Stéphane Hessel, le défenseur opiniâtre des droits des Palestiniens
Par Benjamin Barthe
De tous les combats auquel Stéphane Hessel, mort mercredi 27 février à l’âge de 95 ans, a prêté son enthousiasme et sa hauteur de vues, celui pour les droits des Palestiniens occupe une place à part dans son parcours. Au mois d’octobre, il avait manifesté une dernière fois sa fidélité à cette cause, en présidant la quatrième session du tribunal Russel sur la Palestine, une juridiction citoyenne, réplique de celle bâtie par le philosophe britannique Bertrand Russel et son homologue français Jean-Paul Sartre, qui avait jugé en 1966 les crimes américains au Vietnam.
Clin d’œil du destin, cette séance, consacrée aux responsabilités des Etats-Unis dans la poursuite de l’occupation israélienne et aux défaillances des Nations Unies, s’était tenue à New York, là même où le jeune Hessel avait débuté sa carrière, comme diplomate à l’ONU.
En hommage à son engagement pro-palestinien, qui l’avait mené à de multiples reprises en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l’auteur d’Indignez-vous (éditions Indigène, 2010) avait été fait en novembre citoyen d’honneur de ce pays sans Etat. « C’est vraiment très triste, réagit le poète Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’Unesco. Stéphane était quelqu’un d’extrêmement chaleureux, animé d’une énergie vitale, d’une foi inébranlable dans le droit. C’est une perte énorme, et pas que pour la Palestine. »
« IL EN EST REVENU BOULEVERSÉ »
Dans un livre de dialogue, publié en 2012, Le Rescapé et l’Exilé (éditions Don Quichotte)*, les deux hommes, uni par un même amour de la poésie, avaient évoqué leur rapport à la question palestinienne. Hessel y racontait qu’à la sortie de la seconde guerre mondiale, marqué par l’expérience de la déportation, il était favorable à la création d’Israël. « Mais il racontait aussi qu’à cette époque-là, il était, comme beaucoup, totalement ignorant de ce qu’était la Palestine, précise Elias Sanbar, coauteur du livre. C’est par la question du droit qui lui était si chère, et de son non respect par Israël, qu’il a rejoint notre cause. »
Son premier voyage dans les territoires occupés, qui remonte aux années 1990, l’incite à transformer ses convictions en actions. « Il en est revenu bouleversé, quasiment habité par le sentiment qu’il avait le devoir de parler, se remémore Leïla Chahid, la représentante de la Palestine auprès de l’Union européenne, qui était alors en poste à Paris. Il en était d’autant plus convaincu, qu’à cette époque, l’image d’Israël, qui prévalait dans les milieux intellectuels, était celle de la seule démocratie du Moyen-Orient. »
Dans les années 2000, le fringant octogénaire multiplie les déplacements dans une région en pleine ébullition. On le croise dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans la bande de Gaza, où il vient épauler un projet de l’association La Voix de l’enfant, à Bil’in, le village de Cisjordanie, emblème de la résistance contre la barrière de séparation israélienne, et en Israël aussi, où il rencontre des refuzniks, ces jeunes qui refusent la conscription, au nom de la lutte contre l’occupation.
La notoriété venant, il ne peut éviter quelques invitations officielles, par les représentants du Fatah comme du Hamas, ce qui lui vaut des critiques du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), avant d’en revenir à son goût pour les gens et le terrain. « Ce qui est beau chez lui, c’est qu’il n’appréhendait pas le droit comme une matière froide et technique, mais comme une éthique de comportement, se souvient Leïla Chahid. Qu’il défende le sans-papier qui dort sur une bouche de métro ou le Palestinien qui n’a pas de pays, il n’était pas dans l’idéologie, mais dans le vécu, dans l’empathie. »
BÊTE NOIRE DES MILIEUX PRO-ISRAÉLIENS FRANÇAIS
En 2009, l’infatigable Hessel s’insurge contre l’opération « Plomb durci », qui coûte la vie à plus d’un millier de résidents de Gaza, qualifiant les bombardements israéliens de « crimes contre l’humanité ». Il milite pour la libération de Salah Hamouri, le jeune Franco-Palestinien condamné par Israël à sept années de prison, pour son implication supposée dans un improbable complot visant à assassiner un rabbin. Il joint également sa voix à la campagne BDS (boycottage, désinvestissement, sanctions), qui lutte de façon non-violente contre l’impunité d’Israël, en appelant notamment à un boycottage des produits fabriquées dans les colonies juives de Cisjordanie.
Ce ralliement achève d’en faire la bête noire des milieux pro-israéliens français, qui, à l’instar de l’écrivain Pierre-André Taguieff, martèlent qu’il appelle à la « haine d’Israël » et qu’il s’est rangé dans le camp des « pires antijuifs ». En janvier 2011, le CRIF obtient même l’annulation d’une conférence à laquelle il devait participer à l’Ecole normale supérieure, rue d’Ulm à Paris.
« Toutes ses tentatives pour le salir ne l’ont pas affecté, assure Leïla Chahid. Sa défense des droits des Palestiniens ne s’est jamais faite aux dépens des droits des Israéliens. Il élargissait les frontières de la Palestine à une cause humaniste, universelle. » Le sachant rattrapé par l’âge, la diplomate palestinienne l’incitait ces derniers mois à ralentir le rythme de ses interventions. « Comme une vraie mamma arabe », confie-t-elle, dans un rire traversé de chagrin. Mais en vain. Hessel avait prévu de participer à l’ultime session du tribunal Russel, programmé mi-mars. Le vieil indigné refusait de raccrocher. « Il nous laisse un message, conclut Elias Sanbar, c’est qu’il faut se battre sur le front du droit, encore et encore. C’est ça ou le bain de sang. »
Benjamin Barthe
Source : publié le 27.02.2013 sur lemonde.fr/proche-orient
* A lire : « Le rescapé et l’exilé » par Stéphane Hessel et Elias Sanbar, Editions Don Quichotte , 248 pages, 16 €, mars 2012.
A écouter (Vidéo) : Stéphane Hessel et Elias Sanbar vous présentent leur livre ICI