Cet article est extrait du numéro 56 de la revue Cornerstone, publiée par le centre Sabeel et traduite par l’équipe des Amis de Sabeel-France
On raconte que des colons juifs religieux extrémistes ont déclaré que ce ne sont pas les droits de l’homme qui les intéressent mais les droits divins. Leurs propos se réfèrent à certains textes bibliques qu’ils comprennent et interprètent de façon exclusive. Ils croient que Dieu a donné la totalité de la terre de Palestine au seul peuple Juif. Ils croient que Dieu est très particulièrement le Dieu des Juifs. Ils croient aussi que la Torah ordonne le nettoyage ethnique des Palestiniens, qu’ils considèrent comme les Cananéens et Amalécites de la Bible, pour que les Juifs puissent vivre et suivre leurs lois selon la volonté de Dieu, libérés des souillures des païens. Ceci, croient-ils, est la mission que Dieu leur a confiée. Ils l’accomplissent en empiétant sur les droits humains des Palestiniens, afin que les Palestiniens plient bagage et partent. Ces colons commettent quotidiennement des crimes contre les Palestiniens et sont protégés par l’armée israélienne. Le gouvernement d’Israël est incapable de contrôler ou de dissuader ces colons .
Une telle revendication relative à des droits divins est le reflet de la vieille image d’un dieu tribal allié à un peuple tribal dont la terre tribale aussi est occupée par d’anciens ennemis. Ces colons ne vivent pas au 21ème siècle. Ils ont conformé leur mentalité à la vision d’un archaïque récit biblique qui remonte à des milliers d’années, et qui reflète trois théologies exclusives, à savoir, une théologie exclusive de Dieu; celle d’un peuple; et celle d’une terre.
Évidemment, ces colons ne cessent de marteler ces revendications exclusives qui ne peuvent ni être soutenues ni prises en considération par une cour de justice moderne. Mais pour ces extrémistes (y compris le gouvernement de droite d’Israël), peu importe ce que disent les lois humaines et les cours de justice puisqu’ils se fondent sur des lois divines supérieures. Cette idée alambiquée est aussi partagée par des millions de sionistes chrétiens en divers lieux du monde.
De tels arguments reçoivent l’approbation de tous ces juifs et ces chrétiens qui s’attachent à une lecture littérale de la bible où chaque mot serait divinement inspiré, et donc divinement prescrit. Ils ne sont pas disposés à faire preuve d’une quelconque réflexion critique, ni à recourir à des considérations logiques élémentaires, ni même au simple bon sens. Pour la plupart d’entre nous, c’est là une manière absurde et dénaturée de traiter l’Ecriture sainte; d’autant plus, si cela aboutit à l’oppression d’autrui au nom de la Bible.
J’aimerais croire que la plupart des Israéliens, comme la plupart des chrétiens, ne partagent pas ces positions si extrêmes; mais malheureusement ils constituent une majorité silencieuse.
Dans ce numéro de Cornerstone, nous souhaitons aborder quelques problèmes concernant le droit international et les droits de l’homme, par rapport au conflit relatif à la Palestine. Il est de ma responsabilité d’introduire ces questions en les plaçant dans la perspective de la réflexion élaborée par Sabeel.
Une perspective théologique.
Il importe de commencer en disant que, lorsque la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH) fut adoptée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies, le 10 décembre 1948, elle se justifiait par les atrocités épouvantables commises pendant la deuxième guerre mondiale, et par les terribles effets du colonialisme sur les peuples indigènes dans le monde. Sans aucun doute, certains de ceux qui furent amenés à rédiger la DUDH ont été influencés par les valeurs éthiques de la foi chrétienne.
L’un des fondements de la réflexion théologique réside dans le concept religieux que les êtres humains sont créés à l’image de Dieu et que leur dignité humaine reflète la dignité de leur créateur.
Un tel concept théologique, quand on se l’est approprié, est suffisant pour faire reconnaître à beaucoup que la dignité humaine doit toujours être maintenue et ne doit jamais être refusée à quiconque, quelle que soit la diversité des situations ou des contextes. Ce concept est donc enraciné dans la théologie d’un Dieu créateur. En tant que créateur, Dieu a créé tous les hommes égaux; et il les a dotés d’une vie et d’une humanité communes. Nous ne définissons pas là une perspective scientifique sur le mystère et la complexité de l’univers ainsi que sur la façon dont il fut créé ; c’est le propos d’une foi pragmatique qui donne sens aux hommes ici et maintenant.
C’est pourquoi nous croyons que l’une des meilleures façons de décrire Dieu est de le comparer à un père aimant ou une mère aimante, qui aime également tous les hommes. En tant que chrétiens, nous pouvons ajouter que nous en sommes venus à connaître l’amour de Dieu de façon plus évidente en et par Jésus-Christ qui vécut pleinement comme un être humain . Au travers de ses enseignements, de son mode de vie, et de sa relation aux autres, il est devenu un modèle pour une vie vécue en plénitude. Á travers même sa souffrance, sa mort et sa résurrection, il est devenu un paradigme pour tous ceux qui prennent courageusement la défense de la vérité et d’une vie dans la justice. Pendant sa vie, Jésus a mis en relief l’amour du prochain et a directement combattu le racisme des gens de son époque. Notre intérêt pour les droits de l’homme et la dignité humaine vient de notre paradigme en Jésus – sa manière d’aimer et de prendre soin des autres, surtout des plus vulnérables. Du point de vue de notre foi, la DUDH, les Conventions de Genève, ainsi que les diverses conventions de l’ONU ne sont rien d’autre que l’élaboration et l’élargissement du précepte biblique de l’amour du prochain que Jésus-Christ a développé.
