L’Eglise catholique face à l’homoparentalité. Le projet du gouvernement d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels est contesté par le clergé et par certains pratiquants. Débat sur leur conception de la famille, de l’amour et de la filiation. Ci-dessous le décryptage d’Olivier Roy.
La condamnation du mariage homosexuel par l’Eglise catholique est de prime abord logique. Ce n’est pas seulement parce que l’homosexualité est rejetée dans la Bible : l’Eglise en effet a fait quelques progrès dans son approche des homosexuels, désormais perçus comme individus dignes au mieux de respect au pire de compassion.
Le rejet du mariage homosexuel par l’Eglise vient d’abord de ce qu’il apparaît (contrairement au pacs) comme une contrefaçon du ” vrai ” mariage. C’est donc autour du sens et de la fonction du mariage que porte le débat. Or ce qui est curieux dans les arguments utilisés de part et d’autre, c’est qu’on a l’impression d’assister à un débat à front renversé.
L’argument en faveur du mariage homosexuel est dans le fond largement chrétien. Car pourquoi les homosexuels voudraient-ils se marier s’ils n’étaient pas justement attirés par ce que peut signifier le mariage en opposition au pacs ou à « l’amour libre », comme on disait autrefois ?
L’exigence du droit au mariage, au-delà d’un égalitarisme abstrait, c’est le rejet de ce qui a longtemps été perçu comme une marque de l’homosexualité (en tout cas masculine) : le nomadisme sexuel et la promiscuité tous azimuts, bref la culture des backrooms et des saunas. Par opposition, vouloir le mariage, c’est rejeter la dissociation entre amour et sexualité, c’est vouloir inscrire le couple dans la durée, non seulement des conjoints, mais de leur descendance (en ce sens on peut parler d’un glissement des milieux homosexuels vers le conservatisme social, la promotion de la famille et la quête de respectabilité, ce qui se traduira politiquement par un passage à droite, dès que la loi sera votée).
Cet hommage du « vice » à la « vertu » devrait être perçu comme une bonne nouvelle par les défenseurs du mariage. Bien sûr, cela ne marche pas, mais l’Eglise est piégée : comment définir le mariage autrement que par la sublimation de la sexualité dans l’amour et la fidélité, devenue l’argument des homosexuels ?
Certes l’Eglise a évolué dans sa conception du mariage : dans les Evangiles, il s’agit surtout de contenir « l’acte de chair », faute de pouvoir le sublimer dans l’abstinence. Ce n’est que peu à peu que le mariage devint une valeur en soi : l’amour des conjoints est désormais défini comme un reflet de l’amour du Christ, la fidélité comme une valeur en soi et le bonheur conjugal comme un objectif tout aussi sain que saint.
Le déferlement de la libération sexuelle, propre au XXe siècle, a poussé l’Eglise à affiner son discours, en valorisant l’harmonie entre sexualité et amour dans la fidélité du couple, qui permettrait une vraie réalisation de soi, par opposition à une liberté sexuelle qui déprécierait et l’amour et le corps en engendrant lassitude, ennui et dégoût de soi.
Or dans l’argumentaire de l’Eglise contre le mariage homosexuel, l’amour d’un seul coup passe à la trappe, et pour cause : il est le leitmotiv des prétendants à l’anneau homo-nuptial.
Que dit l’Eglise alors ? Que le mariage homosexuel menace les fondements anthropologiques de notre société et que l’amour ne peut s’exprimer que dans les limites de ce modèle anthropologique. Le cardinal Philippe Barbarin parle de « changement de civilisation » et déclare que la famille se fonde « dans cet amour complémentaire et durable de la femme et de l’homme : c’est une question au sens sociologique, anthropologique du terme. Il y a profondément un choix de civilisation qui concerne le modèle familial comme la fin de vie », tandis que Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France, déclare que l’amour homosexuel « pose une question anthropologique ».
En un sens, c’est de bon sens : il n’y a jamais eu de consensus dans l’Eglise ou dans la société sur le fait que le mariage soit fondé sur l’amour (il suffit de lire I Corinthiens 7/1-2). Mais quoi de plus profane qu’un argument anthropologique ? Donc avis à tous les ex-jeunes couples qui ont subi les cours de préparation au mariage et la pastorale des fiancés : il valait mieux lire Lévi-Strauss que de concilier l’Evangile, la poésie de Paul Eluard et la tendresse.
D’ailleurs, si le mariage était défini par l’amour des partenaires, il ne pourrait plus être présenté comme fondement anthropologique de la société ; ce qui est le grand argument des cultures qui mettent en avant le mariage arrangé, de l’hindouisme aux juifs ultra-orthodoxes : le mariage est une affaire bien trop sérieuse pour être confié à la subjectivité des jeunes épousables.
Il est difficile pour l’Eglise de contester que deux personnes du même sexe puissent s’aimer, il est aussi difficile d’opposer la « stérilité » du couple homosexuel, puisque celle-ci est contournable par l’adoption ou les techniques de procréation artificielle. Ne reste donc que l’argument anthropologique : l’apologie d’un ordre naturel qui doit échapper à la manipulation. Mais pourquoi utiliser un argument aussi profane ?
L’Eglise, dont le message religieux paraît inaudible, cherche désormais un argument compréhensible pour ceux qui, croyants ou non, refusent et l’autorité du sacré et les normes de l’Eglise. Et cet argument ne peut être que profane, voire « scientiste ». On convoque les sciences sociales pour inscrire la vérité dans le fait, plutôt que dans la valeur ou le sens. Si, dans la première moitié du XXe siècle, croyants et non-croyants partageaient des valeurs communes (apologie de la famille, criminalisation de l’homosexualité, refus de l’avortement), ce consensus a disparu : la culture séculière dominante ne partage plus grand-chose avec le christianisme, elle est devenue plus païenne que profane.
La société aujourd’hui semble bien admettre que les changements qui la traversent depuis une cinquantaine d’années ont des conséquences anthropologiques. A une morale naturelle, à l’intangibilité de la nature humaine, on oppose le libre choix et toute la gamme des recompositions de soi-même. L’Eglise n’a alors d’autre choix que de chercher à refonder un consensus non sur les valeurs, mais sur le lien social.
Or ce dernier consensus n’existe pas non plus, comme le découvrent tous les populistes qui tentent de définir une « identité » du peuple, identité ramenée à quelques marqueurs pauvres. Est-ce bien le rôle de l’Eglise de se lancer dans une quête identitaire sur les fondements anthropologiques de la société ?
Olivier Roy
Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, directeur du programme ReligioWest, auteur de « La Sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture » (Seuil 2008)
Source : article publié dans Le Monde daté du 28 sept. 2012
A LIRE : la note de travail « Elargir le mariage aux personnes de même sexe ? Ouvrons le débat ! » rédigée par le Conseil « Famille et Société » de la Conférence des évêques de France, publiée le 27 septembre 2012, téléchargeable (en pdf) ci-après : Famille-Societe-CEF (3)