Izzeldin Abuelaïsh : « Le monde doit ouvrir les yeux ! »
Le médecin palestinien Izzeldin Abuelaïsh, vient de publier en édition de poche son ouvrage publié en 2011, « Je ne haïrai point – Un médecin sur les chemins de la paix », et adresse un message de paix aux Israéliens pour faire cesser le massacre. Anne Guion l’a rencontré et rend compte ci-après de cet entretien (lavie.fr)
Ce médecin palestinien a perdu trois de ses filles, tuées lors de Plomb durci. Je l’ai rencontré dimanche 18 novembre 2012.
J’ai rencontré le docteur Izzeldin Abuelaïsh une première fois à l’hôpital Tel a shomer à Tel Aviv, deux semaines après la mort de trois de ses filles et de sa nièce tuées lors de l’opération Plomb durci en 2009. Ce drame, vécu en direct à la télé israélienne avait réveillé les Israéliens qui jusqu’alors semblaient comme anesthésiés, devant les horreurs d’une guerre qui a fait 1450 morts du côté palestinien, 13 morts en Israël.
A l’époque, cet homme parlait déjà de paix. Il y avait là, comme une bizarrerie tant la haine dans ces circonstances paraît naturelle. « La haine est une maladie, disait-il alors. Un docteur soigne les maladies. Je ne veux pas souffrir de cela et je refuse que mes enfants en soient malades. »
Quatre ans plus tard, de nouveau les bombes tombent sur la Bande de Gaza. Izzeldin Abuelaïsh vit aujourd’hui à Toronto, au Canada, avec sa famille. Il est de passage à Paris pour promouvoir son livre « Je ne haïrai point » (éditions J’ai Lu) et parler de sa fondation Daughters for life qui promeut l’éducation des filles au Moyen-Orient. Et encore une fois, le docteur me surprend : je l’imaginais plongé dans ses souvenirs, abattu devant cette histoire qui semble bégayer. Et le voilà, certes anxieux, mais plutôt combattif.
Entretien
Propos recueillis par Anne Guion
Comment vous sentez-vous ?
Je me sens triste et angoissé devant ce qui est en train de se passer. Il y a beaucoup de blessures dans cette région du monde. Or, au lieu de les soigner, nous ne faisons que les approfondir, nous les infectons et y ajoutons du sel. Cela me rend en colère. Que pourrons-nous faire pour reconstruire les dégâts ? Je ne parle pas des destructions matérielles mais des blessures dans les esprits, des âmes abîmées par toute cette horreur. Les Palestiniens ont beaucoup souffert et continuent de souffrir. Les Israéliens sont blessés également. Or, au lieu de dépenser son énergie à guérir ces plaies, le gouvernement israélien rajoute des blessures aux blessures : il ne fait qu’augmenter la haine et élargir le fossé entre Palestiniens et Israéliens. Ce n’est la première fois : que veulent les leaders israéliens ? Ils ont déjà échoué en agissant comme cela ! La sécurité d’Israël a-t-elle été renforcée après Plomb durci ? Non. Pourquoi ne changent-ils pas d’approche ? Tout ce qu’ils peuvent obtenir en agissant ainsi est l’accroissement de la peur.
Pourquoi alors le gouvernement israélien recommence-t-il, selon vous ?
Par orgueil, par ignorance. Et parce que la communauté internationale ne joue pas son rôle d’arbitre. Celle-ci doit lever la voix et dire stop, arrêtez le massacre. Si on ne traite pas le patient lorsqu’il perd son sang, il va mourir. Nous devons réagir, maintenant. Ce nouveau pic de violence est un test pour la communauté internationale. Nous sommes comptables de nos actes.
Croyez-vous vraiment que celle-ci pourrait agir cette fois-ci ?
Je viens de rencontrer Stéphane Hessel. Il m’a dit « Rien n’est impossible dans cette vie, l’Union soviétique était un Empire et aujourd’hui, elle n’existe plus ! » Personne ne sait ce qui arrivera demain. Le monde peut se réveiller et réaliser l’intérêt qu’aurait la communauté internationale à arrêter cette injustice. L’un d’entre eux est que cela permettrait de sauver les Israéliens d’eux mêmes. Ou plutôt de sauver le peuple israélien de ses leaders qui eux, sont dans un processus d’auto-destruction. Nous sommes à un moment clé. Le monde commence à ouvrir ses yeux et regarder. Avec Internet et les réseaux sociaux, celui-ci est devenu un livre ouvert. Il n’a jamais été aussi petit. Les gens se font aujourd’hui eux-mêmes leur propre idée de ce qui se passe.
Avez-vous eu des nouvelles de membres de votre famille, encore à Gaza ?
Je les ai eus au téléphone il y a quelques heures. Ils étaient en vie quand je les ai appelés, mais tout peut arriver. Les Palestiniens de Gaza sont ma famille ! C’est une grande famille. Et c’est comme s’ils attendaient en ligne pour la mort. Personne n’est en sécurité. Vous savez, les enfants forment la moitié des habitants de Gaza. Le monde doit ouvrir les yeux : il ne s’agit pas d’une guerre entre des combattants mais d’une tragédie humaine !
Voici son message aux israéliens (vidéo)
Source : http://www.lavie.fr/sso/blogs/post.php?id_post=2180&id_blog=67
A LIRE :
« Je ne haïrai point – Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix », Izzeldin Abuelaish, Ed. J’ai Lu – Poche, Série Témoignages, 6,90 €, Nov. 2012.
Présentation de l’édition originale publiée en 2011 (Ed. Laffont) :
Le docteur Izzeldin Abuelaish est né dans la bande de Gaza. Son enfance, marquée par la pauvreté et la peur, fut celle que connaissent toujours ceux qui grandissent dans les camps de réfugiés palestiniens. À force de travail, l’enfant pauvre est devenu médecin, spécialiste reconnu dans le monde entier pour ses recherches sur l’infertilité. Grande figure de la médecine palestinienne, il est appelé à traverser la frontière pour travailler dans les hôpitaux israéliens ou il noue des relations professionnelles et amicales très étroites. Se forgent alors des sentiments d’empathie et d’estime qui interdisent la haine, effacent les préjugés et les généralisations. Le 16 janvier 2009 une roquette israélienne vient frapper la maison d’Izzeldin, tuant trois de ses filles et sa nièce. Au moment du bombardement, le médecin était au téléphone en train de témoigner sur la situation à Gaza, dans l’émission de son ami, présentateur vedette de la télévision israélienne. Les images en direct de la tragédie, les cris d’horreur et les appels au secours d’un père désespéré, vont faire le tour du monde. Dans son livre, le Dr Abuelaish raconte son histoire, en même temps que la vraie vie quotidienne des Palestiniens à Gaza, leur souffrance, leurs humiliations, prisonniers entre les contrôles des autorités israéliennes et la tutelle militariste et sectaire du Hamas. Mais il nous livre aussi le témoignage courageux et digne d’un véritable humaniste qui a consacré sa vie à la médecine et à la réconciliation entre Palestiniens et Israéliens. Frappé de manière si injuste et si cruelle par le destin, Izzeldin Abuelaish a refusé de sombrer dans la haine, choisissant de continuer, au nom de ses filles, son combat pour la paix.
Source : http://www.laffont.fr/site/je_ne_hairai_point_&100&9782221122853.html