Lettre ouverte aux évêques de l’Eglise catholique en France
Par Laurent Laot
Dans cette lettre que je vous adresse, évêques de l’Eglise catholique en France, sous un angle très particulier mon propos porte sur le projet de loi relatif au mariage de couples homosexuels et à l’adoption d’enfants par ces couples. Il s’applique à la ligne qui, face à ce projet législatif, paraît s’imposer à suivre et faire suivre par vous depuis votre Assemblée plénière à Lourdes, début novembre. Ce, dans la logique des orientations qu’y a préconisées le Cardinal André Vingt-Trois en la matière.
C’est une ligne d’opposition ferme et résolue. En outre, si l’on comprend bien, tous les membres de l’Eglise catholique se devraient de la partager. De plus, sur cette base, ils sont incités à mettre la pression, par voie de courrier et de manifestation, sur les députés et les sénateurs, et donc à peser sur le déroulement du processus parlementaire.
Quant à votre refus d’accepter la perspective selon laquelle pour des couples homosexuels pourraient se légitimer mariage et adoption d’enfants, je le vois comme un point de vue qui peut tout à fait se comprendre. Et, plus qu’à écouter, il est à entendre, bien sûr, pour le moins avec autant d’égard, je dirais, que celui de ceux qui pensent le contraire.
Mais il y a quelques problèmes à mes yeux dans la manière de présenter votre point de vue et de chercher à le faire valoir. Je voudrais m’en expliquer, quitte à faire des détours réflexifs un peu décalés ainsi qu’un tri dans les éléments d’interrogations possibles. Je m’abstiens par exemple de questionner un trait de curiosité intéressante du discours évolutif tenu dans votre univers épiscopal : dénigré hier, le PACS est aujourd’hui crédité de qualités.
Le premier problème que je prends en compte tient à ce que justement en toutes choses humaines l’égard implique une attente de réciprocité. En ce sens, j’aurais souhaité que vous cherchiez à témoigner envers ceux qui ne partagent pas votre façon de voir, d’une attitude plus conforme à celle que vous attendez d’eux. Permettez-moi de le dire ainsi : la considération, vous la désirez envers vous, envers votre position, faites-en donc davantage preuve envers les autres, envers leur position.
Une considération de bon aloi envers l’autre que soi se donnait à sentir dans le texte publié sur l’objet du projet de loi concerné, en septembre 2012, par le Conseil Famille et Société de votre Conférence nationale. Elle s’y accompagnait en cohérence d’une tonalité à connotations autant interrogatives qu’affirmatives. D’où l’étonnement d’observer que depuis novembre, elle tend à devoir céder la place à son exact contraire : une absence de considération, avec un énoncé d’une totale assurance, sans nulle trace d’incertitude assumée.
C’est le « tout noir » qui prévaut pour parler de l’autre contre le « tout blanc » s’agissant de soi ; en sens de l’humain, l’exclusivité du « bon » chez soi, contre celle du « mauvais » chez l’autre. Je remarque aussi que l’exposé de ce verdict ne craint même pas d’user d’expressions pour le moins désobligeantes, sinon davantage – par exemple : « supercherie », « on veut casser le mariage » – , vis-à-vis du dispositif légal envisagé et de ses initiateurs.
En corollaire, découle un second problème. L’argumentaire et les options d’action préconisée en direction du législateur paraissent d’emblée valoir sentence implicite de disqualification dans l’hypothèse où il ne s’alignerait pas sur votre point de vue. Autrement dit, pour autant qu’il persisterait dans une démarche législative sur une question de société en visant à se conformer aux règles ordinaires en démocratie ordonnée selon un esprit de laïcité et sous référence aux droits de l’homme.
J’espère me tromper sur ce point. J’aimerais en être sûr. Je souhaiterais donc que vous disiez en clair ne pas ignorer que cette démarche-là comporte de quoi lui trouver du sens positif d’ordre humain. Et que, par ailleurs, vous sachiez reproduire ce que certains de vos prédécesseurs ont su faire en d’autres circonstances – par exemple, dans les années 1970, s’agissant de la Loi Veil : inviter les membres de l’Eglise catholique à une attitude compréhensive et respectueuse de principe envers le législateur.
