Mariage pour tous : égalité des personnes et des droits
C’est à l’issue de son Assemblée générale des 19 et 20 janvier 2013 que les participants dans leur diversité (plusieurs pays étaient représentés) ont voulu que NSAE (Nous sommes aussi l’Eglise) prenne une position claire.
Nous disons
• OUI le mariage pour tous existe déjà dans de nombreux pays sans avoir détruit le tissu social.
• OUI au mariage pour tous les couples, en vertu de la liberté et du respect de chaque personne et pour l’accession de tous et toutes à la même reconnaissance sociale.
• OUI nous demandons le terme de MARIAGE : assez de discrimination ! Donnons à tous les couples les mêmes droits de se construire et de faire famille.
• OUI des enfants vivent déjà au sein de couples homosexuels. La loi est le plus sûr moyen de leur apporter sécurité et protection.
A la suite de Jésus, nous réaffirmons que le respect du chemin de chacun et de chacune est une vraie valeur évangélique. Jésus nous invite tous et toutes à la conversion des cœurs et à l’accueil de nos semblables, tous singuliers dans leur diversité, tous participant d’une même humanité.
– OUI la manifestation du 27 janvier est légitime : elle libère la parole.
NSAE appelle donc à y participer.
Communiqué NSAE du 20 Janvier 2013
Contacts :
Pierre Desbruyères 04 76 52 12 42
André Thireau 06 84 24 36 81 ou 09 63 24 82 04
NSAE 68 rue de Babylone 75007 Paris – nsae@numericable.fr – www.nsae.fr
LE MARIAGE POUR TOUS.
Tout d’abord, je me permets d’ironiser sur le fait que des lesbiennes demandent « le mariage » alors que ce terme signifie, étymologiquement parlant, « mettre une femme en puissance de mari ».
Plus sérieusement, nous sommes affrontés à une revendication massive d’un « mariage pour tous » s’appliquant aux hétérosexuels, aux homosexuels et aux lesbiennes.
Parallèlement, notre église se dresse, majoritairement semble-t-il, contre cette demande.
J’ai donc voulu réfléchir à cette question et je me suis aperçu que je m’attaquais à un problème extrêmement complexe dont les ramifications s’étendent très loin dans l’histoire.
Examinons tout d’abord la situation actuelle : il y a là une très grande ambiguïté car le mot « mariage » désigne deux réalités totalement différentes, le mariage civil et le mariage religieux.
En France, tout au moins, le mariage religieux, principalement catholique, est théologiquement défini comme signe de l’union du Christ et de son église, d’où son caractère d’indissolubilité. Ce sacrement ne date en réalité que du Xe siècle environ, ce que Georges Duby a parfaitement démontré dans son livre « le chevalier, la femme, le prêtre ». Le but de sa création à l’origine était principalement de permettre à l’église de contrôler les transmissions de patrimoine entre les familles nobles, à travers les conditions de licéité de l’union (éviter la consanguinité). Cette cérémonie a été étendue à toutes les classes de la société vers le XIVe siècle et a permis la mise en place d’un état civil contrôlé par l’église. Les non catholiques échappaient donc à ce contrôle, ce qui a entraîné des difficultés certaines pour le contrôle des populations « hérétiques ». Il faut bien noter que cette situation était logique, puisque le principe, français tout au moins, était celui du «hujus regio,cujus religio » c’est-à-dire « la religion du roi est la religion du royaume » : les hérétiques étaient donc littéralement des apatrides.
Pendant des siècles, l’église catholique a donc tenu les registres d’État civil et c’est à ce monopole que s’est immédiatement attaquée révolution française, transférant à l’État l’exclusivité de la tenue des registres d’État civil.
Cependant, il est bien évident que l’église a besoin d’un contrôle de « l’état religieux » de ses ouailles et, par le concordat napoléonien, elle a pu retrouver une situation légale, tenir ses propres registres, avec la seule condition que le mariage religieux soit subordonné au mariage civil, c’est-à-dire qu’il ne peut être célébré qu’après célébration du mariage civil.
