« Une présidence sobre serait mieux qu’une présidence normale »
La transition énergétique est au coeur de la Conférence environnementale*, qui a lieu à Paris les 14 et 15 septembre. Mais les sujets qui fâchent (nucléaire, gaz de schiste) ne manquent pas. Thierry Solomon, ingénieur et président de Négawatt, partisan d’un modèle de « sobriété énergétique », répond aux questions d’Olivier Nouaillas pour lavie.fr.
Le quinquennat de François Hollande sera-t-il vert, un peu, beaucoup, passionnément ou… pas du tout ? Telle est la question que pose en filigrane la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre, à Paris. Elle se déroule dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental, où s’est tenue, début juillet, la Conférence sociale. Un symbole voulu par le gouvernement. Avec comme participants les pouvoirs publics, les grandes ONG d’environnement (WWF, fondation Nicolas-Hulot, Greenpeace, France Nature Environnement…), les syndicats, le patronat et, innovation par rapport au Grenelle de l’environnement institué en 2007 par Nicolas Sarkozy, les élus.
Le mot-clé de cette conférence est « transition énergétique ». Pas simple en France, où le nucléaire représente 78 % de la production d’électricité, mais aussi où les prix du pétrole et la précarité énergétique augmentent. Car les sujets qui fâchent ne manquent pas : le nucléaire, qualifié « d’énergie d’avenir » par le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, malgré l’engagement présidentiel de réduire sa part. Les gaz de schiste, dont la méthode d’extraction par fracturation hydraulique a été interdite en 2011, mais à propos desquels le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a dit que « le débat restait ouvert ». Ou encore la construction de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, « une infrastructure dont nous aurons besoin », selon les mots de la ministre de l’Écologie, Delphine Batho.
Spécialiste de ces questions d’énergie, Thierry Solomon, ingénieur, est président de l’association Négawatt, qui regroupe un millier d’experts (Manifeste Négawatt, réussir la transition énergétique, Actes Sud). Il préconise un modèle de « sobriété énergétique » à l’horizon 2050.
Entretien
La Conférence environnementale est-elle un nouveau Grenelle de l’environnement ?
Pas tout à fait. En 2007, j’avais été invité, mais on m’avait prévenu que si on prononçait le mot « nucléaire », on ne rentrait pas dans la salle. C’était le mot tabou par excellence. Cela dit, j’avais trouvé que la méthode inaugurée par Jean-Louis Borloo était intéressante. C’était une première en France, d’associer aux décisions toutes les grandes ONG d’environnement. Et, dans un premier temps, cela a donné des résultats non négligeables comme, par exemple, la nouvelle réglementation sur l’isolation thermique des bâtiments neufs ou encore sur la rénovation de l’habitat. Aujourd’hui, l’objectif doit être plus ambitieux : il faut fixer les termes d’un débat sur l’énergie que notre pays n’a jamais eu.
Comment engager cette « transition énergétique » ?
Si on s’en tient aux deux promesses de François Hollande : fermer la centrale nucléaire de Fessenheim d’ici à 2017 et réduire la part du nucléaire de 78 % à 50 % d’ici à 2025, c’est notoirement insuffisant. D’autant plus qu’avec 50 % d’une consommation d’électricité qui n’aurait pas été réduite et qui, au contraire, aurait explosé (avec les voitures électriques, écrans publicitaires en tout genre ou encore les box internet), on pourrait arriver à la même dépense énergétique qu’aujourd’hui. Non, il faut s’engager résolument dans deux directions en même temps : le développement des énergies renouvelables (solaire, éolien…) et la sobriété et l’efficacité énergétiques. Et cela avec deux rendez-vous d’étapes en 2030 et 2050. Car ce plan ne peut pas être le projet politique d’un quinquennat, mais doit courir sur, au moins, deux générations.
Faudrait-il exploiter les gaz de schiste si on trouvait un autre moyen que la fracturation hydraulique ?
Pour le moment, c’est simple : cette autre méthode n’existe nulle part au monde. On trompe l’opinion avec ce mythe scientiste : « Demain, on y arrivera… » Des géologues de l’université de Montpellier, la ville où j’habite, ont publié des études extrêmement poussées pour montrer que si on explorait les permis du plateau du Larzac, un véritable château d’eau souterrain, on polluerait toute l’eau qui s’écoule jusqu’à la Méditerranée. C’est une fuite en avant comme pour le nucléaire où depuis 50 ans on n’est toujours pas arrivé à résoudre le problème des déchets. Aujourd’hui, on les enterre pour 50 000 ans ! Notre société est malade d’ébriété énergétique. Les gaz de schiste, c’est comme prendre un cachet d’aspirine quand on est malade. Ça fait tomber la fièvre mais ça ne soigne pas notre addiction à l’énergie.
Mais comment arriver à cette sobriété énergétique que vous appelez de vos vœux ?
On a trop cru par le passé que cette sobriété dépendait de choix individuels ; prendre une douche au lieu d’un bain. Non, ce sont des choix politiques, au sens noble du terme. Va-t-on terminer la construction de l’EPR de Flamanville, qui nous a déjà coûté des millions d’euros ? Va-t-on continuer à laisser construire des voitures qui annoncent des vitesses de 200 km/h quand la vitesse maximum autorisée est de 130 km/h ? Va-t-on rénover l’isolation thermique des logements au rythme de 200 000 ou d’un million par an ? Va-t-on continuer à autoriser les écrans vidéo dans les espaces publics quand on sait que les premiers, installés dans le métro parisien, consomment 6 000 kWh par an et par appareil, soit l’équivalent de la consommation annuelle de deux familles et demi ? Ce ne sont pas des choix anecdotiques quand on sait que les publicitaires tablent sur l’installation d’un million d’écrans de ce type en France, l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire !
Pensez-vous que ce sera le choix d’un quinquennat qui mise tout sur le retour de la croissance ?
Une présidence sobre, ce serait mieux qu’une présidence normale : cela renvoie à l’intelligence, à l’usage collectif et sociétal de l’énergie, un bien indispensable et qui va devenir rare. La France s’honorerait à être, dans le cadre européen, en pointe dans cette lutte contre le changement climatique. En annonçant des objectifs chiffrés de réduction de CO2 et de l’utilisation des énergies fossiles. La transition énergétique y prendrait tout son sens.
* Cinq tables rondes thématiques sont prévues au cours de cette première Conférence environnementale : la transition énergétique, la biodiversité, la santé et l’environnement, la fiscalité écologique, et enfin la gouvernance écologique. Il est déjà prévu que cette conférence se réunira tous les ans jusqu’en 2017.
Propos recueillis par Olivier Nouaillas
A LIRE :
• « Manifeste Négawatt – Réussir la transition énergétique » de Association Négawatt , Thierry Salomon, Marc Jedliczka et Yves Marignac, Ed. Actes Sud, Collection Domaine du Possible, 373 pages, 20 €, Février 2012. Ce livre existe également en version numérique.
• Présentation du livre et extrait (18 pages) par les éditions Actes Sud (Couverture – Table des matières – Préface de Stéphane Hessel – Introduction).