Par-delà, leur recommander de reconnaître de la valeur aux marques caractéristiques de la procédure parlementaire qui va s’engager, voilà qui conviendrait mieux encore à coup sûr. En particulier, l’une de ces marques mériterait une mise en relief par vous. La marque suivante : sur les questions de société, moment délibératif de la libre confrontation entre tous les points de vue en présence, le travail parlementaire a pour objectif ultime de rechercher les conditions d’un compromis acceptable par une majorité, tout aussi bien pesé que possible sous l’horizon des références de sagesse en humanité.
Un autre problème me préoccupe, lié à votre insistance sur le débat. De la part de quiconque, dans le cas présent insister en regard de la société pour demander un débat sur la question dont il s’agit relève à mes yeux d’étrangeté en mode surréaliste. Car un tel débat existe depuis longtemps, large et profond, sur la place publique. Et il est appelé à déployer toute son amplitude en sa forme décisive dans l’enceinte parlementaire.
De votre part, une telle insistance apparaît plus que paradoxale. Même, lorsqu’elle s’accompagne, à propos du style de débat, de précisions qualificatives du genre « réel », « véritable », avec des détails pour signifier des comparaisons avec d’autres moments législatifs. En soi l’idée ainsi précisée est recevable, bien entendu. Mais elle se trouve avancée par des responsables d’une institution, l’Eglise catholique, qui, elle, s’abstient plus que jamais d’assumer l’exigence de n’importe quelle forme de débat en son sein. Voilà qui étonne quelque peu dans le « monde de ce temps », pour reprendre une expression si emblématique de Vatican II.
Sur toute question de société, à l’interne ecclésial, avant une prise de position d’instance épiscopale destinée à indiquer une éventuelle ligne commune à suivre, on s’attendrait à ce que soit organisé un débat en bonne et due forme. Cela n’a pas eu lieu, à ma connaissance. Entre vous, évêques, au cours de votre Assemblée plénière de novembre, du débat a existé peut-être. Mais vu le principe « à huis clos » qui régit vos échanges, nul ne le sait. Ce qui vaut non-existence – regrettable – dans l’ordre public. Ailleurs, à l’échelle nationale en tout cas, le débat n’a pas eu droit de cité, sous aucun genre qualifiable de public.
Comment expliquer un tel fonctionnement de la vie ecclésiale ?, l’interrogation désigne une autre face du problème. Car, force est d’enregistrer un grand écart. Il y a votre ligne, alors que, quant à eux, bien des membres de l’Eglise catholique se retrouvent en accord avec la perspective inscrite dans le projet de loi concerné. Plus nombreux encore, sont ceux qui appuient la logique de la démarche législative en la matière, quoi qu’il en soit de la position personnelle qu’ils adoptent sur son objet particulier.
Au vu de tout cela, pour conclure je dirais qu’il en va, non seulement de votre crédit moral, mais aussi de celui du catholicisme en son entier dans le cadre français. Et puis, par souci des enjeux ecclésiaux je ne peux m’empêcher de vous rappeler une idée-force qui a la Tradition multiséculaire de l’Eglise catholique pour elle. Revalorisée par Jean XXIII, et insérée dans le dernier texte adopté à Vatican II, Gaudium et spes, c’est l’idée ainsi traduite du latin en langue française : « Unité dans le nécessaire, liberté dans le doute, en toutes choses la charité. »
Laurent LAOT*, 09/12/2012
* Prêtre du diocèse de Quimper, auteur, parmi d’autres, des livres suivants parus en fin 2012 :
– De la laïcité. Chemin(s) faisant, éditions du Temps Présent
– Le Principe catholique à l’épreuve, éditions Golias
Source photo : Claude Naud