Et c’est là qu’est née l’ambiguïté : l’utilisation d’un même mot pour 2 réalités différentes, car l’église catholique a développé sa théologie du sacrement, répondant ainsi au commandement d’amour de Jésus, alors que le mariage civil est devenu une cérémonie purement contractuelle.
On peut tout de suite noter que cette ambiguïté est beaucoup moins forte en ce qui concerne les autres mariages religieux (judaïsme, islam, protestantisme même) car la cérémonie religieuse n’est pas un sacrement.
Une des premières mesures à prendre serait donc, probablement, de lever l’ambiguïté et de nettement différencier, par le vocabulaire, les 2 types d’union. On pourrait, par exemple, conserver le mariage pour le mariage civil et parler du sacrement de l’union de l’homme et de la femme au lieu de mariage religieux, et, pour rendre plus claire la chose, supprimer la dépendance de l’union religieuse par rapport au mariage civil. Il y a d’ailleurs déjà de nombreuses propositions en ce sens, y compris de la part de politiques.
Cependant, la question ne serait pas réglée pour autant.
En effet, et la demande d’un débat sur la procréation médicalement assistée en est la preuve, il y a une interrogation sous-jacente sur les rôles respectifs de l’homme et de la femme, non seulement dans le mariage, mais dans la procréation et même la place de chacun dans la société.
On ne peut que constater que la participation à la vie ecclésiale est source de contestation : en France, tout au moins, les catholiques actifs sont majoritairement des femmes dans une église dont la hiérarchie est uniquement masculine. Il se développe, d’ailleurs, actuellement, par l’intermédiaire d’un certain nombre de mouvements féminins, une réflexion sur cette situation (voir par exemple les livres de Christine Pedotti), avec, probablement, l’appui en sous-main de mouvements féministes.
Je voudrais ici revenir en arrière sur un événement, qui ne concerne absolument pas l’église, l’histoire du Rotary international.
A l’origine, le Rotary, fondé en 1905 avait pour but de réunir des hommes (exclusivement) d’affaires désirant établir entre eux des relations d’affaires honnêtes et ce n’est pas innocent si ce mouvement a pris naissance à Chicago.
Après la 2e guerre mondiale, les femmes, qui, aux États-Unis, avait pris la place des hommes dans les industries, ont voulu investir le Rotary qui s’est défendu en créant des avatars féminins : Inner Wheel, soroptimist et autres. Tout cela se révélant insuffisant, les groupes féminins ont engagé une action en justice aux États-Unis dans les années 80 sur le thème de l’égalité des sexes et l’égalité de la participation des femmes et des hommes dans le monde des affaires, ce qui a abouti à la condamnation du Rotary à admettre des femmes dans ses clubs. Le Rotary international a été contraint, par la suite, à étendre cette disposition à tous les clubs dans le monde, y compris en France.
Essayons de transposer maintenant cette manœuvre au cas de l’église catholique : que se passerait-il si, par exemple aux États-Unis, une « class action » était engagée contre l’église pour, dans un premier temps, permettre l’accès au sacrement des couples homosexuels puis, dans un 2e temps, l’accès des femmes aux différents postes de la hiérarchie catholique.
Ce n’est pas un fantasme que je suis en train d’évoquer, c’est une réalité commençante et un certain nombre d’ouvrages commencent à mettre en place les éléments pour engager un tel processus. Je pense par exemple à un roman (assez indigeste d’ailleurs) de Jacques Paternot et Gabriel Verraldi : le dernier pape – la table ronde 1998, Les pieds dans le bénitier de Anne Soupa et Christine Pedotti (4 novembre 2010), ou faut-il faire Vatican III ? de Christine Pedotti. Il existe également, sur Internet, de nombreux forums où ces questions sont discutées de façon plus ou moins confidentielle.
