Une voix de Palestine : Mazin Qumsiyeh
Le professeur Mazin Qumsiyeh est enseignant-chercheur dans les universités de Bethlehem et de Birzeit en Palestine occupée. Il est président de la commission du Centre Palestinien pour le Rapprochement entre les Peuples et coordinateur du Comité Populaire contre le mur et la colonisation à Beit Sahour. Il est l’auteur de « Sharing the Land of Canaan : Human rights and the Israeli/Palestinian Struggle » (Partager le pays de Canaan : les droits de l’homme et la lutte israélo-palestinienne) et de « Popular Resistance in Palestine : A history of Hope and Empowerment » (La résistance populaire en Palestine[1]). Il a accepté de répondre aux questions que lui a posées Philippe Lewandowski pour « Démocratie & socialisme ».
P.L. : Qu’est-ce que les Palestiniens attendent ou espèrent de leurs organisations politiques (je n’ose pas écrire représentants) ?
M.Q. : Le peuple palestinien, comme n’importe quel autre peuple, a des penchants et des visions politiques variés. Il est naturel d’avoir des partis politiques divers. Nous sommes bien entendu unis pour demander les droits des Palestiniens, en particulier le droit des réfugiés au retour et le droit à l’auto-détermination. À la différence des peuples dans des sociétés libres, nous devons faire de la politique bien que nous soyons sous occupation, et nous attendons des dirigeants une perspective qui nous montre une voie claire vers la liberté et la justice.
P.L. : Qu’est-ce que les Palestiniens attendent ou espèrent des gouvernements arabes ?
M.Q. : Nous souhaitons que de nombreux gouvernements arabes cessent leur collusion avec l’ordre du jour américain et israélien d’hégémonie sur le monde arabe. Si nous osions souhaiter plus, nous leur demanderions de nous aider dans notre juste lutte.
P.L. : Qu’est-ce que les Palestiniens attendent ou espèrent des gouvernements occidentaux ?
M.Q. : Nous souhaitons également que de nombreux gouvernements occidentaux cessent leur collusion avec l’ordre du jour américain et israélien d’hégémonie sur le monde arabe. L’Europe en particulier a rehaussé l’économie israélienne (principal partenaire commercial), et a échoué à lier ses relations avec Israël au respect par ce dernier de la Charte européenne des droits de l’homme. Comme lors de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, les gouvernements occidentaux sont les derniers à embrasser des positions de principe. Des peuples de plus en plus nombreux commencent à comprendre les rapports du sionisme, des lobbies sionistes, du colonialisme, du racisme, des droits de l’homme et de la justice. Ceci est invariablement passé sous silence par les gouvernements.
P.L. : Il n’y a évidemment pas grand-chose à attendre du gouvernement israélien actuel, mais qu’est-ce que les Palestiniens attendent ou espèrent des citoyens israéliens ?
M.Q. : En Afrique du sud, quelques blancs ont rejoint la lutte contre l’apartheid. Leur nombre était petit, mais significatif pour la lutte. Il en va de même ici. Il ne s’agit pas d’un conflit israélo-palestinien, mais d’un conflit entre ceux qui soutiennent l’apartheid israélien et ceux qui s’y opposent. Nous souhaitons la bienvenue aux peuples de toutes origines qui se joignent à notre lutte.
P.L. : Et en fin de compte, qu’est-ce que les Palestiniens attendent ou espèrent du mouvement mondial de solidarité avec la résistance palestinienne ?
M.Q. : Nous, Palestiniens, avons publié un appel signé initialement par 170 organisations de la société civile, puis signé et repris par des milliers d’organisations. Cet appel est un appel succinct à l’action adressé à la société civile du monde entier. Cet appel peut être lu ici dans de nombreuses langues : http://www.bdsmovement.net [2].
Quelques heures plus tard, Mazin Qumsiyeh publiait sur son blog les commentaires et précisions suivants :
« Le gouvernement israélien a décidé avec arrogance de continuer à violer le droit international : a) Il a rejeté toutes les résolutions pertinentes des Nations Unies ; b) Il a interrompu le paiement des taxes dues aux Palestiniens ; c) Il a approuvé la construction d’encore plus de constructions d’implantations coloniales sur des terres palestiniennes ; d) Il a suborné et fait chanter des hommes politiques du monde entier pour éviter toute mesure concrète de rétorsion. Alors que tous les gouvernements (y compris celui des États-Unis) ont protesté verbalement, la plupart ont échoué à prendre la moindre mesure concrète contre l’apartheid israélien commettant des crimes contre l’humanité. En fait, quelques pays européens et les États-Unis font pression sur Mahmoud Abbas (dont le mandat a expiré il y a deux ans) afin qu’il n’entame aucune action sur les fora internationaux pour demander des comptes à Israël.
L’Autorité palestinienne est maintenant sur un terrain mouvant non seulement politiquement (en raison de ses divisions) mais aussi économiquement, et plus de 150.000 fonctionnaires ne seront pas payés ce mois. Tout ceci nous a rappelé, à nous Palestiniens, que la libération doit précéder la gouvernance. Nous devons compter sur nous-mêmes (avec l’aide de la société civile mondiale et de quelques gouvernements), et plusieurs choses doivent être faites MAINTENANT : le Fatah, le Hamas et les autres partis palestiniens doivent mettre en pratique leurs accords de réconciliation, et l’OLP doit être reconstruite sur des bases démocratiques pour représenter tous les 12 millions que nous sommes, afin de relever les graves défis qui nous font face. L’histoire ne pardonnera pas à des dirigeants qui sont capables de passer des accords avec leurs colonisateurs (y compris Oslo et les cessez-le-feu), mais ne sont pas capables de tisser des accords avec leurs compatriotes. Il sera alors possible d’engager une résistance populaire à grande échelle avec la participation de la grande majorité des Palestiniens sur une base solide, et d’assigner Israël devant la Cour de justice internationale pour non respects de conventions comme les Conventions de Genève, les Conventions de La Haye, et avant tout la Convention internationale pour la suppression et la sanction du crime d’apartheid. » [3]
Ce sont là des voix qu’il faut entendre.
Entretien et traduction : Philippe Lewandowski
Notes :
[1] Traduction française à paraître en mars 2013 aux éditions Demi-Lune. Cf. Un autre regard sur la résistance palestinienne, Démocratie & socialisme 194, avril 2012.
[2] Cd. BDS, Démocratie & socialisme 169-170, novembre-décembre 2009. BDS pour « Boycott Désinvestissement Sanctions » .
[3] http://popular-resistance.blogspot.fr/2012/12/israel-isolated.html, consulté le 06-12-2012.
Source : publié dans le mensuel « Démocratie et socialisme » n° 200 de décembre 2012
http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article2730
En savoir plus sur la CAMPAGNE BDS France, la réponse citoyenne et non violente à l’impunité d’Israël, visiter le site :