Quels enseignements tirer de la politique suédoise de réduction des déficits ?
Par Christian Chavagneux*
La Suède est le nouvel Eldorado des fanatiques de l’austérité. La façon dont le pays a réduit ses déficits dans les années 1990 montrerait la voie à suivre : baisse des dépenses, notamment d’Etat providence. Une lecture biaisée et idéologique qui montre a contrario ce qu’il ne faut pas faire.
Le conte pour enfant
Dans Le Monde éco&entreprises daté du 6 novembre 2012,** Jean-Marc Daniel nous explique comment la Suède est passée de 10 % de déficit budgétaire au plus fort de sa crise en 1993 à un excédent de 5 % en 2000. Le tout permettant aussi de relance la croissance, car, c’est bien connu, l’austérité budgétaire a des effets de relance de l’économie…
Comment réaliser ce miracle : par une réduction des dépenses publiques d’Etat providence, parce qu’on n’a pas augmenté les impôts sur les entreprises, parce que la baisse des revenus de transfert a été compensée par une baisse de l’épargne des ménages et parce que la politique économique était visible à moyen terme, ce qui favorise l’investissement. Et Jean-Marc Daniel de conclure : « à notre gouvernement de tirer les conclusions ».
Il faut d’abord souligner la pertinence de recourir à l’exemple suédois : dix ans de libéralisation financière ont provoqué une bulle de crédits qui, lorsqu’elle a éclaté, a mis le système bancaire à plat, nécessité une aide du gouvernement, mis l’économie en récession et le déficit du budget au sommet. Donc, des conditions historiques proches des nôtres.
Le gouvernement suédois a alors effectivement mis en place une sévère politique d’austérité budgétaire. Mais il faut maintenant raconter l’histoire dans son entier.
La véritable histoire
La baisse des dépenses d’Etat providence a dégradé la qualité du service public de santé et d’éducation. Le fait, notamment, de transférer les dépenses d’éducation de l’Etat aux communes, a fait que les communes riches ont, depuis, de meilleures écoles que les communes pauvres. Le résultat social général de ces décisions a été une augmentation historique des inégalités dans ce pays et qui n’a pas cessé depuis. On peut le voir, à la hausse du coefficient de Gini [1]. On peut le voir aussi à la hausse de la concentration des richesses [2] dans les mains des 10 % les plus riches : 22-23 % dans les années 1980, 27 % en 2000.
Donc première leçon à tirer : ce genre de politique augmente les inégalités. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive le FMI dans une étude récente : quand on réduit les déficits en baissant les dépenses publiques, cela accroît plus les inégalités que lorsque l’on augmente les impôts.
Les Suédois ont accepté cette dégradation de leur qualité de vie. Pour deux raisons : ils partaient de plus haut que dans les autres pays ; le pays bénéficie d’une négociation sociale de qualité [3] entre syndicats patronaux et salariés qui fait que le dialogue est possible et que les patrons ont accepté de jouer le jeu de la réduction de la hiérarchie des salaires et de la maîtrise des inégalités salariales pendant des décennies. Le système fiscal était aussi très progressif et le gouvernement a d’ailleurs à l’époque augmenté le taux marginal d’imposition.
Donc deuxième leçon : l’acception sociale de ce genre de politique est nécessaire et réclame une culture du dialogue social dans une société de faibles inégalités. En France, les inégalités ne sont pas faibles et avec le Medef lancé dans une guerre de classes, les compromis vont être plus difficiles à trouver.
Enfin, si, en dépit de cette politique, la croissance finit par revenir, c’est grâce à deux choses : un retour des excédents extérieurs, grâce à la déflation salariale qui brime les importations et à une forte dépréciation de la couronne qui donne de la compétitivité aux exportations ; une politique monétaire qui ramène les taux d’intérêt réel de 18% an pleine crise à 3% [3].
Troisième leçon à tirer : ce genre de politique ne peut être efficace que si elle s’accompagne d’une dévaluation et d’une politique monétaire qui soutient l’investissement.
Prenons donc au pied de la lettre le conseil de J-M Daniel. Pour réussir une politique de redressement des comptes publics qui passe par une forte baisse des dépenses publiques en particulier d’Etat providence, il faut que 4 conditions soient remplies :
• Un faible niveau d’inégalités de départ ;
• Une culture du dialogue social ;
• Une dévaluation ;
• Une politique monétaire qui soutient l’activité.
Aucune de ces conditions n’étant remplies, il faut s’abstenir de mettre en œuvre ce genre de politique en France.
Mise à jour : mon confrère Ivan Best de La Tribune me fait remarquer que les dépenses publiques n’ont jamais baissé en Suède, en valeur absolue (y compris une fois déflatées). Elles ont diminué en proportion du PIB, lequel a fortement progressé. C’était important de le préciser.
Christian Chavagneux
6 novembre 2012
* Christian Chavagneux est rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique.
Notes :
[1] http://inequalitywatch.eu/spip.php?article58&lang=enNB : L’indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique d’inégalités de salaires (de revenus, de niveaux de vie …). Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite où tous les salaires, les revenus, les niveaux de vie… seraient égaux. A l’autre extrême, il est égal à 1 dans une situation la plus inégalitaire possible, celle où tous les salaires (les revenus, les niveaux de vie…) sauf un seraient nuls. Entre 0 et 1, l’inégalité est d’autant plus forte que l’indice de Gini est élevé.
[2] http://topincomes.g-mond.parisschoolofeconomics.eu/ – Database: [3] http://regulation.revues.org/8931** le texte de l’article « Quand la Suède redressait ses finances publiques » est téléchargeable (en pdf) en cliquant ci-après : Suède et Finances publiques-J.M.DanielMonde