Faire bouger l’Église catholique
C’est le titre évocateur d’un petit livre du père Joseph Moingt qui vient de paraître chez Desclée de Brouwer
A bientôt 97 ans, Joseph Moingt, jésuite et théologien de renom, se montre toujours aussi jeune d’esprit et incisif.
Son petit livre, intitulé Faire bouger l’Église catholique [1], nous en administre une nouvelle fois la preuve.
Ces réflexions sont au cœur des débats qui parcourent l’Église catholique aujourd’hui.
Si Joseph Moingt partage avec ses pairs le constat d’une Église catholique qui ne va pas très bien, les solutions qu’il esquisse pour la revivifier sont assez différentes de celles que la hiérarchie propose.
Il ne croit pas du tout qu’un retour en arrière permette d’affronter les défis contemporains.
Pour le dire rapidement, il « a acquis la conviction qu’un recentrage sur l’Évangile plutôt que sur la religion est nécessaire pour que l’esprit évangélique puisse être entendu du monde actuel. »
Mais, comme on peut le lire dans l’introduction de l’ouvrage :
« Cela exigerait une profonde mutation de l’Église afin de libérer l’expression responsable de sa base, c’est-à-dire de l’ensemble des fidèles. Or la notion de sacerdoce s’y oppose – telle qu’elle est actuellement définie – car elle maintient un monopole des clercs sur la vie d’une Église trop centrée sur le culte. »
Mais, loin de se résigner, Joseph Moingt ouvre des pistes pour que l’Église retrouve un nouvel élan.
Qu’il s’agisse de « promouvoir des vraies communautés d’Évangile, en allégeant l’institution », d’« offrir aux femmes une place digne de ce nom », ou encore de « revenir aux grandes intuitions du concile Vatican II ».
Je livre encore quelques extraits significatifs :
« Il est vain de penser que l’Église puisse changer ses structures : il lui faudrait se déjuger sur trop de points capitaux à ses yeux. »
« Il est impossible que le pouvoir suprême de l’Église aille à l’encontre de la tradition qui l’a mise en place, et a-t-on jamais vu où que ce soit une administration se saborder pour se réformer ? »
« Une société qui ne produit plus de prêtres est une société qui ne désire plus se reproduire sur le modèle de son passé religieux.
Quand on aura renoncé à ces vains espoirs, il paraîtra évident que le changement ne pourra venir que d’en bas, et quand des laïcs chrétiens l’auront amorcé, poussés par le souffle de l’Esprit, l’ensemble de l’Église saura y reconnaître la voie de son salut. »
« La société aussi, l’Esprit nous en donne l’espérance. Car elle n’a rejeté si globalement le christianisme que sous son visage religieux et autoritaire, qui voilait sa réalité évangélique. »
A méditer à quelques jours de l’ouverture du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation, du 7 au 28 octobre, à Rome. S’agit-il, prioritairement d’évangéliser à nouveau, ou d’évangéliser d’une nouvelle manière qui ne soit pas la restauration de pratiques inadaptées au monde d’aujourd’hui ?
François Vercelletto
[1] : « Faire bouger l’Église catholique », Joseph Moingt, DDB, 192 pages, 15 €.
Source : Ouest-France – 1er octobre 2012
Oui, vous avez raison ; à noter que ce dernier entretien a été publié sur le site le 3 septembre à :
http://www.nsae.fr/2012/09/03/le-cardinal-martini-son-dernier-entretien/
En complément, il faut aussi lire la dernière interview du cardinal Martini, décédé le 31 août, dont voici des extraits:
« L’Église est fatiguée. Notre culture a vieilli, nos églises sont vastes, nos maisons religieuses sont vides, et l’appareil bureaucratique de l’Église se développe. Nos rites et nos habits sont pompeux (…) Nous nous trouvons dans la situation du jeune homme riche qui s’éloigne, empli de tristesse, alors que Jésus l’appelle à devenir son disciple. Je sais bien qu’il est difficile de tout laisser… Mais au moins pourrions-nous chercher des hommes libres et attentifs au prochain, comme l’ont été Mgr Romero et les martyrs jésuites du Salvador. Où sont les héros qui pourraient nous inspirer ? En aucun cas, nous ne devrions nous en tenir aux limites de l’institution. (…) Dans l’Église aujourd’hui, je vois tant de cendres qui cachent les braises que je me sens souvent pris d’un sentiment d’impuissance. Comment peut-on libérer ces braises pour revigorer la flamme de l’amour ? (…) Je conseille au pape et aux évêques de chercher, pour les postes de direction, douze personnes « hors normes », proches des pauvres, entourées de jeunes, qui expérimentent des choses nouvelles. Nous avons besoin de ce contact avec des hommes qui brûlent, pour que l’Esprit puisse se diffuser partout.
Mon premier conseil est la conversion. L’Église doit reconnaître ses propres erreurs et entreprendre un chemin radical de changement, à commencer par le pape et les évêques. À commencer par les questions posées sur la sexualité et le corps. (…) Nous devons nous demander si les gens écoutent encore les conseils de l’Église en matière sexuelle. L’Église est-elle encore, dans ce domaine, une autorité de référence ou seulement une caricature pour les médias ?
Mon deuxième conseil est l’écoute de la Parole de Dieu. (…) Seul celui qui reçoit cette Parole dans son cœur peut aider au renouvellement de l’Église et saura répondre avec justesse aux demandes personnelles. (…) Ni le clergé ni le droit canonique ne peuvent se substituer à l’intériorité de l’homme. Tous les règlements, les lois, les dogmes ne nous sont donnés que pour clarifier la voix intérieure et aider au discernement de l’Esprit.
Enfin, les sacrements sont pour moi, non pas des instruments de discipline, mais un appui à la guérison des hommes pris dans les faiblesses de la vie. Portons-nous les sacrements à ceux qui ont besoin d’une force nouvelle ? Je pense à tous les divorcés et aux familles recomposées. Ils ont besoins d’une protection spéciale. L’Église soutient l’indissolubilité du mariage. C’est une grâce lorsqu’un mariage et une famille y parviennent. (…) L’attention que nous porterons aux familles recomposées sera déterminante pour la proximité de l’Église avec la génération de leurs enfants. Une femme abandonnée par son mari trouve un nouveau compagnon qui s’occupe d’elle et de ses enfants. Ce second amour réussit. Si cette famille est discriminée, la mère et ses enfants s’éloigneront. Si ces parents se sentent extérieurs à l’Église, ne se sentent pas soutenus par elle, l’Église perdra les générations futures. (…) La demande d’accès des divorcés à la communion doit être prise en compte. Comment l’Église peut-elle venir en aide avec la force des sacrements à ceux qui vivent des situations familiales complexes ? (…)
L’Église est en retard de 200 ans. Aurions-nous peur ? Peur au lieu de courage ? La foi, la confiance, le courage sont les fondements de l’Église. (…) Seul l’amour peut vaincre la fatigue. Je le vois bien avec toutes les personnes qui m’entourent désormais. »