A l’étranger, également, en Allemagne ou en Autriche par exemple les mouvements comme « nous sommes aussi l’église » (assez différents dans ses idées du mouvement français de même nom) ou « femmes en église » semblent commencer à ouvrir un tel processus.
Pour commencer à essayer d’y voir clair dans ces problèmes, il faut connaitre ce qui était la situation de la femme avant le temps de Jésus, parce que cette situation constitue en fait une fondation de notre église actuelle.
La société traditionnelle juive était une société machiste, fondée sur un patriarcat : le Père de famille ou chef de tribu était le maître absolu, tous les autres membres de la famille ou de la tribu étaient des serviteurs (en hébreu et en araméen ’bed, unique terme signifiant serviteur), le fils aîné (successeur désigné) ayant un statut un peu particulier*.
Cette époque ne connaît bien entendu pas l’anatomie, la génétique ou le mécanisme de la conception : c’est l’homme qui est le maître de la conception : il dépose à l’intérieur de la femme une « graine », « larve » potentiel total de l’individu en devenir. Le seul rôle de la femme est d’être un réceptacle nourricier chargé du développement de l’individu.
On retrouve cette conception dans les litanies traditionnelles de la vierge Marie :
Vase spirituel, plein de l’Esprit de Dieu,
Vase d’honneur,
Vase excellent, rempli d’une rare pureté,
Rose mystérieuse,
Tour du roi David,
Vous qui êtes comme une tour d’ivoire.
La virginité de Marie est donc une conception parfaitement logique : l’Eternel dépose en son sein son fils pour le faire croître, ni Joseph ni elle n’ont donc de participation « génétique », l’un et l’autre sont donc, et pas seulement Joseph, nourriciers.
On se heurte là un problème de société : la maternité est certaine, pas la paternité. Dans une société aussi machiste que celle de l’époque, comment résoudre ce problème ?
La première méthode utilisée, c’est le mariage : affecter un époux à une femme, la mettre en puissance de mari, c’est le sens étymologique du mot mariage. C’est au mari, ensuite, de contrôler sa ou ses femmes pour s’assurer que sa descendance est bien de lui.
Les termes utilisés sont trompeurs car ils se réfèrent à des réalités actuelles : on parle de fiançailles et de mariage, mais les fiançailles de l’époque de Jésus constituent, en réalité, une affectation définitive de la femme à l’homme, c’est à cette occasion que le contrat de mariage est définitivement scellé, rendant le mariage définitif. Ce que l’on appelle, à l’époque, le mariage n’est en fait que le déménagement de la femme de la maison de ses parents à celle de son mari, une occasion de fêtes. En quelque sorte, les fiançailles, c’est ce qui est sérieux. Le mariage, ce sont les festivités.
Quand une femme devenait enceinte avant le « mariage », l’enfant était présumé être du futur mari qui devait avoir des arguments très forts pour le récuser. C’était une situation anormale mais qui ne choquait pas particulièrement à l’époque. Joseph affronte donc cette situation et il va la résoudre d’une façon totalement contraire aux mœurs habituelles. En effet, dans un premier temps, il veut se conformer à la loi d’Israël en renvoyant Marie mais en douceur, en quelque sorte. Son comportement ressemble assez au « lavement de main » de Pilate, Joseph ne veut pas apparaître comme responsable de ce qui risque d’arriver à Marie : la lapidation. Son acte, toutefois, est un acte de pitié, pas un acte d’amour. En se rappelant que dans le contexte biblique le mot ange est utilisé par respect pour la divinité, l’intervention de l’ange auprès de Joseph signifie très précisément l’intervention de l’amour. Nos yeux du XXIe siècle ont du mal à réaliser le bouleversement dans les mœurs que représente ce comportement : outrepasser la loi d’Israël, la Torah, au nom de la loi d’amour. Cette loi d’amour était en fait implicite dans la Torah : 3 des commandements du décalogue sont sous forme affirmative, ce sont ceux qui ont trait à l’amour du seigneur, du prochain, des parents. Les 7 autres commandements qui sont sous forme négative doivent se comprendre de la façon suivante : « si tu aimes, tu ne feras pas » (par exemple : « si tu aimes, tu ne tueras pas »).
