L’apartheid qui ne dit pas son nom
Par Denis Sieffert
Le journaliste du Monde Michel Bôle-Richard dresse un inventaire terrible du système ségrégationniste israélien.
Ancien correspondant du Monde en Afrique du Sud, de 1984 à 1990 (les dates ont de l’importance), Michel Bôle-Richard sait de quoi il parle. En usant pour Israël du mot « apartheid », qui en afrikaner signifie littéralement « mis à part », il n’est surtout pas dans la polémique. L’analyse qu’il tire de son séjour en Israël, où il fut en poste de 2006 à 2009, et de reportages ultérieurs, s’appuie sur une comparaison difficilement réfutable. Bien sûr, on pourrait choisir le mot hébreu « Hafrada », plus discret, pour décrire la même réalité. L’hypocrisie en plus. Mais, quoi qu’il en soit, la « séparation », même si elle ne figure pas dans la Constitution israélienne, d’ailleurs inexistante, s’impose comme une évidence. Bôle-Richard parle à juste titre d’« apartheid masqué ». Car c’est bien un système de ségrégation qui s’est installé en Israël à l’encontre de ceux qu’on appelle les Arabes israéliens et plus encore des Palestiniens de Jérusalem et des Territoires.
En renfort de sa démonstration, Bôle-Richard évoque la « surprise » d’un groupe de 22 Sud-Africains, journalistes, juristes, écrivains, blancs, noirs, indiens, juifs, « venus [en 2008] se rendre compte sur place d’une réalité dont ils n’avaient pas la moindre idée ». La députée Barbara Hogan, membre du groupe, fit cette observation : « Les non-Blancs vivaient dans des zones séparées, mais il n’y a jamais eu en Afrique du Sud de route séparée, de “barrière de sécurité”, de check-point, de plaques d’immatriculation différentes, de cantonnement des zones délimitées. » Andrew Feinstein, juif qui a perdu sa mère et ses dix frères et sœurs, victimes du génocide nazi, eut cette réflexion : « Je comprends parfaitement la peur éprouvée par les juifs, mais elle ne peut justifier ce qui se passe, et je trouve triste que cela se fasse au nom du judaïsme. »
Bôle-Richard fait un inventaire quasi exhaustif de tous les dispositifs de discrimination, y compris à l’encontre de cette population souvent oubliée : les Bédouins. Le journaliste du Monde conclut par une question : « Les Sud-Africains ont su se tirer de ce mauvais pas. Est-ce que les Israéliens trouveront les ressources et la sagesse nécessaires pour y parvenir ? » « C’est en tout cas leur intérêt, écrit-il, pour préserver l’avenir de l’État juif, sous peine de devenir une minorité dans cet espace tant convoité, et par voie de conséquence de renforcer un système de ségrégation pour protéger leur identité. » On ne saurait mieux poser le problème.
A LIRE :
Israël, le nouvel apartheid, Michel Bôle-Richard, Les Liens qui libèrent, 205 p., 18 euros, Avril 2013.
Source : publié dans l’hebdomadaire Politis n° 1247 du 4 avril 2013.
• Présentation de l’éditeur :
Michel Bôle-Richard, grand reporter au journal Le Monde, évoque les similitudes entre l’Israël d’aujourd’hui et le régime d’apartheid en Afrique du sud.
S’il est un terme que les Israéliens et la communauté juive mondiale réfutent avec violence pour caractériser la situation des Palestiniens en Cisjordanie, c’est bien celui d’apartheid. Bien sûr, il ne s’agit pas du modèle qui a eu cours en Afrique du Sud jusqu’à la libération de Nelson Mandela en février 1990. Nous ne sommes plus à la même époque et les situations politiques sont différentes.
Pourtant, dans les principes et leur mise en application, les méthodes sont souvent similaires et la ségrégation des Palestiniens en Cisjordanie et en Israël est une réalité que personne ne peut nier. Comme en témoigne l’utilisation de plus en plus fréquente du terme d’apartheid dans les conversations de nombreux responsables politiques et rapports d’organisations internationales.
En attestent : la judaïsation de Jérusalem Est, la discrimination envers les Arabes israéliens, le blocus de Gaza, la politique d’expulsion des bédouins, le pillage des terres palestiniennes et leur transformation en bantoustans, la colonisation galopante, les humiliations quotidiennes des Palestiniens et l’amorce timide d’un processus international de boycottage pour protester contre cet état de fait.
Apartheid réinventé, apartheid masqué, les faits et les réalités sur le terrain sont là. Ce livre en est une illustration, un constat basé sur des donnés irréfutables.
Ce qui est plus grave est que ce système ségrégatif ne pourra que prospérer en raison du refus d’Israël de créer un État palestinien digne de ce nom et de sa volonté de vouloir maintenir le caractère juif de l’État hébreu. Vingt ans après les accords d’Oslo, le processus de paix est mort et les gens lucides ne croient plus à la solution « deux États pour deux peuples ». Alors ? Dans combien de temps les Palestiniens demanderont-ils comme les Noirs sud-africains « One man, one vote » ?
• AGIR : en participant à la campagne BDS-France [Boycott-Désinvestissement-Sanctions] : la réponse citoyenne et non violente à l’impunité d’Israël. Voir sur le site : http://www.bdsfrance.org/