En Bretagne, l’autonomie énergétique en marche
Le Mené développe les productions renouvelables et locales, dans une logique de diversification économique.
Reportage – Saint-Gouëno (Côtes-d’Armor) – Envoyé spécial
Par Hervé Kempf
Jacky Aignel regarde les grutiers hisser les pales en haut du mât : « Depuis le temps qu’on attendait… » L’éolienne se dresse enfin, mardi 19 mars, sous les yeux du maire de Saint-Gouëno : le résultat de longues années d’efforts pour cette petite commune des Côtes-d’Armor. L’Enercon E53, d’une puissance de 850 kilowatts, première d’une série de sept, n’est pas une éolienne comme les autres : elle résulte d’un savant montage financier visant à associer les habitants à l’investissement, afin que les retombées économiques soient bien locales.
Dès 2008, la société d’investissement coopératif Cigale a été créée. Ce sont maintenant 127 personnes qui contrôlent, ensemble, 30 % de l’investissement du parc. L’éolien participatif n’est qu’un volet de la politique énergétique de la communauté de communes du Mené, qui unit les 6 500 habitants de Saint-Gouëno et de six autres communes du centre de la Bretagne.
Sur ce territoire rural, on peut tracer un circuit conduisant d’une chaufferie à bois (fourni par les forêts avoisinantes) alimentant un réseau de chaleur, au Gouray, à une usine de méthanisation à Saint-Gilles-du-Mené, puis vers l’huilerie d’agrocarburants de Saint-Gouëno, avant d’admirer une maison passive à panneaux solaires à Plessala.
Autant d’éléments qui doivent permettre à la communauté d’atteindre son objectif : être autonome énergétiquement en 2025, c’est-à-dire produire de quoi couvrir sa consommation annuelle de 22 000 tonnes équivalent pétrole (sans doute moins à l’avenir, si la politique d’économies d’énergie porte ses fruits). En ces temps de débat national sur la transition énergétique, Le Mené est devenu un exemple de mélange d’énergies renouvelables et de décentralisation de la production que des élus de toutes les régions viennent visiter avec curiosité.
Tout est parti en 1999 du projet d’un groupe d’éleveurs porcins d’édifier une usine de méthanisation capable de digérer leur production de lisier : cette technique transforme en méthane, par fermentation, les excréments animaux. Une réflexion sur l’énergie s’est rapidement greffée à cette idée. « Nous sommes dans l’un des cantons les plus pauvres de Bretagne, explique Jacky Aignel. En tant que paysan, je cherche à travailler le plus possible en autonomie. Et je savais bien que l’énergie peu chère finirait un jour. »
Une autre préoccupation a joué : l’activité locale dépend d’un grand abattoir qui emploie 2 500 personnes, Kermené, filiale du groupe Leclerc. L’énergie pourrait être un axe de diversification, ont pensé les élus. En 2005, certains se sont rendus à Gussling, en Autriche, une commune engagée depuis quinze ans dans une démarche d’autosuffisance énergétique. « On est revenus convaincus qu’avec les déchets, les ressources de la biomasse, le vent, le soleil on pouvait faire une diversification économique à côté de Kermené, raconte Michel Fablet, maire du Gouray. Et que cela permettra de créer des emplois qualifiés. »
Après le voyage, élus et citoyens, aidés du polytechnicien Marc Théry, ancien président d’une grande entreprise, ont décidé de lancer dix projets énergétiques, qui peu à peu se sont concrétisés.
Tout n’a pas été aisé. « La superposition des structures administratives qui ralentissent les prises de décision », observe Jacky Aignel, a été un frein puissant dans l’avancement des dossiers. Les règles de l’Autorité des marchés financiers n’ont pas facilité le montage de la coopérative éolienne. Les lobbys des agrocarburants et des engrais ont mis des bâtons dans les roues de l’huilerie et de l’usine de méthanisation.
