Une Eglise catholique à décrisper
Par Stéphanie Lebars
C’est un exercice dont l’Eglise catholique a le secret et que l’on peut porter à son actif. Durant trois semaines, à partir de dimanche 7 octobre, quelque 260 évêques venus du monde entier vont se livrer, à Rome, à une longue introspection, pour tenter de répondre à une question primordiale pour l’avenir de cette institution : comment, dans les sociétés contemporaines fortement déchristianisées, convaincre de la pertinence du message chrétien ? La question est ancienne, presque autant que l’Eglise elle-même. Mais elle prend une acuité particulière dans un contexte de pluralisme religieux et culturel qui se diffuse désormais à grande vitesse ; et alors que l’Eglise catholique, souvent à contre-courant, n’a pas renoncé à prendre part aux débats éthiques et anthropologiques qui secouent les sociétés modernes.
Pour préparer ce synode consacré à la « nouvelle évangélisation », l’Eglise a analysé sans complaisance les raisons, internes et externes, qui, depuis plusieurs décennies, confirment une désaffection de la croyance et de la pratique religieuse dans les pays du Nord comme du Sud. Les évêques se sont ouvertement inquiétés d’une « apostasie silencieuse » de la part de fidèles qui s’éloignent de l’Eglise.
ANALYSER SES PROPRES FAIBLESSES
Avec lucidité, ils ont pointé tout à la fois « la crédibilité des institutions ecclésiales », « la bureaucratisation excessive des structures institutionnelles », « l’insuffisance numérique du clergé », « des célébrations liturgiques formelles et routinières », ou, plus inquiétant encore, l’échec de l’Eglise « à donner une réponse adéquate et convaincante aux défis » du moment. Des faiblesses d’autant plus préoccupantes qu’elles s’inscrivent, selon les évêques, dans un contexte hostile, marqué par les ravages des « spiritualités individualistes », le « néopaganisme », le « le nihilisme culturel », la « fermeture à la transcendance « ou les « nouvelles idoles que sont la science et la technologie ».
Cette volonté d’analyser ses propres faiblesses et d’y porter remède est louable, et, à ce niveau, unique au sein des grandes religions. Mais alors qu’avec le cinquantième anniversaire du concile Vatican II se profilent de longs mois durant lesquels les catholiques du monde vont être appelés à tirer le bilan et les enseignements d’un examen de conscience autrement plus conséquent, l’enjeu pour l’Eglise réside-t-il seulement dans la manière de porter son message ? Ou dans l’évolution d’une partie de ce message ?
Vatican II, de l’avis général, a ouvert l’Eglise sur le monde. Ce concile a produit des éléments de rupture rarement égalés dans l’histoire des conciles : qu’il s’agisse de l’affirmation de la liberté religieuse, des nouveaux rapports avec le judaïsme, de l’incitation faite aux fidèles de se saisir de l’étude de la Bible, d’une liturgie plus accessible… Selon certaines interprétations, conservatrices pour ne pas dire intégristes, ces évolutions ont précipité la crise de l’Eglise. D’autres courants défendent au contraire l’idée que, sans Vatican II, le décalage entre l’Eglise et la société serait aujourd’hui abyssal. Une chose est certaine : le concile Vatican II et les réflexions qui ont suivi ont laissé en jachère la plupart des points de crispation qui brouillent aujourd’hui l’audience de l’Eglise.
PAROLE INAUDIBLE
Des voix catholiques s’interrogent. On les retrouve dans la frange dite « progressiste » des fidèles et du clergé, mais aussi dans des cercles plus pragmatiques, plus attachés « au message de Jésus » qu’aux contraintes et aux interdits de l’institution. Ils pointent tous les mêmes sujets. On peut citer dans le désordre le sort réservé aux divorcés-remariés, toujours officiellement interdits de communion lors des messes, la doctrine de l’Eglise sur la contraception, l’aide à la procréation, la morale sexuelle en général, la distinction difficilement audible entre « l’accueil » réservé aux homosexuels et la condamnation persistance de l’homosexualité ou, dans un autre registre, le refus catégorique de Rome d’entrouvrir le débat sur le célibat des prêtres ou sur la prêtrise pour les femmes…
Ces raidissements paraissent d’autant plus stériles que des religieux et des théologiens, en public ou en privé, s’interrogent sur la persistance de telles règles. Et que, sur le terrain, certains prêtres et fidèles parviennent à trouver des arrangements entre les lignes. En attendant, sur nombre de sujets, la parole de l’Eglise est disqualifiée. On le voit avec le débat sur le mariage ouvert aux homosexuels : l’Eglise a beau soulever des points qui méritent réflexion, sa parole, parfois maladroite, semble inaudible.
Dans ce contexte, on peut douter que les « pèlerinages », la « sainteté » et la « purification » auxquels le pape appelle les chrétiens et l’Eglise, les Journées mondiales de la jeunesse, les « nouvelles technologies », le « style plus missionnaire » des croyants ou une « affirmation plus explicite de la foi » dans l’espace public, remèdes mis en avant par le travail préparatoire des évêques pour promouvoir la « nouvelle évangélisation », suffiront à convaincre les « tièdes » et les hésitants.
Or, la décrispation ne viendra pas de ce pape, pas plus sans doute que de celui qui lui succédera. Benoît XVI a récemment indiqué que « les conditions n’étaient pas réunies » pour un Vatican III. L’Eglise n’aurait-elle pourtant pas intérêt à réviser ses positions sur les questions liées à la liberté des personnes dans ce qu’elles ont de plus intime ? Des positions qui minent aujourd’hui, en grande partie, l’ensemble du message chrétien.
Stéphanie Lebars
Service Société – lebars@lemonde.fr
Source : publié dans Le Monde daté du 7-8 octobre 2012 et à :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/10/une-eglise-catholique-a-decrisper_1771225_3232.html