Le Tchad expulse un évêque italien après un sermon critique sur la gestion des revenus du pétrole
A la suite d’une homélie prononcée le 30 septembre dernier en la cathédrale du diocèse de Doba par son évêque, Mgr Michel Russo et diffusé en direct sur une radio communautaire « La Voix du Paysan », le gouvernement tchadien a annoncé le 12 octobre son expulsion du pays – dans un délai d’une semaine à compter du 14 octobre- pour s’être « adonné à des activités incompatibles avec son statut ».
Ce prélat de nationalité italienne, vivait au Tchad depuis plus de 30 ans. La ville de Doba se trouvant sur le site de la principale région productrice du pétrole tchadien (au sud du pays), « il n’a pas hésité à dénoncer la gabegie, la corruption, la gestion déséquilibrée du revenu pétrolier en défaveur de la population qui croupit dans la misère…Il exhortait au réveil à la manière d’un Jean-Baptiste moderne » comme le précise le Frère franciscain C. M. Bonou (Tchad, l’évêque de Doba contraint de quitter le pays).
On trouvera ci-après le texte de cette homélie parvenu grâce à Gérard Warenghem (Partenia 2000) :
Homélie de la fête patronale de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
« Si vous ne changez pas pour devenir comme des petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux ». C’est une parole claire, forte et hardie de Jésus qui est adressée à chacun de nous. Et c’est la bonne nouvelle pour nous qu’aujourd’hui, à l’occasion de notre fête patronale de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Il est clair, il y a un changement à faire l’intérieur de nous-mêmes, surtout pour ceux qui se prennent pour des grands, qui peuvent se permettre de faire n’importe quoi, au nom de leur position. Jésus conseille de devenir comme des petits enfants, et c’est la voie choisie par Thérèse de Lisieux, petite voie, mais voie de sainteté possible à tous!
Dans la première lecture, le prophète Isaïe (Is 66, 10-14 ), nous présente Dieu entrain de consoler les habitants de la ville de Jérusalem. L’invitation à la joie pour sa présence fidèle et définitive au milieu de son peuple, est enrichie par une nouveauté absolue de l’Ancien Testament : Isaïe nous présente, je dirais l’image maternelle du Dieu d’Israël, un Dieu qui comme une mère est en train de donner du lait à son enfant. Désormais les enfants de la promesse vont être choyés comme des petits enfants portés dans les bras et caressés sur les genoux. Au milieu de la souffrance et des calamités la parole du prophète devient parole d’espérance et de tendresse.
Voilà notre Dieu, un Dieu de tendresse et d’amour, de consolation et de joie, un Dieu qui vit au milieu de son peuple et fait vibrer ses sentiments les plus profonds. Un Dieu proche et tendre comme une mère.
Ce texte d’Isaïe a été un texte fondamental de la spiritualité de Sainte Thérèse, la découverte aussi pour elle de ce Dieu proche et tendre comme une mère. Nous avons besoin de découvrir ce visage de Dieu, proche de nous, un Dieu de bonté, de consolation et de tendresse.
Oui, ce passage d’Isaïe, nous ouvre à l’espérance et il nous invite à contempler la création renouvelée : Dieu va tout refaire à neuf. Il promet le bonheur pour son peuple qui croit en lui et lui reste fidèle, il promet et qu’il va bannir toute misère : plus de deuil, plus de larmes, plus de vieillesse, plus de famine, plus de soif.
C’est le rêve de l’homme d’aujourd’hui, c’est aussi notre rêve après toutes les années de guerre, de violences que nous avons vécues et la famine, et la destruction de 80% de nos villages…Et encore aujourd’hui nous nous demandons, avec une certaine angoisse, pourquoi tout cela ? Et cela ne va pas être seulement un rêve, mais une réalité, car Dieu en personne s’est engagé et Dieu tient toujours les promesses ; oui il y a les retards de l’histoire et les difficultés du temps présent, car nous sommes un peu endormis et nous ne nous engageons pas pour saisir l’opportunité que Dieu a mise sous nos yeux et dans nos mains.
Et le prophète dans le moment de détresse sait réveiller l’espérance : Le peuple d’Israël, de retour de l’exil de Babylone, est dans l’angoisse et l’incertitude, parce que la Jérusalem qu’ils ont retrouvée n’est pas celle qu’ils avaient laissée. Le temple est encore en ruine, mais aussi toute la ville qu’ils ont retrouvée. Et le prophète annonce avec force et conviction que tout va revivre : vous allez quitter le deuil, car moi, Dieu, je vais venir vous consoler et je vais aussi vous apporter la paix et la réconciliation.
Ce sera l’œuvre de Dieu, pas la nôtre…on peut être découragé et aussi douter et penser que Dieu lui-même ne peut rien faire contre les mauvaises volontés, l’instinct de puissance et des puissants qui sont sur cette terre qui mènent rivalités, violences, guerres, difficulté et misères… Oui nous sommes souffrants et nous pleurons le temps dur que nous sommes encore en train de vivre.
Et Saint Paul dans la deuxième lecture (Rm 8, 14-17), nous pousse à avoir du courage et nous invite à prendre en mains notre vie, avec responsabilité et engagement. L’Esprit que vous avez reçu ne fait plus de vous des ’’esclaves ‘‘ qui ont encore peur et se sentent bloqués et dépendants, mais il fait de vous des « ils » héritiers de toutes ses richesses. Nous sommes ses enfants et nous crions vers le Père en l’appelant « Abba » – « Papa ».
