Sic transit …
Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront point (Lc 21, 33)
Pour les médias contemporains, l’actualité est une suite d’événements, le dernier en date chassant le précédent et étant lui-même chassé par le suivant. Ces événements sont des catastrophes (naturelles ou provoquées par l’homme), des massacres, des intervention militaires, des élections et des démissions de dirigeants politiques et autres …
Il fut un temps où les historiens découpaient l’histoire des peuples en tranches correspondant à des règnes. Dans les séminaires on enseignait l’histoire de la papauté, plus précisément l’histoire des papes successifs. Depuis le milieu du 20ème siècle, nous savons que les peuples aussi ont une histoire. Qui transcende les règnes et obéit à des évolutions de longue durée de nature économique (l’agriculture remplaçant la cueillette, la sédentarisation se substituant au nomadisme, la pénurie faisant place à l’abondance), facilitées par les sciences (les progrès de la médecine, les sciences humaines, l’alphabétisation) et initiées par les droits humains et la démocratie (l’égalité entre personnes, la séparation des pouvoirs, le droite de vote).
Nous sommes redevables de l’évolution de la recherche historique à des hommes comme Marc Bloch (dont une université strasbourgeoise portait le nom). Fils d’optants alsaciens, il fit ses études en France et en Allemagne avant d’enseigner à l’université de Strasbourg après 1918. Avec un autre historien, Lucien Febvre, il fonda la revue des Annales d’histoire économique et sociale qui diffusa largement la nouvelle conception de l’histoire. Après l’invasion et l’occupation de la France du nord par les nazis il poursuivit ses recherches dans le cadre de la faculté d’histoire de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Engagé dans la résistance au fascisme, il fut arrêté à Lyon en mars 1944, condamné à mort et fusillé le 16 juin 1944 aux côtés de trente-deux autres résistants. A côté de lui, un jeune de seize ans, tremblant, lui dit : « Monsieur, ça va faire mal ? » . Marc Bloch lui prit affectueusement le bras et lui dit simplement: « Mais non petit, cela ne fait pas mal ». Remarquable chercheur, fin pédagogue, Marc Bloch aimait et respectait aussi ses élèves puis ses étudiants. Un exemple et un modèle pour des générations d’enseignants.
En s’intéressant à l’histoire des peuples, l’école des « Annales » a profondément contribué à l’analyse des faits religieux dans une nouvelle approche du contexte social. Et indirectement à la redécouverte du peuple de l’Eglise par les théologiens qui ont inspiré le concile Vatican Il et la démocratisation de l’Eglise catholique qu’il souhaita.
Depuis une cinquantaine d’années, les thèses et autres travaux de recherches nous ont fait découvrir la vie et les engagements d’une multitude de femmes et d’hommes, de la Résistance à l’Action catholique, qui cherchèrent inspiration et force dans les évangiles. De nouveaux visages d’Eglise sont nés. Plus difficilement médiatisables que … la démission d’un pape.
L’hagiographie n’a pas pour autant déserté les milieux catholiques traditionnalistes. Les ouvrages sur un pape récemment défunt – et déjà béatifié – et même sur le pontife vivant (et les secrets du Vatican) s’impriment toujours. Et, semble-t-il, se vendent. La fin du pontificat de Benoît XVI est à nouveau l’occasion de constater combien l’image, la personne, les déclarations d’un pape sont utilisées par certains à des fins et intérêts personnels. Alors que des partis politiques conservateurs et extrémistes et des mouvements religieux traditionnalistes, relayés par les médias, se servent du pape pour défendre et promouvoir leurs propres idéologies.
A l’occasion de la démission de Benoît XVI, dans les médias, personne ne s’est interrogé sur les motivations profondes des chrétiens à suivre le Christ et à agir dans la société. Une occasion manquée pour l’évangélisation. Beaucoup de bruit pour rien. Sic transit. Après une démission – ou une mort – d’un pape, un conclave. Des supputations. Des pronostics. Même des paris. Puis des photos de fumée blanche.
Et un peuple de l’Eglise, un peuple de croyants exclus du processus. Tenu à distance de l’événement. Quel événement ? Une caricature dérisoire du choix démocratique des responsables de l’Eglise des premiers siècles.
Sic transit… Les papes passent, le peuple reste. Mais le peuple n’est pas seul. Le ciel et la terre passeront, mais Mes paroles ne passeront pas. Le peuple est confiant dans l’Esprit présent lorsque plusieurs sont réunis en Son nom. Un Esprit qui appelle à l’action. Dans le monde et dans l’Eglise.
Hier, aujourd’hui et demain nous vivons et construisons chaque jour l’Eglise de Jésus Christ dans notre quotidien. En petites communautés multiples et diverses, vivifiées par la Parole de Dieu. En communion universelle avec d’autres chrétiens, d’autres croyants, des femmes et des hommes de toutes cultures et de toutes conditions. En fraternité de convictions.
Loin du hiératisme romain, de la superficialité des conformismes, d’une quête identitaire, d’un besoin d’autoritarisme capitolin ou d’une admiration d’un parangon de vertu …
Le bon grain et l’ivraie poussent dans le même champ. A chacun d’entre nous de faire le tri …
Jean-Paul Blatz
Source : Vagues d’espérance – Revue des groupes Jonas d’Alsace n° 89 – Mars 2013.
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