvance de Partenia, nous avons vocation à rejoindre les plus fragilisés socialement. Qui sont-ils ? Comment les rencontrons-nous ? Qu’apportent-ils à l’humanité qui est en nous et à notre foi ? A notre manière de l’exprimer ? Notre foi est d’abord relation. C’est notre façon de répondre au titre du dossier « Croire aujourd’hui ».
– Prier d’une façon digne de l’homme et digne de Dieu – réflexions inspirées de la lecture de Jacques Musset : Etre chrétien dans la modernité (ed. Golias) (Nicole Palfroy)
Les demandes à Dieu de résoudre les fléaux ou problèmes de l’humanité dans les « prières universelles » ou les prières individuelles des fidèles pour des faveurs exceptionnelles font à Dieu l’injure de le prendre pour un magicien tout-puissant qui accorderait arbitrairement ses dons. C’est aussi une démission du chrétien devant la réalité incontournable du malheur, de la mort, de la misère, qui confie à Dieu de résoudre ces problèmes qui sont étrangers à sa nature spirituelle et qui relèvent de la volonté et la solidarité de l’homme vis-à-vis d’autrui. Ce n’est pas Dieu qui va modifier nos comportements égoïstes ou orgueilleux, c’est nous-mêmes, par un lent travail sur soi, dans la foi en Dieu.
Ce n’est pas parce que la science l’a « dépossédé de ses traditionnelles prérogatives » que Dieu ne reste pas ce mystère indicible au plus profond de nous-mêmes, malgré toute la maîtrise acquise sur la nature dans de multiples domaines.
– Est-il encore possible de transmettre la foi ? (Françoise Gaudeul)
Transmettre quoi ? La bonté radicale, à transmettre à tous et en particulier à celui qui se présente à l’improviste sur notre route. « L’Evangile n’entre jamais par effraction dans nos vies mais en douceur ».
Transmettre comment ? « Jésus nous apprend qu’il n’y a pas de vie humaine sans confiance » Et en premier « confiance en la Vie ». L’Eglise peuple de Dieu (par différence avec l’Eglise hiérarchique), est le lieu où ces passeurs, présences d’Evangile, se découvrent selon l’infinie variété des talents des uns et des autres au profit de tous. Jésus le galiléen est le premier et ils sont très nombreux à sa suite, connus ou méconnus : Miguel Angel Estrella, Rigoberta Menchu, les moines de Tibhirrine, sœurs Léonie et Alice, etc.
Transmettre pourquoi ? La transmission est comme le partage de la mystérieuse énergie évangélique au sein de notre société où il y a un besoin urgent de « foi » en l’avenir.
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