D’où parlent-ils ?
Par Jacques Fraissignes
Au nom de qui ces incantations destinées à sauver la famille? Les évêques de France, réunis à Lourdes, ont reçu de l’Evangile le ministère de la Parole. L’annonce de l’évangile serait-elle devenue une action de lobbying? Je n’ai pas entendu de références à Jésus dans leur discours. N’aurait-il rien à dire sur la famille?
Jésus n’a pas fondé de famille et sa propre famille est hors norme. Le mariage de ses parents n’a pas été consommé, selon la tradition chrétienne. Sa filiation demeure symbolique.
Jésus a toujours eu une grande liberté devant les mœurs de son époque. A part le rappel dans l’évangile de Matthieu de l’indissolubilité du mariage, son approche de la sexualité est très libre. Il accueille favorablement les femmes qui semblaient mettre en danger les institutions de l’époque. Il fait un rempart de son corps entre la femme adultère et ceux qui voulaient la lapider. Il ne la condamne pas. Il accueille la Samaritaine au puits de Jacob. Il note au passage que son cinquième mari n’est pas vraiment son mari et parle aussitôt d’autre chose. Il partage avec elle des sommets de spiritualité et lui donne ainsi une dignité étonnante.
Jésus est souvent accompagné d’hétaïres, ces femmes héritées de la tradition grecque qui vont cheveux au vent et discutent d’égal à égal avec les hommes. Elles se nomment Marie de Magdala, Marie de Béthanie… Pécheresses, elles le sont, aux yeux des juifs, moins par leur liberté sexuelle que parce qu’elles contestent l’ordre patriarcal établi qui veut des femmes voilées, soumises et muettes.
C’est l’une d’elles qui vient chez Simon le pharisien, tandis qu’il est à table. Sans un mot, elle lave ses pieds avec ses larmes, les sèche de ses cheveux, les embrasse et verse sur eux un parfum de grand prix. Simon, goguenard regarde la scène et se dit que le prophète qu’il a invité n’est guère clairvoyant. Jésus retourne la situation, reproche à Simon la froideur de son accueil et cite en exemple la foi de cette femme qui n’a pas dit un mot et s’est exprimée par ses seules techniques de courtisane.
Jésus n’est pas obsédé par le sexe. L’Esprit de l’Evangile peut accueillir toute personne sans acception de son mode de vie.
Quand Jésus parle de la famille, il marque sa distance. Pour entrer dans son Royaume, il demande qu’on renonce à sa famille. Il dit que cette famille sera divisée à cause de lui. « Qui sont mes frères? Qui est ma mère? Ceux qui font la volonté de mon père, voilà qui est pour moi frère, sœurs, mère. » Jésus n’est pas obsédé par la famille et il paiera de sa vie cette liberté de ton, le pragmatisme avec lequel il rejoint les personnes dans la réalité de leur vie sans être esclave des principes. Je n’ai pas entendu parler ce Jésus à Lourdes.
J’ai par contre entendu l’institution qui, au 13e siècle, s’est donné pour mission de moraliser le comportement de ses fidèles. Dans un même temps, elle a fait du mariage le 7è sacrement, imposé définitivement le célibat aux prêtres et préparé les bûchers destinés aux sodomites et aux sorcières. Faute de références évangéliques, elle a construit ce qu’elle nomme la morale naturelle qui emprunte plus à Aristote qu’à la Bible. Cette morale naturelle est incompréhensible à nos contemporains.
Les modes de conjugalité évoluent en même temps qu’évoluent les modes de vie. Concrètement, la contraception, vilipendée par Rome, a permis la création de couples de jeunes hommes et de jeunes femmes qui vivent ensemble, s’aiment et construisent leur stature d’adulte. Ils ne demandent pas la reconnaissance du mariage, n’ont pas de projet d’enfants à court terme, et se veulent provisoires. Vers la trentaine, ils décident de devenir une famille et de faire des enfants et, éventuellement de se marier pour officialiser cette famille. Dans le même temps, des couples de même sexe sont devenus visibles et reconnus par le Pacs, fruit de leur revendication. Ce Pacs a été dénoncé par Rome qui a tout fait pour qu’il ne voie pas le jour. Aujourd’hui, certains évêques le trouvent très utile et proposent qu’on améliore son contenu. Curieusement, ce Pacs a été adopté à 95% par des couples hétérosexuels. Ils y trouvent un cadre juridique protecteur et peu contraignant. Aujourd’hui, un enfant sur deux naît hors mariage. Les évêques qui se veulent défenseur de l’anthropologie ont-ils pris la mesure de cette évolution des mœurs?
Actuellement, de nombreux couples de même sexe sont devenu famille ou désirent le devenir en accueillant des enfants. Les techniques modernes proposent la PMA pour les couples de lesbiennes. Les couples d’hommes ont des enfants venus de mariages précédents. Ils adoptent, utilisent la maternité pour autrui ou la coparentalité. Ils demandent pour ces familles d’un type nouveau qu’on leur accorde la possibilité d’être mariés et de recevoir la reconnaissance sociale et la protection juridique qui en découlent. Demandent-ils seulement les droits ? Demandent-il le statut marital ? Il faut y réfléchir. En quoi la reconnaissance de ces droits enlèvera-t-elle quoique ce soit aux familles telles que nous les connaissons ? Où se trouve la supercherie ?
Les enfants ont le droit de connaître quelle est leur filiation réelle et qui les a appelés à la vie. Il faudra sans doute aménager les registres d’état civil pour qu’apparaisse le conjoint qui n’est pas géniteur et que lui soit reconnu l’autorité parentale. Ce ne serait pas le seul cas où la parentalité ne recouvrirait pas la filiation biologique.
A vouloir dire non à toute évolution comme elle le fait depuis trois siècles, quitte à prendre le train en marche par la suite, l’église de Rome se disqualifie. Certes elle a droit d’interroger la conscience de ses fidèles. Quelle le fasse dans le domaine de sa compétence qui est l’Evangile ! Elle se trouvera alors dans la perspective du concile Vatican II qui voulait cette réconciliation de l’Eglise avec le monde.
Jacques Fraissignes
Prêtre-ouvrier, membre de David et Jonathan
Source : texte transmis par l’association David et Jonathan, membre de la Fédération Réseaux du Parvis.
Source illustration :
http://nantes.cef.fr/laune/eveques-de-france-discours-douverture-de-lassemblee-pleniere
bonsoir,
je me permets de réagir ici car je l’ai fait pour l’article d’olivier bobineau
ici je voudrais dire merci pour l’ouverture et la douceur, l’invitation à la tolérance, à la bienveillance, au discernement, comme le faisait Jésus qui se montrait vraiment libre parce qu’il était mu par l’amour.
Pour autant, si son message ne comportait presque rien sur les institutions, et en particulier celle du mariage, il a beaucoup fait appel au discernement de chacun en rappelant toujours qu’on ne peut servir plusieurs maitres à la fois. Au nom de quel maitre construisons-nous nos opinions ? jusqu’où osons-nous creuser notre compréhension de l’amour quand nous prenons position ? je ne suis personnellement pas dans les clous par rapport aux règles de l’église relatives à toutes les questions qui tournent autour du mariage et de la procréation, pourtant, au fond de moi, je crois au caractère sacré du mariage tel qu’il était au temps où Jésus l’a qualifié d’indissoluble, ce mariage entre un homme et une femme à cette époque là. Je n’ai pas de justification, juste un senti qui me semble aller dans le sens de la vie, dans le sens de Dieu.