Par ailleurs, quand l’ONU utilise des mots comme « droits inaliénables ». Cela signifie que ces droits sont absolus, incontestables, inhérents à l’état d’homme et que chaque être humain y a droit. Du point de vue de la foi, donc, ces droits naturels et fondamentaux sont donnés par Dieu ; ils sont nôtres en vertu du fait que nous sommes humains, et ils ne peuvent être ni donnés, ni retirés. On dit généralement que ces droits comportent le droit à la vie, à la liberté de parole, à l’autodétermination et à la recherche du bonheur.
L’ONU a heureusement réuni les diverses chartes des droits de l’homme dans une loi internationale pour empêcher que les faibles ne soient des proies affaiblies pour les dictateurs, détracteurs et exploiteurs. Ce faisant, l’ONU a réuni, de bien des manières, les meilleurs enseignements éthiques et moraux trouvés dans les différentes religions. De temps en temps, il lui a fallu s’élever au-dessus de certains enseignements religieux équivoques et ambigus, et retrouver certains de ces droits de l’homme. La Bible, par exemple, a beaucoup à dire quant à l’aide aux plus vulnérables dans la société : les pauvres, l’orphelin, la veuve et l’étranger. Dieu devient leur protecteur parce que ceux qui sont vulnérables peuvent être facilement exploités par d’autres. Du point de vue des croyants, l’ONU a rempli ce rôle. Ses fondements éthiques sont enracinés dans la religion, et ses lois sont énoncées et adoptées de façon universelle, de sorte qu’elles peuvent s’appliquer à tous. En raison de la propension humaine à exploiter les autres, il a fallu garantir les droits de l’homme par des lois internationales pour qu’ils deviennent contraignants pour tous les hommes et tous les gouvernements. De temps en temps, nous voyons que, même quand il y a des constitutions, certains trouvent des créneaux pour exploiter les autres. C’est pourquoi il importe de rester vigilant pour s’assurer que les droits de l’homme sont respectés et mis en pratique.
Les Nations-Unies, Israël, et leur mise en oeuvre.
Ce qui m’a toujours étonné c’est que, lorsque la DUDH fut adoptée en décembre 1948, elle fut signée aussi par Israël. Ce fut fait en dépit du fait qu’à l’époque des centaines de milliers de réfugiés Palestiniens avaient été chassés par Israël, et leurs droits violés. À cette époque tout le monde pensait évidemment à l’holocauste. Personne ne pensait à la tragédie des Palestiniens.
Comment la communauté internationale peut-elle s’entendre pour mettre en œuvre ce que tout le monde a reconnu comme ce qu’il y a de meilleur et de plus élevé dans la conscience humaine ? Comment l’ONU peut-elle appliquer ces résolutions au sujet du conflit israélo-palestinien afin d’arriver à une paix juste pour tous les habitants de notre région ?
Voici un cas d’espèce. Le 24 décembre 2012, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a présenté un rapport de valeur sur la situation des Palestiniens, sous occupation israélienne, par rapport aux droits de l’homme (A/HCR/22/46/Add.1). Pour les Palestiniens et ceux qui, dans le monde, se sentent concernés par la justice et la paix en Palestine, le rapport a été une bouffée d’air frais. Il a assez clairement et courageusement dénoncer les violations du gouvernement d’Israël. Cependant, aux yeux des opprimés, il n’a été qu’un merveilleux rapport de plus (s’ajoutant à bien d’autres semblables). D’une part, il a été pour eux un signe d’espoir en montrant qu’il y a encore des gens qui parlaient vrai sans succomber à la pression de puissants oppresseurs. Et il a suscité d’autre part la déception à cause de l’absence de moyens d’exécution, qui rend ces rapports pratiquement sans valeur. Quand cela se répète maintes et maintes fois, les opprimés perdent tout espoir dans l’institution qui est à l’origine de ces rapports.
En résumé, j’aimerais attirer l’attention sur deux questions connexes : d’abord, il faut absolument que l’ONU trouve de meilleurs moyens pour mettre à exécution, faire respecter et appliquer toutes ses conventions sur les droits de l’homme. Et ensuite, c’est quand davantage de gens et de gouvernements, dans le monde, commenceront à se servir de ces conventions internationales sur les droits de l’homme pour juger, pour légiférer, et pour gérer les injustices, qu’on pourra alors imaginer une époque où la plupart des gens y verront des moyens sur lesquels il est possible de compter vraiment, pouvant même se substituer aux principes moraux souvent confus et contradictoires des religions. En d’autres termes, les dispositions des droits universels de l’homme pourront alors aider à sauvegarder et à protéger les droits de tous, au-delà de tous ces comportements de nature exclusive issus des traditions ou des religions.
Naïm Ateek, directeur du Centre Sabeel
Traduction : L. Buot
Pour en savoir plus sur Sabeel : Amis de Sabeel – France
Pour accéder à l’ensemble du numéro de CORNERSTONE – N° 65 – Printemps 2013