Deux faillites à venir
Par Hervé Kempf
J’ai le regret de vous informer de la faillite, d’ici dix à quinze ans, de la majorité des compagnies charbonnières, pétrolières et gazières, ainsi que de celle de l’économie nucléaire française. Restez calme, merci.
Dans un travail fondateur publié en 2009, le Potsdam Institute a montré que, si l’on voulait ne pas dépasser le seuil de 2 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, autrement dit si l’on voulait éviter une catastrophe climatique probable, il fallait limiter les émissions mondiales de gaz carbonique entre 2000 et 2050 à 886 milliards de tonnes. Du fait des fortes émissions de la première décennie, le budget n’est plus maintenant que de 565 milliards de tonnes.
Les économistes des groupes de recherche Carbon Tracker et Grantham Research Institute (London School of Economics) ont analysé les conséquences financières de cette analyse dans un rapport qui vient d’être publié (Unburnable Carbon). Ils observent que les compagnies d’énergie détiennent des réserves prouvées d’énergie fossile (charbon, pétrole et gaz) représentant 745 milliards de tonnes d’émissions. Soit bien plus que ce que peut absorber l’atmosphère si l’on veut rester en deçà d’un réchauffement de 2 °C.
Si les Etats décident de limiter les émissions pour ne pas dépasser le seuil fatidique, cela conduirait à laisser dans le sol ces combustibles polluants. Leur valeur tomberait donc à zéro, et le cours de l’action des compagnies les détenant prendrait un sacré coup. Notez que les Etats peuvent aussi choisir la catastrophe climatique…
Vous êtes dubitatifs ? Soit. The Economist prend la chose très au sérieux, ainsi que la grande banque HSBC, qui a déjà commencé à calculer la perte de valeur des compagnies pétrolières.
Vous voulez placer vos sous dans le nucléaire ? Mauvaise pioche. Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 sur les coûts de la filière nucléaire comme celui de la Commission nationale d’évaluation du financement ont étudié les provisions pour démantèlement des centrales. Elles sont trois fois moindres en France, proportionnellement, qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Leur montant et leur gestion sont opaques. Les hypothèses qui fondent leur montant sont très optimistes.
A l’occasion du débat sur la transition énergétique [1], Philippe Germa, ancien banquier et directeur du WWF, va mettre sur la table la proposition d’un fonds indépendant pour gérer les sommes permettant de payer le démantèlement futur des dizaines d’installations nucléaires françaises qui sont vouées à devenir d’énormes déchets radioactifs [2]. Quand ce fonds indispensable sera constitué, avec les montants à la hauteur de la dépense prévisible, la rentabilité du nucléaire sera fortement altérée. Philippe Germa rappelle que, en 2006, des députés avaient voté une proposition de loi proposant un tel fonds. Parmi eux, François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Arnaud Montebourg…
Voilà. C’était notre rubrique ” Ecologie et argent “.
Hervé Kempf
Source : chronique publiée dans Le Monde daté du 5-6 mai 2013
Source photo : http://www.arf.asso.fr/2013/03/debat-national-sur-la-transition-energetique-les-regions-au-coeur-du-dispositif.html
Notes (LB) :
[1] En savoir plus sur le « Débat national sur la transition énergétique » en consultant le site officiel :http://www.transition-energetique.gouv.fr/
[2] Plus d’infos sur le site à : http://www.wwf.fr/s-informer/actualites/debat-energie-le-wwf-france-fait-une-proposition-innovante-pour-financer-la-transition-energetiqueavec le Document WWF (17 pages) à télécharger.