Pour Jésus, le père éternel ne peut pas utiliser cette méthode parce que même si Joseph sait parfaitement que l’enfant de Marie n’est pas de lui, il ne le conteste pas et, aux yeux du monde, Jésus est son fils, c’est bien ainsi qu’il est dénommé à plusieurs reprises dans les Évangiles.
Alors, le vrai Père de Jésus, comment peut-il revendiquer sa paternité ?
Il faudrait disséquer là toute la mécanique du baptême de Jean-Baptiste (qui constitue d’ailleurs une autre ambiguïté avec le baptême chrétien). Disons que le baptême de Jésus est l’occasion pour le Père de proclamer sa paternité génétique et les termes utilisés pour cela sont très significatifs : Jésus est proclamé «uios », c’est-à-dire en grec, « fils par la semence ».
Jésus est donc affronté à une situation inédite : il a un Père « nourricier » qui l’a élevé, éduqué et voilà qu’un autre Père se manifeste comme étant son vrai Père : que va-t-il faire ? La réponse, c’est son passage au désert, un triple choix affirmé de sa part : il se reconnaît fils de ce Père qui s’est révélé et accepte la mission qui lui est confiée. Le résultat, c’est que le Père va le proclamer fils une nouvelle fois (Matthieu 12,18) mais en employant, à la place du mot uios, le mot païs qui signifie tout à la fois fils, serviteur, héritier, soumis à la volonté du Père pour recevoir sa nourriture quotidienne.
Revenons à notre époque, on voit bien les difficultés qu’il y a à transposer tout cet ensemble théologique à nos connaissances modernes en matière génétique.
Je ne dis absolument pas qu’il faut rayer d’un trait de plume toutes ces conceptions anciennes au nom d’une logique moderne, mais il ne faut pas pour autant se dissimuler les problèmes posés et trouver des réponses qui puissent être enseignées aux hommes de notre temps qui, de leur côté, devront décider s’ils les acceptent ou pas.
De leur côté les associations féministes ont bien compris le défi que cela représente et depuis une bonne vingtaine d’années une action continue s’exerce en vue de forcer la paternité et de faire en sorte que le droit civil « force l’homme » à être père. Une étude a été faite des dispositions actuelles du Code civil et de son évolution en ce sens. Très schématiquement, une action en paternité peut être engagée jusqu’à 28 ans après la naissance, l’analyse ADN peut être demandée (et refusée par le père présumé), mais en cas de refus de s’y soumettre, la paternité sera imposée sans, pratiquement, de possibilités de recours.
On voit donc que les bases nécessaires à la construction d’un droit qui inclurait la procréation médicalement assistée sont d’ores et déjà en place.
CONCLUSION.
Nous sommes, nous diacres, en contact étroit avec les fidèles, d’une part, mais aussi avec la société civile, d’autre part. C’est nous qui risquons d’être, en priorité, interpellés sur les positions de l’église en la matière.
Bien entendu, ce n’est pas à nous d’élaborer les solutions, mais c’est à nous d’être les relais de ses interrogations et nous avons donc une véritable responsabilité en ce qui concerne l’évolution de l’église à laquelle nous appartenons.
*On peut remarquer que la parabole de l’enfant prodigue illustre cela : le père a une attitude « révolutionnaire », en ce sens qu’il traite de la même façon, du point de vue de l’héritage, l’aîné et le cadet. Le mécontentement du fils aîné est donc parfaitement justifié au regard des coutumes de l’époque, d’autant que le père renouvelle son geste lors du retour du cadet.
Une des leçons que peut en tirer le chrétien (parmi beaucoup d’autres) c’est la remise en cause permanente de coutumes que l’on croit solidement établies, au nom du commandement de l’amour.