Face à la pauvreté, la politique du sparadrap
Par Thibault Gadjos
Ce n’est curieusement qu’au lendemain de son élection que François Hollande semble avoir pris la mesure de la pauvreté dans notre pays. Le président a, semble-t-il, décidé d’agir avec méthode. Une conférence nationale a été organisée début décembre 2012 [1]. Pourquoi si tard ?
Dame ! Il fallait bien que les acteurs se réunissent et consultassent ! Ce qui fut fait, avec sérieux. Sept groupes de travail ont auditionné et débattu près de trois mois et livré à la réflexion gouvernementale des rapports aussi solides que dénués de surprise, car s’appuyant sur des études connues de longue date. De tout cela ont émergé un diagnostic convaincant et un – moins convaincant – plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, annoncé lundi 21 janvier par le premier ministre, Jean-Marc Ayrault. [2]
Bien sûr, toutes les mesures annoncées vont dans la bonne direction. Mais elles sont au mieux si modestes, au pire si vagues, que leur efficacité paraît douteuse. L’exemple le plus frappant concerne la pauvreté des enfants. Aujourd’hui, en France, près d’un enfant sur cinq est pauvre. Ce constat est terrible ; il n’est pas nouveau. En 2004 déjà, le conseil de l’emploi des revenus et de la cohésion sociale publiait, sous la direction de Jacques Delors, un rapport accablant et remarqué. On peut donc se réjouir que le gouvernement se saisisse enfin de ce sujet. Que propose-t-il ?
En premier lieu, il s’engage à développer l’accueil des enfants pauvres de moins de 3 ans dans des structures collectives – crèches et école maternelles. L’efficacité d’une telle mesure est avérée ; il s’agit d’un des leviers les plus puissants pour réduire la pauvreté des enfants, mais aussi des adultes qu’ils deviendront. Cependant, l’objectif est formulé avec une prudence un peu suspecte : « A terme, la part de ces enfants dans ces structures devra au moins correspondre à la proportion qu’ils représentent parmi les enfants du même âge sur le territoire concerné, avec dans tous les cas un minimum de 10 %. » Le « terme » n’étant pas précisé, l’engagement n’est guère contraignant. Comment cet objectif sera-t-il atteint ?
Voici ce que propose le gouvernement : « Pour atteindre cet objectif, l’Etat favorisera notamment la généralisation de commissions d’attribution des places en crèches ayant recours à des critères sociaux transparents. » L’important est ici ce qui n’est pas dit : le gouvernement ne propose pas d’augmenter le nombre de places disponibles dans les structures d’accueil collectives. Or, les capacités d’accueil de ces établissements, de l’ordre de 15 % du total des enfants de moins de 3 ans, sont notoirement insuffisantes. C’est la raison pour laquelle le groupe de travail « Familles vulnérables, enfance et réussite éducative » a proposé, dans son excellent travail préparatoire à la conférence nationale, de porter ces capacités à 25 % d’ici à 2022. Cette mesure représente un investissement de 670 millions d’euros par an, et un coût de fonctionnement de 2,7 milliards à l’horizon 2022 – sans tenir compte des bénéfices en termes d’emplois directs (dans les crèches) et indirects (liés au retour à l’emploi des mères). A titre de comparaison, l’abattement de 10 % dont bénéficient les pensions et retraites pour l’impôt sur le revenu coûte 4,3 milliards d’euros par an. Il s’agit donc d’une mesure parfaitement réalisable. Le gouvernement ne souhaite visiblement pas engager une telle dépense, et préfère se contenter d’un bricolage technocratique aux effets improbables.
Le second engagement du gouvernement concerne une refonte des dépenses liées à la politique familiale. Celles-ci sont en effet mal calibrées, et profitent davantage aux ménages les plus favorisés. Ainsi, le quotient familial représente un coût annuel de 13 milliards d’euros, dont la moitié bénéficie aux 10 % des ménages les plus riches. Le groupe de travail a proposé de le remplacer par une allocation universelle. Chaque famille bénéficierait ainsi de 715 euros par an et par enfant, dès le premier enfant, et sans condition de ressource. Près de 500 000 enfants pourraient ainsi sortir de la pauvreté, réduisant à 16 % le taux de pauvreté des enfants. Ce serait un pas très significatif vers un revenu minimal garanti décent pour tous les enfants, que défend notamment Anthony Atkinson, pionnier mondialement reconnu de l’économie des inégalités.
Que propose le gouvernement ? De « lancer une réflexion portant sur l’architecture des prestations familiales dans une optique de redistribution au profit des familles monoparentales et des familles nombreuses pauvres », qui concernera essentiellement l’allocation de soutien familial et le complément familial. Cet engagement, modeste et non chiffré, soulève deux questions. Pourquoi exclure les enfants pauvres n’appartenant ni à une famille nombreuse ni à une famille monoparentale? Pourquoi se restreindre aux prestations familiales, et exclure la réforme ambitieuse proposée par le groupe de travail ? On devine la réponse : il faudrait une refonte profonde de la fiscalité. Celle-là même que le gouvernement refuse obstinément de faire.
Thibault Gajdos – CNRS
Source : article publié dans Le Monde, cahier n° 21159 « éco & entreprise » daté du 29 janvier 2013.
Photo : référence [4]
En savoir plus :
[1] « Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale » tenue les 11 et 12 décembre 2012 et préparée par 7 groupes de travail. Infos à :http://www.cnle.gouv.fr/Dossier-de-la-Conference-nationale
[2] « Adoption du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale » le 21 janvier 2013 : http://www.cnle.gouv.fr/Adoption-du-Plan-pluriannuel.html [3] « Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » (CNEL) : http://www.cnle.gouv.fr/Le-CNLE.html [4] « Ces 8 millions de Français qui n’ont rien gagné en une décennie », par I. du Roy, 18.07.2012, à :http://www.bastamag.net/article2554.html