Je suis un enfant de Dieu, une vie nouvelle m’a été donnée le jour de mon baptême… qui doit grandir et se développer par l’instruction, la bonne santé, le bien-être qui doit être présent dans ma famille… Ce nouveau statut de ma vie doit me donner une nouvelle force pour crier et défendre mes droits et accomplir mes devoirs. Mais où est ma liberté ? Est-ce que je suis capable d’être et de vivre ma liberté qui me vient de Dieu ? Est-ce que je suis un homme, une femme libre capable aujourd’hui de choisir, de construire jour après jour mon avenir, l’avenir de ma famille, de mes enfants… ? Je ne peux plus être plein d’alcool du matin au soir… incapable de défendre mes droits, mes biens. Je dois pouvoir regarder, voir, décider, agir pour le bien de ma famille, de mes enfants. Je dois être debout… mais souvent je suis incapable de rester debout, de défendre mes droits, mes biens.
Oui, il nous faut de l’endurance, du courage pour arriver à toucher ce que Dieu nous a donné et nous donne, ce que Dieu a donné à notre pays, à notre terre et à notre sous-sol pour le bien-être de tous ses enfants. Il attend de nous des décisions responsables et fortes en hommes et femmes libres qui n’ont peur de rien, surtout quand il faut défendre nos propres biens que Dieu nous donne.
Dépasser la mentalité que « Tout ce qui se passe chez nous est normal ». Est-il normal que, jusqu’aujourd’hui, personne de nous a pu toucher quoi que ce soit de notre pétrole?
Laissons derrière nous le passé : la mentalité que « Nous avons fait toujours comme ça », libérons notre esprit pour arriver à nous mettre debout et à faire avancer et continuer à agir en notre faveur, en faveur de la personne humaine.
Une Eglise qui avance, capable de rendre visible la foi, l’espérance, la capacité de partager ce que nous sommes et ce que nous avons. C’est absurde et injuste de continuer à vivre dans la misère quand de nos terres de Kome sortent chaque jour des milliards qui s’en vont en Amérique. L’Eglise catholique, avant que les sociétés commencent l’extraction du pétrole, s’était beaucoup engagée et elle avait réussi à retarder de quelques années la date de l’ouverture de la vanne pour organiser sur place un comité de contrôle pour que les ressources du pétrole soient pour tous les Tchadiens et non le monopole d’un parti ou d’une ethnie…
Et dans l’Evangile de Saint Matthieu (Mt 18, 1-4) nous est lancé encore un défi provoqué par les apôtres quand ils posent, peut-être inconsciemment, la question : « qui est le plus grand dans le royaume des cieux » ?
La réponse de Jésus est une vraie provocation aussi pour nous aujourd’hui. « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». Celui qui se fera « petit » comme les enfants, celui-là est le plus « grand »… Oui, l’évangile de Jésus Christ est l’évangile des pauvres et des petits, des humbles. La proclamation du royaume est adressée à tous, mais ceux qui l’accueillent, sont seulement ceux qui sont comme les enfants : ils n’opposent pas de résistance à cette sagesse de simplicité. Cet enfant appelé et posé là devant tout le monde explique avec éloquence qui est le plus grand dans le royaume des cieux. Jésus appelle à une conversion radicale, un accueil total de sa Parole et de son enseignement avec simplicité comme un enfant est capable de faire et de vivre. Dans ce geste le Seigneur exige une confiance totale et une totale disponibilité et donation. C’est le même thème de l’évangile de saint Jean, de ce que Jésus a demandé à Nicodème : il faut naître à nouveau en Dieu pour accueillir le royaume. C’est le paradoxe de devenir petit pour être grands aux yeux de Dieu. Et dans ce texte l’Eglise lit, dans la lumière de l’Esprit Saint, la sainteté de Thérèse de Lisieux, qui s’est faite petite pour le Royaume, et elle est devenue une grande sainte par la voie de l’amour, de la simplicité et de la totale confiance dans son Dieu. Elle est pour nous aujourd’hui un témoin de la pureté de l’évangile et du message simple et joyeux de la nouvelle évangélisation. Ses écrits ont suscité partout admiration et consentement pour la simplicité de son témoignage et de la capacité de le vivre au quotidien.
« Jésus a mis devant mes yeux le livre de la nature et j’ai compris que toutes les fleurs qu’il a créées sont belles, si la rose reste rose elle va jouer sa place dans la beauté d’un jardin. Il a créé l’enfant qui ne connait rien et qui s’exprime seulement avec des cris, il a créé le pauvre qui habite la forêt et pour agir bien, il n’a que le guide de la loi naturelle, et le soleil qui resplendit sur toute la nature, sur les grands cèdres comme sur chaque petite fleur, comme si elle était la seule sur la terre. Ainsi le Seigneur s’occupe d’une manière toute particulière de chacun de nous comme si nous étions uniques ».
Voilà le défi que Thérèse nous propose, aussi comme réponse à cet enfant posé par Jésus devant tout le monde et qui explique avec éloquence qui est le plus grand dans le royaume des cieux. Mais c’est un défi facile car Sainte Thérèse l’a réussi dans la simplicité de sa vie, et elle l’a vécu tout au long de sa vie et elle nous assure qu’il est possible de le réussir, chacun de nous et tous. Alors bon travail derrière les pas de notre sainte patronne.
Bonne fête à tous et à toutes
Mgr Michel Russo, évêque de Doba
30 septembre 2012
Pour en savoir plus :
– http://www.spiritains.org/actuel/tchad-doba.html
– Le pétrole au Tchad : dommages « collatéraux » – L’exploitation du pétrole au Tchad et la population de la région ; Document AEFJN (Africa Europe Faith and Justice Network) téléchargeable (en pdf) ci-après : Le pétrole au Tchad-AEFJN