Autre difficulté : susciter la participation des habitants. « On a fait des réunions dans chaque village, raconte Michel Faiblet, on ne peut pas dire qu’il y avait foule. Il faut trouver d’autres domaines, comme l’habitat, qui concerne tout le monde. » C’est peut-être par les économies d’énergie dans le logement que l’intérêt des administrés se réveillera. « Mais, selon Marc Théry, il est beaucoup plus compliqué d’économiser 2 000 tonnes équivalent pétrole en consommation d’énergie que de faire des parcs éoliens. »
Les conditions économiques pèsent lourd : « On vise à réhabiliter 90 maisons, dit Michel Faiblet, afin de réduire leur consommation de 30 %. Les subventions couvrent 60 % des travaux, le reste est en prêt à taux zéro, mais ce prêt, les gens ont du mal à le souscrire. »
Les difficultés n’empêchent pas d’avancer. « Le plus fabuleux, ce n’est pas les bouts de tôle, c’est l’aventure humaine. Ce qu’on cultive, c’est des liens », conclut Dominique Rocaboy, éleveur de porcs et directeur de l’usine de méthanisation Geotexia.
Hervé Kempf
En complément :
Des scénarios pour sortir la région de son déficit électrique
LA BRETAGNE rêve à son autonomie… énergétique. Vendredi 22 mars s’est tenue, à Rennes, la 9e séance plénière de la Conférence bretonne de l’énergie, tandis qu’un « Scénario électrique alternatif breton », récemment publié, imagine une Bretagne presque autonome à l’horizon de 2020.
Une gageure puisque la région, qui avait refusé l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff (Finistère) puis au Carnet (Loire-Atlantique), n’assure que 10 % de sa consommation électrique de 21 térawattheures (TWh) par an.
Les responsables ont pris depuis plusieurs années la mesure d’une situation qui fait craindre chaque année, en hiver, une rupture de l’alimentation toujours tendue. En 2010 a ainsi été signé entre l’Etat et la région le Pacte électrique breton, qui vise à assurer la sécurité en combinant trois volets : de nouveaux outils de production, en renouvelables et en centrales thermiques ; des économies d’énergie ; une ligne à haute tension entre Saint-Brieuc et Saint-Nazaire. La Conférence bretonne de l’énergie suit régulièrement l’évolution de la situation.
« La région dans vingt ans »
Mais, en quelques années, le paysage a évolué. La crise économique a changé la donne et une vive contestation est née contre le projet d’une centrale thermique au gaz à Landivisiau, près de Brest. Le collectif Garantir l’avenir solidaire par l’autonomie régionale énergétique (Gaspare), opposé à ce projet, le juge inutile, nuisible sur le plan environnemental (la centrale émettrait 900 000 tonnes de CO2 par an) et trop coûteux.
Pour appuyer sa thèse, Gaspare a commandé au bureau d’études Horizons une analyse des scénarios énergétiques bretons. Elle a été présentée le 9 mars au cabinet de la ministre de l’écologie, qui a promis de la faire étudier par Réseau de transport d’électricité (RTE).
De fait, la crise a permis de réduire les prévisions officielles de consommation électrique, l’augmentation prévue en 2020 passant de 19 % à 8 %. Le scénario alternatif estime que, avec davantage d’économies et de développement des renouvelables et une interconnexion électrique avec l’Irlande et la Grande-Bretagne, la Bretagne pourrait presque atteindre l’autonomie énergétique et se passer de la centrale de Landivisiau.
La discussion se prolongera dans le cadre du débat national sur la transition énergétique avec, pour point d’appui, le terrain : « On suit très attentivement la politique mise en oeuvre au Mené, dit Christine Bertho, de Gaspare. Cela correspond à l’image qu’on se fait de la région d’ici une vingtaine d’années. »
Hervé Kempf
Source : articles publiés dans Le Monde daté du 24-25 mars 2013.