Vincent Peillon, le ministre de l’éducation, entend instaurer ce nouvel enseignement, du cours préparatoire à la terminale, à la rentrée 2015. Dans un entretien au « Monde », le ministre de l’éducation détaille les modalités de cette nouvelle discipline.
La morale laïque, dont Vincent Peillon précise aujourd’hui les modalités d’enseignement, est née dans la polémique. Le ministre de l’éducation avait annoncé, à la veille de la rentrée scolaire de septembre 2012 qu’il entendait développer cet enseignement du primaire au lycée. Luc Chatel, son prédécesseur rue de Grenelle, avait trouvé une résonance pétainiste dans cette volonté de « redressement intellectuel et moral » du pays.
Pourtant, un sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France révélait la semaine suivante que 91 % des Français étaient favorables à l’initiative, dont 48 % « très favorables ». Une mission composée de l’historien Alain Bergounioux, du conseiller d’Etat Rémy Schwartz, et de l’universitaire Laurence Loeffel, a été chargée de définir le contenu de cet enseignement et de réfléchir à son évaluation. Leur rapport, que le ministre devait présenter lundi 22 avril, s’intitule « Pour un enseignement laïque de la morale ».
Entretien
Propos recueillis par Mattea Battaglia et Maryline Baumard
Eclairé par les six mois de lectures et d’auditions du rapport, comment définissez-vous le plus simplement la « morale laïque » ?
La morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs, les principes et les règles qui permettent, dans la République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. Cela doit aussi être une mise en pratique de ces valeurs et de ces règles.
Le rapport préconise un « enseignement laïque de la morale » et non plus une « morale laïque ». Est-ce une marche arrière après les critiques ?
C’est la même chose ! Mais je comprends qu’il faut rassurer sur deux points. D’abord, certains voudraient laisser penser que la morale laïque serait antireligieuse. C’est exactement l’inverse : elle est une morale commune à tous, et c’est justement son respect qui autorise la liberté et la coexistence des croyances individuelles et privées de chacun. Ensuite, la morale laïque n’est pas non plus une morale d’Etat, une « orthodoxie à rebours ». Elle est le contraire du dogmatisme et fait le pari de la liberté de conscience et de jugement de chacun : elle vise l’autonomie.
Des sondages ont aussi montré que le pays avait une envie forte que l’école se saisisse du sujet. Une mission difficile de plus pour les enseignants ?
Les parents d’élèves autant que les professeurs veulent cette morale laïque. Dans tous les établissements scolaires que je visite, les enseignants expriment clairement leurs besoins : qu’on leur permette de transmettre des valeurs, c’est-à-dire qu’on leur en donne d’une part les moyens, et d’autre part qu’on réaffirme fortement leur pleine légitimité à le faire. Ils sont au front de la crise économique et sociale, mais aussi civique et morale que nous vivons, parfois dans ce que certains ont pu appeler les territoires perdus de la République. Que la société tout entière, et les pouvoirs publics, prennent leurs responsabilités et leur dise clairement : « Nous sommes derrière vous quand vous accomplissez, en notre nom, la tâche difficile mais essentielle de transmettre les valeurs de la République ! »
Comment imaginez-vous cet enseignement nouveau ?
Le Conseil supérieur des programmes, qui est institué par la loi de refondation de l’école adoptée en première lecture et que je vais installer au début de l’automne, aura à construire une progression du CP aux classes de terminale. Il faudra des manuels et un horaire dévolu, qui ne soit plus confondu avec celui d’histoire-géographie. En partant des préconisations du rapport on peut faire une estimation : de l’ordre de trente-six heures annuelles à l’école primaire et au collège – ce qui correspond à une heure par semaine -, dix-huit heures au lycée dans la voie générale, mais aussi technologique et professionnelle, où l’on peut privilégier la logique par projets. C’est pour moi le minimum : un enseignement avec un programme, une progression du CP à la terminale, un horaire clairement identifié, une évaluation, des professeurs formés.
