Un catholique à son Eglise
L’Appel ci-après a été lancé par Marcel Légaut dans le journal Le Monde en 1989 … et son actualité demeure, hélas, entière.
Comment ne pas se sentir solidaire des mouvements de protestation qui se font jour actuellement dans l’Eglise catholique à propos des nombreuses décisions autoritaires prises par l’institution. Celle-ci dans le passé s’est montrée incapable de préparer le peuple de Dieu à assumer les temps difficiles auxquels l’Eglise est affrontée aujourd’hui. Tant de questions ont été trop longtemps éludées.
Beaucoup d’interventions aujourd’hui sont justes et utiles. Mais elles sont faites de l’intérieur des milieux catholiques. Pour qu’elles soient plus efficaces, il faudrait qu’elles concernent un public ni seulement catholique, ni seulement enraciné dans certains courant sociopolitiques.
C’est pourquoi j’ai cru que, en liaison fraternelle avec d’autres interventions, il serait bon d’adresser un semblable appel à un public plus vaste, celui du Monde, catholique ou non, car l’avenir de l’Eglise concerne tout homme. Il faut que ce mouvement d’inquiétude et de protestation puisse être le fait de tout homme, épris de liberté et de dignité : car l’Eglise, indirectement, retentit sur tout le devenir social et culturel de mon pays, et bien au-delà.
Les Eglises ont toujours à se remettre en cause. Le passé du christianisme ne garantit en rien de l’avenir des Eglises. La foi en Jésus ne conduit pas à affirmer que l’Eglise catholique demain ne sera pas fort différente de celle d’hier.
Mon Eglise sera-t-elle capable de la mutation qui lui est nécessaire pour ne pas être condamnée à devenir seulement une secte enfermée sur elle-même sous le couvert de doctrines incompréhensibles pour la plupart des hommes, à s’enliser peu à peu dans la société des hommes, qui en viendront à l’ignorer, ou à ne voir en elle que du folklore ?
Ou encore mon Eglise se réduira-t-elle sans se l’avouer à n’être qu’une entreprise humanitaire à la remorque d’organisations qui, bien avant elle, et souvent malgré elle, se sont efforcées de faire régner plus de justice dans le monde ? Elle en a certes la tentation en faveur des pays du tiers-monde, où elle espère trouver, à moindres frais doctrinaux, un accueil plus favorable que celui des milieux plus cultivés de l’Occident. Trop souvent, des positions doctrinales ou des décisions pastorales de haut niveau viennent contredire, effectivement et pratiquement, quelques déclarations, ponctuelles et théoriques, de solidarité avec la cause des pauvres.
Ou encore se limitera-t-elle aux liturgies festives qui permettent aux individus de célébrer les grandes heures de la vie ? Se bornera-t-elle à jeter en pâture à la foule les réjouissances des pèlerinages et les kermesses des grands rassemblements ?
Faudra-t-il que mon Eglise ait à passer par une sorte de mort pour que, du milieu des ruines qui se seront accumulées au long d’un lent et continuel effondrement jaillisse de nouveau une véritable source de vie ?
Tout porte à le craindre, quand on constate combien les autorités religieuses de mon Eglise ont peine à regarder la situation avec sérieux et réalisme, à reconnaître l’importance des causes qui sont à l’origine de la crise actuelle, et à tenir compte à cet effet, des connaissances, des techniques et des conditions de vie nouvelles.
Avec quelle assurance, sans saisir leurs dimensions, ne tranche-t-elle pas de questions toujours plus complexes. Avec quelle résolution, sous-tendue de violence, elle se refuse à faire confiance aux chrétiens qui cherchent à trouver des solutions à des problèmes radicalement nouveaux ! Avec quelle hauteur elle les traite lorsqu’ils n’acceptent pas de se laisser lier aux manières de penser et aux comportements de discipline du passé ! Quel gaspillage dans le rejet de tant de bons serviteurs qui comptent souvent parmi les meilleurs !
Ce gaspillage conduit insensiblement et inéluctablement mon Eglise, malgré la présence en elle de quelques fortes et solides personnalités, à une médiocrité généralisée… Pour préparer l’avenir les autorités actuellement en place ne savent plus que se tourner vers le passé qui les a formées, qui les a promues, dont elles sont issues et qui les gardent prisonnières. C’est ainsi que meurent toutes les Aristocraties !
Et par ailleurs, avec quelle facilité le peuple chrétien n’emboîte-t-il pas le pas à ceux qui le gouvernent, qui le rassurent en se rassurant eux-mêmes ! Comme il fait de leur cécité et de leur optimisme, l’occasion de l’exercice de sa foi et de son espérance !
Sans nul doute, plus ou moins rapidement dans les temps qui viendront, les croyants qui resteront chrétiens auront à vivre leur foi dans l’isolement. Dans cette situation de diaspora, puissent-ils à quelques-uns, se rencontrer en esprit et en vérité. Réunis au nom de Jésus, souffrant ensemble de voir dans quel état de pauvreté culturelle et spirituelle se trouve leur Eglise, sans désespérer, ils recevront de lui un avenir plus digne de l’Evangile.
Un nouveau regard sur l’avenir sera ainsi donné à ces êtres de foi et de fidélité pour qui Jésus est le vivant qui a montré à tout homme le chemin à découvrir pour s’accomplir dans son humanité. Et si, par malheur, mon Eglise, momifiée par son conservatisme matérialiste manquait à sa mission, les réactions seraient tellement fortes que jamais ne s’évanouira la percussion spirituelle provoquée par Jésus. Non ! Jamais ne passeront la présence active, le souvenir actif de Jésus !
Marcel Légaut
Je souhaite que le plus grand nombre possible d’hommes et de femmes, croyants ou non, qui se reconnaissent dans cet appel, se solidarisent avec lui. De façon que cet appel soit entendu comme venant d’un grand nombre de gens, soucieux de la vitalité et de l’authenticité de l’Eglise, pour la vie et le bonheur des hommes.
Source : Appel publié sur fonds propre par Marcel Légaut, dans Le Monde du 21 avril 1989
Photo de Marcel Légaut : du site marcel-legaut.org
POUR EN SAVOIR PLUS plus sur la pensée de Marcel Légaut (1900-1990) et l’association culturelle Marcel Légaut (ACML, membre de la Fédération Les Réseaux des Parvis) consulter le site à :