Made in Germany
Il s’agit de l’ouvrage récemment publié par Guillaume Duval : « Made in Germany – le modèle allemand au-delà des mythes », particulièrement bienvenu pour comprendre la réalité et susciter la réflexion hors des idées reçues simplistes véhiculées par les médias dominants. L’éditeur (Le Seuil) présente ainsi l’ouvrage [1] : « Que ne lit-on et n’entend-on pas en France sur le modèle allemand ? On fait en particulier très régulièrement l’éloge de la rigueur budgétaire allemande, et de la capacité de nos voisins à accepter de lourds sacrifices pour restaurer la compétitivité de leur industrie. Or, explique Guillaume Duval, ce ne sont pas là les véritables raisons des succès actuels de l’économie allemande.
Cette réussite est due surtout aux points forts traditionnels du pays : un système de relations sociales très structuré, un monde du travail où le diplôme ne fait pas tout, un pays où l’entreprise n’appartient pas aux actionnaires, une forte spécialisation dans les biens d’équipement et les technologies vertes, une longue tradition de décentralisation qui permet de disposer partout d’un capital financier, culturel, social, humain suffisant pour innover et entreprendre, etc. Au cours de la dernière décennie, le boom des pays émergents a permis à l’industrie allemande de profiter pleinement de ces atouts.
Au contraire, la profonde remise en cause de l’État social, menée au début des années 2000 par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, a probablement fragilisé le modèle allemand : le développement spectaculaire de la pauvreté et des inégalités menace son avenir.
On l’aura compris, ce qu’il faudrait copier ce sont plutôt les caractéristiques traditionnelles du modèle allemand que les réformes récentes qui y ont été apportées. Il n’est cependant jamais aisé de transposer les éléments d’un modèle national lié à une histoire particulière. Une meilleure compréhension de la société et de l’économie allemandes par les Français est en revanche indispensable pour réussir à imaginer ensemble un avenir pour l’Europe. »
Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques. Ingénieur de formation, il a travaillé pendant plusieurs années dans l’industrie allemande. On trouvera ci-après un entretien dans lequel l’auteur répond aux questions de Jean-Michel Drevon pour l’Institut de Recherche de la FSU.
Entretien
• Pourquoi un livre sur l’Allemagne maintenant ?
L’Allemagne s’est, pour l’instant, moins mal sortie que les autres pays européens de la très grave crise économique et financière commencée en 2007-2008 et l’industrie de notre voisin est la seule à avoir réussi à exporter massivement hors du vieux continent. De ce fait le « modèle allemand » est devenu la référence incontournable dans le débat public en France comme en Europe. Selon l’opinion dominante, les succès (relatifs) récents de l’Allemagne sont dus avant tout aux « réformes » mises en œuvre par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder au début des années 2000. Des réformes qui ont eu pour conséquence d’accroître fortement la part des profits dans la valeur ajoutée outre Rhin ainsi que la pauvreté et les inégalités. Pour que la France et la zone euro sortent enfin de leur crise, il faudrait donc copier ces réformes « courageuses ». J’ai voulu écrire ce livre parce que ce diagnostic me paraissait totalement erroné car il repose sur une profonde méconnaissance des véritables points forts de l’économie allemande : en réalité, notre voisin s’en sort non pas grâce à Schröder mais plutôt malgré Schröder.
• Que met en lumière votre livre, sur les principales différences entre la France et l’Allemagne ?
Malgré la mondialisation et plus de cinquante ans d’intégration européenne, ces différences – qui ont des racines très anciennes – restent très profondes. L’Allemagne est tout d’abord un pays qui n’a jamais été centralisé et où, sur tout le territoire, on trouve suffisamment de capital financier, mais aussi et surtout culturel et humain, pour innover et investir. C’est aussi un pays où le travail industriel est respecté, où les corps intermédiaires – syndicats de salariés mais aussi organisations patronales de branche – sont puissants ce qui permet de limiter le rôle de l’Etat. C’est un pays également où les entreprises n’appartiennent pas vraiment aux actionnaires car les représentants des salariés disposent de pouvoirs déterminants en leur sein avec un droit de veto des comités d’entreprise sur de nombreuses décisions managériales et la moitié des sièges pour les salariés dans les conseils d’administration. C’est un pays également qui ignore le PDG tout puissant à la française. C’est aussi un pays d’émigration qui n’a quasiment jamais eu de colonies où les gens ont de longue date l’habitude de sillonner le monde pour vendre des produits allemands sans compter sur l’Etat pour leur ouvrir les portes. Tous ces éléments anciens ont doté le pays d’une industrie exportatrice de longue date nettement plus puissante qu’en France. Plus récemment cet avantage structurel a encore été renforcé par trois évolutions. Le recul démographique allemand a notamment conduit à une absence totale de bulle immobilière qui a permis une modération salariale sur longue période ; l’industrie allemande a pleinement tiré profit de l’intégration des Pays d’Europe centrale et orientale (PECO) dans l’Union pour améliorer sa compétitivité-coûts en s’approvisionnant massivement chez eux en composants et sous-ensembles à bas coûts ; elle a enfin profité à fond de l’explosion de la demande des pays émergents pour les biens d’équipement et les automobiles haut de gamme, secteurs dans lesquels l’industrie allemande domine de longue date l’industrie française. Bref, les bonnes performances de l’industrie allemande comparée à l’industrie hexagonale s’expliquent par un ensemble de différences qui ont en commun de ne rien devoir aux réformes de Gerhard Schröder.
• Le fait d’avoir travaillé en Allemagne a-t-il été un apport à vos connaissances de journaliste économique ? Absolument et plus généralement d’ailleurs le fait d’avoir travaillé une quinzaine d’années dans l’industrie avant de basculer dans le journalisme économique. Cela m’aide beaucoup en effet à appréhender de façon plus concrète, à donner de la chair et du contenu aux problématiques économiques que nous traitons qui restent très abstraites lorsqu’on ne les aborde qu’à travers les données macroéconomiques. Je suis persuadé que si mes collègues souvent très libéraux de la presse économique avaient travaillé quelques années dans l’économie réelle avant de devenir journalistes au lieu de débarquer dans les rédactions bardés de certitudes, tous frais émoulus de leurs universités ou grandes écoles prestigieuses, ils tiendraient des discours moins stupides sur l’économie…
Propos recueillis par Jean-Michel Drevon
11 février 2013
[1] http://www.seuil.com/livre-9782021097795.htmSource : http://institut.fsu.fr/MADE-IN-GERMANY.html
A LIRE : Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes, par Guillaume Duval, Ed. Seuil, 231 pages, 17 €, 2013.
Sommaire de l’ouvrage :
• Un modèle, sans doute mais lequel ?
• Une réunification et son coût : mythes et réalités
• Le cas Schröder : anatomie d’une mystification
Les vraies raisons du rebond de l’Allemagne d’Angela Merkel
• L’impasse Schröder ou le green new deal