Théologie palestinienne contemporaine
Cet article présente Sabeel, qui est un centre œcuménique de théologie de la libération, basé à Jérusalem et à Nazareth, et aussi un réseau international. Son auteur est le président de l’association « Amis de Sabeel-France ». Il a été publié dans le n° 54 de la revue “Les Réseaux des Parvis”, actuellement épuisé et accessible ici.
Malgré l’épreuve de la puissance et de la colonisation israéliennes, la société palestinienne est bien vivante, dynamique, et créatrice. La Palestine, c’est une économie, un système éducatif et universitaire avec son intelligentsia ; c’est un monde sportif qui se manifeste dans des rencontres internationales; c’est une culture, avec ses arts et ses lettres. Tous ces éléments lui ont récemment permis une reconnaissance à part entière de l’UNESCO. L’aspect politique de cette mesure a été souligné, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. La reconnaissance de la Palestine n’a été rendu possible que grâce à la vitalité et à la créativité des palestiniens. On a même pu faire récemment un film sur l’humour palestinien !
Ainsi, quand on parle de résistance palestinienne, celle-ci ne se réduit pas à des entreprises terroristes menées par des organismes politiques plus ou moins extrémistes. Il s’agit de toute une société qui entend vivre et s’exprimer comme les autres, et parmi les autres. Il y a une véritable identité nationale. Si, dans l’histoire, elle n’a jamais été dotée de la souveraineté d’un État, elle n’en constitue pas moins un élément incontournable de la réalité du Proche-Orient.
Les chrétiens palestiniens font partie de cette réalité. Ils sont reconnus et représentés auprès des organes dirigeants de la Palestine, l’OLP et l’Autorité palestinienne. Bien que minoritaires, ils ne se résignent pas. Leur nombre s’est affaibli, mais leur mission demeure, au nom même de l’Évangile et de leur histoire locale. Dans leur diversité, leur disparité même, ils ont conscience de leur unité. Ils sont les héritiers directs de l’Eglise primitive; ils sont l’ « Église-mère » de tous les chrétiens, l’Église de Jérusalem, l’Église des apôtres, témoin encore aujourd’hui du même Évangile de salut, de liberté, de justice et de paix.
Avec tous les autres Palestiniens, les chrétiens ont vécu tout au long du conflit vieux maintenant de plus de 60 ans . ils souffrent, ils résistent aussi; ils vivent la solidarité sous l’occupation, et ils plaident pour la reconnaissance de leurs droits et de leur dignité. Ils continuent aussi à croire, à prier, à transmettre, à témoigner et à servir au nom de l’Évangile de Jésus-Christ. Depuis les années cinquante, ils ont fait entendre leur voix au niveau international, notamment au Vatican, pour les Églises unies à Rome, et au Conseil œcuménique des Églises. Et c’est dans ce contexte que s’est développée, peu à peu, une réflexion théologique palestinienne. Théologie solidaire de la grande tradition et de toute l’histoire du christianisme arabe, mais aussi spécifique du fait du contexte particulier de la société palestinienne, et de la ville de Jérusalem.
En 1994, quelques pasteurs des Églises catholiques, orthodoxes, protestantes, notamment avec son directeur-fondateur anglican, le Rev. Naïm ATEEK, ont créé le Centre SABEEL (mot arabe signifiant à la fois le chemin, la source d’eau vive, et le chenal). Se dénommant Centre œcuménique de Théologie de la Libération, ils ont entrepris une réflexion théologique sur le réalité de leur vie, dans le conflit dont leur peuple est victime, avec toutes les conséquences qui en résultent pour la communauté chrétienne. Comment comprendre les textes bibliques fondateurs de la foi, alors que d’autres s’en réclament aussi pour justifier leur occupation du pays et la confiscation de leurs terres ? Que signifie la foi chrétienne et le message évangélique d’amour, de paix, de réconciliation, et de pardon, alors que la violence militaire, politique et économique préside aux rapports humains et sociaux ?
Ainsi, se sont-ils efforcés de mettre en évidence le message biblique, comme une bonne nouvelle pour tous, et pas seulement pour un quelconque peuple « élu », justifiant alors sa violence et son idéologie (sioniste) par des références à la révélation divine, notamment dans le Premier Testament.
Un des chantiers de sa réflexion a donc été une critique radicale du sionisme, et notamment du sioniste chrétien, à l’oeuvre dans les milieux évangéliques aux États-Unis, mais aussi présent largement dans le silence de bien des Églises occidentales. Sans doute culpabilisées par leur l’histoire, non exempte d’antisémitisme, et par le drame de la Shoah, elles ont bien souvent assimilé, sans recul, l’Etat d’Israël moderne au peuple d’Israël biblique, perdant toute capacité critique dans leur appréciation du conflit israélo-palestinien. Les chrétiens palestiniens rappellent que l’Évangile est un message de paix et de justice, source de respect à l’égard de tous les humains, notamment les populations arabes de Palestine.
