EXPERIENCES VÉCUES
Notre ami Jean-Marie Kohler nous fait partager, suite à deux rencontres, ses réactions, exprimées ci-après en introduction à une conférence donnée dans le cadre d’une journée de réflexion de l’association « Poursuivre » – le 3 mai 2012 à Peltre
J’introduirai cette causerie en survolant deux événements qui ont eu lieu quasi simultanément en mars dernier à Mulhouse et dans sa proche banlieue : une conférence de carême donnée par l’archevêque de Strasbourg, et une rencontre suivie d’un forum sous l’égide du « Pacte civique » qui a pour devise « Inventer un futur désirable pour tous ».
Le titre de la conférence de carême était prometteur : « Avant d’évangéliser, laissons-nous évangéliser ». Pour ma part, j’avais naïvement cru que l’Église commençait à se rendre compte de l’inanité de ses habituels discours d’évangélisation, et qu’elle souhaitait se mettre à l’écoute du monde, ou plutôt à l’écoute du Dieu qui chemine avec les humbles au milieu de nous. Je pensais qu’il allait être question de l’urgente nécessité d’apprendre, au contact des réalités quotidiennes, en quoi consiste aujourd’hui concrètement la bonne nouvelle de la délivrance annoncée par Jésus de Nazareth.
Le thème de la rencontre de Kingersheim, « Changeons la société en changeant notre regard et nos relations humaines », était également très prometteur. Un thème porté par les multiples initiatives concrètes mises en œuvre par une municipalité qui a décidé, depuis plusieurs années, de privilégier la fraternité et le « mieux vivre ensemble » au sein d’une zone urbaine périphérique, multiethnique et multiculturelle, plutôt défavorisée. Des actions portant sur l’emploi, le logement, l’école, la convivialité, l’écologie, centrées sur la richesse de la mixité sociale, sur la reconnaissance mutuelle et le partage.
Devinez la suite. La conférence de carême sur la « nouvelle évangélisation », destinée à l’ensemble des paroisses de Mulhouse, n’a réuni guère plus de deux cents vieilles gens, tandis que la soirée organisée par la commune de Kingersheim a rassemblé près d’un millier de jeunes adultes – une différence que ne suffit pas à expliquer la présence de Pierre Rabhi et de Jean-Baptiste de Foucault à Kingersheim. Beaucoup de nos contemporains restent désireux de vaincre la fatalité qui menace notre avenir, désireux de pouvoir se fier à la vie : ils demeurent capables de se passionner pour la cause de l’homme.
Comment expliquer un tel désamour pour la religion et une aussi forte mobilisation pour débattre des valeurs humaines et de leur incarnation dans le quotidien des hommes ? L’archevêque a prêché la religion, l’autre rencontre s’est interrogée sur le vécu des hommes. Entre les deux, un gouffre que les bonnes intentions ne peuvent plus combler. Le forum qui a fait suite au débat de Kingersheim, le lendemain, a mis en évidence la profondeur de ce gouffre : parmi les nombreux ateliers qui ont été spontanément organisés sur la promotion d’un mieux-vivre ensemble, aucun n’a évoqué une éventuelle utilité de la religion. Est-ce l’évangile qui n’a plus de pertinence actuellement, ou est-ce la façon dont l’Église institutionnelle en parle et le vit ?
Même les croyants pressentent qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de la prédication des vérités absolues qui, tirées des Écritures et de la Tradition par les autorités ecclésiastiques, n’ont pas besoin de frayer avec les hommes pour s’incarner parmi eux. Là où le vertical efface l’horizontal, tout a déjà été dit, une fois pour toutes et de façon parfaite. Il ne reste qu’à répéter, à commenter et à appliquer selon les encycliques. Mais ce langage ne convainc plus, et les VRP de la religion ou du Vatican (voyageurs-représentants-placiers) qui se prennent pour les ambassadeurs plénipotentiaires de Dieu n’ont plus guère de crédit.
Les incantations du cantique K35-64 chanté à la conférence de carême illustrent l’autisme du discours de l’Église qui s’autoproclame « Lumière des nations, chargée de la Parole » : « Église de ce temps, Église au cœur du monde », « Église des pécheurs, Église de l’alliance », « Église bien-aimée, Église dans la grâce », « Église de partout , Église des Apôtres », « Église des martyrs, Église des prophètes », « Église de toujours, Église pour les hommes », etc. À la question « Entendras-tu ce que l’Esprit dit aux Églises ? », trop de fidèles sont tristes de devoir répondre qu’ils n’entendent plus grand-chose de ce côté-là…
Comment pouvons-nous « rencontrer le Christ » et « nous laisser toucher » par lui, comme cela nous a été demandé, si ce n’est à travers les relations humaines ? Comment l’Église peut-elle « lire les signes des temps », « annoncer un Royaume nouveau », « surmonter les obstacles » et « oser de nouveaux scénarios d’évangélisation » sans être réellement engagée dans le monde ? Que signifie « l’appel à la sainteté » s’il retentit en dehors des douloureux combats qui s’imposent dans le quotidien à ceux qui défendent la cause de l’homme (…)
Jean-Marie Kohler