On aura des cours d’éducation morale ?
Articulés à l’éducation civique, oui. Le terme retenu dans la loi et approuvé par l’Assemblée nationale est « enseignement moral et civique ». Et il faut aussi, dans le secondaire, imaginer des modules interdisciplinaires autour d’une question morale, sur le modèle des travaux personnels encadrés (TPE) du lycée général. L’enseignement de la morale doit être un projet collectif. C’est pourquoi, comme les rapporteurs, je considère que tous les professeurs doivent pouvoir transmettre cet enseignement, seuls ou en interdisciplinarité. Chacune des disciplines a son rôle à jouer, et la vie scolaire aussi. C’est aussi pour cela que je fais rédiger une charte de la laïcité, qui sera affichée dans tous les établissements à partir de la rentrée, et que la loi de refondation préconise d’inscrire la devise républicaine sur le fronton de chaque établissement scolaire.
Ce ne sera pas simple pour les enseignants…
Je retiens l’idée exigeante émise dans le rapport de deux modules de formation proposés à tous les futurs enseignants ainsi qu’aux personnels d’éducation dans les deux années que durera leur formation dans les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). L’un portera sur l’enseignement moral proprement dit, l’autre sur la laïcité et les valeurs de la République. L’approche doit être à la fois théorique, pédagogique et didactique. Le premier module doit débuter dès septembre, lorsque les ESPE ouvriront leurs portes. Le second dépend largement des programmes et devra donc commencer en 2014.
Vous tenez à ce que les élèves soient évalués dans cette discipline ?
Le rapport préconise une épreuve pour le DNB, le diplôme national du brevet, et une évaluation en cours d’année en fin de lycée. Mais l’évaluation n’est pas nécessairement la notation sur 20. Nous aurons à préciser cela dans le travail qui va maintenant commencer. Mais ce qui est certain c’est que sans évaluation, comme sans horaire dédié, il n’y aura pas de réalité de cet enseignement !
Cet enseignement débutera-t-il à la rentrée 2014 ?
Les contenus, la progression, l’évaluation et l’articulation au socle commun de connaissances, de compétences et de culture devront être discutés au sein du Conseil supérieur des programmes. Il faut deux ans pour mettre en oeuvre un nouvel enseignement, surtout si l’on veut se donner le temps d’une consultation sérieuse et large des enseignants. Je pense essentiel de faire en sorte que les professeurs et les personnels puissent s’approprier le projet. Je veux aussi que la formation des enseignants ait commencé avant le début de la mise en oeuvre ! Le cap est donc plutôt pour la rentrée 2015.
Des mesures de moralisation de la vie publique vont être présentées mercredi en conseil des ministres. Sur le long terme, la morale à l’école en fait partie ?
Nous vivons une crise économique et une crise sociale mais aussi une crise intellectuelle et morale. Nous sommes dans une société de la liberté qui doit réfléchir à ses modèles, où l’équilibre entre les droits et les devoirs est rompu, le lien entre l’individu et le commun défait. Tout le monde partage cette analyse. Mais alors comment le réinstaure-t-on ? Comment remet-on l’économie, le politique, au service d’un bien commun, lui-même à redéfinir ? Rappelons-nous qu’il a fallu que la République échoue plusieurs fois pour qu’on comprenne qu’elle ne s’établirait pas par une simple révolution dans les intérêts, mais qu’elle supposait une éducation des consciences. La démocratie républicaine a besoin de l’instruction et de l’éducation. Et celles-ci doivent transmettre les valeurs communes qui seules permettent le respect et la coexistence des libertés individuelles et de la dignité de chaque personne, mais aussi des vertus personnelles nécessaires au bien commun.
Propos recueillis par Mattea Battaglia et Maryline Baumard
Source : publié dans Le Monde daté du 23 avril 2013.
En savoir plus : télécharger (en pdf) le rapport (66 pages) en cliquant ci-après :