Centre de Théologie de la Libération, SABEEL se situe dans la tradition de tout un courant spirituel et théologique mondial, né après la 2° guerre mondiale. Après l’épreuve du totalitarisme national-socialiste, les Églises chrétiennes à travers le monde se sont souvent reconnues porteuses d’un message de justice, de paix et de non-violence dans la vie des hommes. Ainsi en fut-il de Martin Luther King aux États-Unis, des théologiens de la libération latino-américains, des théologiens anti-Apartheid d’Afrique du Sud (dont Rev. Desmond TUTU), des théologiens de l’inculturation dans la période post-coloniale. En Palestine-Israël aussi, le témoignage évangélique est un message de salut et de justice, un message de libération face à l’oppression, à l’annexion des terres, à la négation de l’identité socio-culturelle et religieuse, sans oublier les exigences de vérité, de pardon et de non-violence , comme de réconciliation.
Les chrétiens palestiniens se souviennent : notre Seigneur Jésus-Christ a souffert et est mort « sous Ponce Pilate », l’occupant romain de l’époque, témoin non-violent de l’amour et de la justice de Dieu face à tous ceux de sa société, qui tiraient profit de l’oppression.
Aujourd’hui encore, dans le même pays, ils ont conscience de vivre la passion du Christ, dans la foi en sa résurrection et à la victoire de Pâques. La libération pour eux, c’est la victoire sur l’oppression et l’injustice qu’ils subissent.
La communauté chrétienne palestinienne, très riche en diversité, a vécu de douloureuses déchirures au cours de son histoire. Mais dans le dramatique contexte conflictuel qui est le sien, elle retrouve son unité profonde.
Le Centre SABEEL y contribue. Il développe plusieurs programmes au sein des Églises locales :
– renforcement des liens communautaires entre chrétiens, par de multiples rencontres.
– développement spirituel et prière.
– lecture et formation bibliques.
– relations oecuméniques et unité chrétienne.
– solidarité inter-religieuse avec musulmans et juifs.
– témoignage et engagement politiques, sociaux et économiques.
Son action se déploie dans la vie locale des Églises, principalement à 4 niveaux différents d’initiative : les jeunes ; les femmes ; les hommes ; les pasteurs, prêtres, membres du clergé.
En outre, SABEEL organise des séjours de découverte et de témoignage (2 par an, pour les adultes ; et 1 pour les jeunes adultes, de 18 à 25 ans); il organise des rencontres avec tous les groupes qui le désirent, au cours d’un pèlerinage ou d’un voyage touristique. Tous les deux ans, un colloque-forum international regroupe quelques 200 personnes, en Palestine-Israël, sur un thème majeur, tel que le sionisme, les enjeux du conflit, la non-violence, les pouvoirs, l’écologie, etc.
Dans toutes ces initiatives, le Centre SABEEL intervient dans le respect de la spécificité de chacune des traditions présentes; en relation étroite avec les diverses instances œcuméniques au Proche-orient ; et en lien aussi avec le Conseil œcuménique des Églises (WCC), son Forum œcuménique Palestine-Israël (PIEF), et avec le Réseau KAIROS depuis 2009.
Gilbert Charbonnier
Pour en savoir plus : Amis de Sabeel
Le Centre SABEEL a aussi développé un réseau international d’Amis de Sabeel, dans une quinzaine de pays des cinq continents.
L’association « Amis de Sabeel-France » (ADSF) en fait partie. Ses activités se développent autour des 6 axes suivants :
-faire connaître la réflexion théologique et le témoignage des chrétiens ou Églises de Palestine/Israël. Ainsi, elle traduit et diffuse une « Vague de prière » hebdomadaire, de SABEEL Jérusalem, ainsi que sa revue trimestrielle, Cornerstone, ou La Pierre d’Angle.
-organiser, en France, la Semaine mondiale pour la Paix en Palestine – Israël (WWPPI), du Conseil oecuménique des Églises, et de son Forum oecuménique Palestine-Israël, lors de la première semaine de juin.
-apporter sa contribution à l’accompagnement des soeurs et frères chrétiens palestiniens. Notamment par l’envoi de jeunes français à la Conférence annuelle pour Jeunes Adultes de Sabeel, en Palestine-Israël, chaque mois de juillet; et par la participation à la Conférence internationale biennale de SABEEL, en Palestine-Israël.
-développer des liens personnels avec le réseau Sabeel, à Jérusalem comme à Nazareth, par des visites ou séjours en France de chrétiens palestiniens, et par des visites ou séjours de chrétiens français en Palestine-Israël, en groupe ou individuellement.
-contribuer à la solidarité fraternelle des chrétiens de France et les chrétiens ou Églises de Palestine-Israël, par des dons ou collectes divers.
-favoriser, aussi dans notre pays, le dialogue théologique avec les Musulmans et les Juifs, notamment en matière de justice et de paix, en participant à des groupes de dialogue inter-religieux.
Siège social des Amis de Sabeel-France : Maison IV de Chiffre, 24 rue des Teinturiers 84000 Avignon
Contacts : Président : Gilbert Charbonnier 16 C1, chemin St Henri 84000 AVIGNON Tél. 04 90 84 01 34 Courriel: gj.charbonnier@gmail.com
Secrétaire: Fred Lucas fred.lucas@orange.fr
Blog : http://amisdesabeel-france.blogspot.com
Adhésion : 20 €/an