Greenpeace et Amnesty réclament une enquête pénale sur le « Probo-Koala »
La justice ne s’est toujours pas prononcée sur l’affaire des déchets toxiques d’Abidjan
Par Gilles van Kote
Six années après le déversement en plein Abidjan de déchets toxiques débarqués du Probo-Koala, un navire affrété par la société de négoce international Trafigura, Greenpeace et Amnesty International réclament l’ouverture d’une enquête pénale sur cette catastrophe qui aurait provoqué une quinzaine de décès et à la suite de laquelle plus de 100 000 personnes ont dû recevoir des soins.
Les deux organisations non gouvernementales (ONG) ont publié un rapport conjoint, mardi 25 septembre, alors que s’ouvre à Genève une réunion du groupe de travail de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination. Le but de cet épais document, fruit de trois ans de travail, est d’attirer l’attention des Etats sur le fait que, bien « qu’il existe un cadre juridique international », qui aurait dû permettre de poursuivre les responsables de la catastrophe, « il n’y a pas eu d’enquête couvrant l’ensemble des aspects de cette affaire », affirme Francis Perrin, porte-parole d’Amnesty International.
Trafigura a bien été condamné en décembre 2011 par la justice néerlandaise à payer 1 million d’euros d’amende pour exportation illégale de déchets dangereux, suite à l’escale du Probo-Koala à Amsterdam, d’où le navire était reparti pour la Côte d’Ivoire avec sa cargaison toxique de résidus pétroliers, le prix du traitement demandé par les services portuaires ayant semblé exorbitant à l’affréteur. Mais « le rôle joué par Trafigura dans le déversement des déchets toxiques à Abidjan n’a fait l’objet d’aucune action en justice pleine et entière », affirme le rapport.
Le groupe de négoce a en effet signé dès février 2007 un protocole d’accord avec l’Etat ivoirien lui assurant une impunité judiciaire contre le versement de 95 milliards de francs CFA (145 millions d’euros), dont une partie seulement a servi à indemniser les victimes. Un accord à l’amiable est aussi intervenu en 2009 entre Trafigura et un cabinet d’avocats représentant 30 000 victimes, la compagnie acceptant de verser à celles-ci 45 millions de dollars (35 millions d’euros) tout en refusant de reconnaître sa responsabilité.
Poursuites judiciaires
Les deux ONG demandent au gouvernement ivoirien de dénoncer l’accord signé par son prédécesseur et au parquet britannique d’ « examiner les possibilités d’engager des poursuites judiciaires contre Trafigura » la filiale du groupe chargée des opérations de négoce ayant son siège à Londres. « La question que pose ce dossier, c’est jusqu’où les juges des pays du Nord peuvent ou doivent assumer une dimension extraterritoriale face à de grandes catastrophes écologiques qui surviennent dans des pays où les magistrats ne sont pas en capacité de juger ces affaires, et en l’absence de tribunal international compétent », estime l’avocat William Bourdon, dont l’association Sherpa avait tenté – en vain – de porter l’affaire devant la justice française.
Invité par Greenpeace et Amnesty International à réagir, Trafigura estime que le rapport « simplifie à l’excès des questions juridiques complexes ». « Il est tout simplement faux de suggérer que ces questions n’ont pas fait l’objet d’un examen judiciaire approprié », affirme la société.
Gilles van Kote
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Une catastrophe sanitaire en quelques dates :
– 9 août 2006 Les déchets toxiques transportés par le Probo-Koala, arrivé le jour même à Abidjan, sont déversés en plusieurs points de la ville ivoirienne.
– 31 janvier 2007 Plus de 100 000 consultations médicales liées au déversement des déchets ont été recensées depuis le 20 août 2006.
– 13 février 2007 Un protocole d’accord est signé entre Trafigura et l’Etat ivoirien.
– 16 septembre 2009 Un règlement à l’amiable est conclu entre Trafigura et 30 000 victimes.
– 23 décembre 2011 La cour d’appel de La Haye condamne une filiale de Trafigura à 1 million d’euros d’amende pour exportation illégale de déchets dangereux.
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Source : Article publié dans Le Monde daté du 26 sept. 2012
En savoir plus :
• lire l’article de présentation du rapport d’Amnesty international et de Greenpeace publié le 25 sept. 2012.
• lire le rapport (257 pages) complet téléchargeable (en pdf) ci-après : Une vérité toxique