Libor : la manipulation était « routinière et généralisée » chez UBS
Par Eric Albert
Une manipulation à grande échelle, qui a duré cinq ans et a impliqué au moins 45 personnes au sein d’UBS, dont certains hauts dirigeants de la banque suisse. La lecture des rapports des régulateurs financiers helvétique, américain et britannique, qui ont condamné UBS, mercredi 19 décembre, à une amende de 1,1 milliard d’euros, ne laisse aucun doute sur l’ampleur de la fraude.
La City, à Londres, principal centre de la finance mondiale
Le scandale de la manipulation du Libor [1], c’est-à-dire les taux auxquels les banques se prêtent entre elles, rattrape donc la banque suisse, après la britannique Barclays, condamnée en juin pour des faits similaires. Si le montant de l’amende était connu depuis quelques jours, le détail de la condamnation par les régulateurs est désormais public. Et il accable UBS.
« Ses mauvaises pratiques sont plus graves [que celles de Barclays] parce qu’elles y étaient plus répandues, (…) et plus d’individus, y compris des cadres et des cadres supérieurs [senior managers], ont participé à la manipulation », explique la FSA, le régulateur britannique.
La justice américaine a aussi annoncé l’inculpation pénale de deux salariés d’UBS. Tom Hayes, un Britannique de 33 ans, et Roger Darin, un Suisse de 41 ans, sont poursuivis pour respectivement « fraude et entente sur les prix avec un concurrent », et « complicité ». Au moment des faits, le premier était trader au Japon, jouant sur le Libor libellé en yens, le second était chargé de soumettre les taux.
Le Libor et son équivalent européen, l’Euribor, sont calculés chaque jour sur la base des déclarations des établissements financiers eux-mêmes. Déclinés dans de nombreuses devises, ils servent de référence à des milliers de milliards de dollars de transactions.
Entre 2005 et 2010, de nombreux courtiers d’UBS les ont manipulés à la hausse ou à la baisse, en fonction de leurs prises de position du moment. Les régulateurs ont trouvé dans les ordinateurs et les courriels des traders les preuves de 2 000 tentatives de manipulation, sans compter « d’innombrables demandes orales, par leur nature non documentées ». La fraude était « routinière et généralisée », si bien que « l’intégralité des taux soumis par UBS (…) peut avoir été manipulée », note la FSA.
COLLUSION
Comme pour Barclays, la fraude s’est déroulée en interne et en entente avec d’autres établissements financiers. Un courtier basé à Tokyo, sans doute M. Hayes, a ainsi contacté quatre autres banques, leur demandant de légèrement modifier leurs taux. En échange, il était prêt à faire de même quand celles-ci en avaient besoin. Il s’appuyait aussi sur les maisons de courtage, qui relayaient ses besoins auprès des autres banques. En échange, il gonflait artificiellement leurs commissions.
Pour la première fois dans l’affaire du Libor, plusieurs cas de corruption sont mis au jour : pendant dix-huit mois, UBS a versé des honoraires fictifs de 18 000 euros par trimestre à plusieurs des courtiers qui acceptaient de l’aider.
C’était une manipulation internationale, coordonnée à l’échelle de la planète finance. La banque centrale de Hongkong a d’ailleurs aussi annoncé, jeudi, l’ouverture d’une enquête visant UBS.
La condamnation de Barclays avait déjà démontré le phénomène de collusion, mais son ampleur devient de plus en plus apparente. L’affaire est de fait bien loin d’être finie : une vingtaine de banques seraient impliquées.
Par Eric Albert – Londres Correspondance
20.12.2012
Source :
[1] LIBOR : nom formé à partir des initiales de la dénomination anglaise London InterBank Offered Rate (en français : taux interbancaire pratiqué à Londres). Il constitue un taux de référence du marché monétaire de différentes devises.