Déclaration de l’Assemblée Générale du Réseau Européen Eglises et Libertés
La 23ème Assemblée Générale annuelle du Réseau européen Eglises et Libertés s’est déroulée du 9 mai au 12 mai 2013 à Madrid avec les représentants des pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Catalogne, Espagne, France, Hongrie, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume Uni, Suisse. A l’issue de cette rencontre la déclaration finale suivante a été adoptée.
Être réalistes, dans les difficultés d’aujourd’hui, signifie
s’engager pour une Europe de Justice et de Paix
qui réhumanise et réenchante ses citoyen-ne-s
La très grave crise économique, qui a commencé il y a cinq ans et qui ne paraît pas s’affaiblir, pose des problèmes qui, pour certains de leurs caractères, mettent en question le rôle même de l’Europe tel qu’elle a pris forme avec ses institutions et s’est organisée ces cinquante dernières années. Dans cette situation, des souffrances, des incertitudes et des malaises de toutes sortes, qui concernent aussi les dimensions spirituelles de l’existence, s’aggravent de plus en plus.
En tant que citoyens et citoyennes catholiques européens nous confirmons notre confiance dans le processus de collaboration entre les peuples de notre continent, qui a commencé après le seconde guerre mondiale, mais nous devons aussi constater et dénoncer les politiques néo-libérales et la dictature des structure financières qui, surtout avec la crise, sont un obstacle aux objectifs originaires :
• la sauvegarde et la promotion des droits de l’Homme, notamment l’égalité/parité femme/homme ;
• la cohésion interne et les dialogues interculturel et interconvictionnel dans tous les pays ;
• la réduction des inégalités dans chaque pays et entre les différents pays ;
• la contribution à la paix fondée sur la justice dans le monde ;
• le renforcement de la démocratie dans tous les pays et notamment dans ceux qui depuis peu de temps font partie de l’Union Européenne.
Ces politiques qui cherchent à combiner croissance et réduction des dettes ne conduisent qu’à l’austérité qui frappe les couches les plus faibles de la population, les jeunes et les femmes surtout, compromettent profondément les conquêtes du « welfare State » [Etat du bien-être] qu’on pensait définitives, favorisent les pays forts et augmentent beaucoup l’écart social et économique entre les zones riches et les zones pauvres du continent, de même qu’entre les classes sociales possédantes et les défavorisées au sein d’un pays, avec des conséquences parfois dramatiques.
C’est surtout à cause de la crise que les positions en faveur des intérêts nationaux, régionaux et corporatistes gagnent de nombreuses couches de l’opinion publique européenne et aussi les classes sociales les plus pauvres, et risquent de se manifester fortement lors des élections au Parlement Européen l’année prochaine. On doit connaître et analyser ces positions qui s’opposent clairement à une société équitable et solidaire, mais on doit les combattre avec force. Ces positions se manifestent surtout contre les migrants, européens et non européens, qui sont des personnes vulnérables et en difficulté, et cela arrive là où ils cherchent du travail et donc la dignité, mais aussi bien dans leurs pays d’origine. Contre toutes ces poussées de renfermement sur soi, les forces sociales et politiques démocratiques et les institutions, tout d’abord l’Union Européenne, doivent intervenir activement avec une politique d’accueil et d’intégration.
Pour que les choses prennent un nouveau cours en Europe il faut une politique économique alternative à celle d’aujourd’hui qui obéit à la seule logique des rapports de force et de la défense de puissants intérêts constitués.
Nous constatons aussi avec inquiétude que pour une nouvelle Europe :
1- la politique étrangère de notre continent sans réelle visibilité est très faible à l’égard des pays de la Méditerranée et du Sud, et incapable d’agir pour la paix selon des critères de justice dans les zones de crise (Proche Orient) ;
2- après la chute du mur de Berlin, les forces armées ont gardé et même renforcé leur pouvoir, avec le silence complice de l’opinion publique, et ainsi se poursuit un énorme gaspillage de ressources, qui pourraient être utilisées pour la société, tandis que le commerce des armes s’intensifie. Des engins nucléaires sont toujours présents en Europe et le désarmement nucléaire est bloqué ;
3- les pouvoirs des réseaux mafieux, grâce aussi à leur caractère mondialisé, s’élargissent et se renforcent ;
4- l’action politique en faveur de l’éducation, de la culture et de l’environnement n’est plus du tout prioritaire.
éclairés par l’évangile de Jésus, nous pensons qu’il est de notre devoir devant cette situation de parler et d’agir dans les domaines individuels et collectifs, car elle bafoue les valeurs d’éthique, de solidarité et d’engagement pour la paix fondées sur la dignité des hommes et des femmes, sur le respect qui leur est dû, les droits qui en découlent et sur la justice, valeurs qui trouvent leurs racines et leur source dans notre foi.
C’est pourquoi, nous constatons avec désarroi que notre église dans ses structures au sommet, qu’elles soient nationales ou européennes (COMECE et CCEE) [1], ne réagit pas devant la gravité de la situation avec la passion, l’ouverture, la collégialité et l’efficacité qui devraient être les siennes dans ses rapports avec la société civile et les institutions pour qu’ils soient le reflet de l’ensemble de l’église. Mais il y a de nombreux citoyens et citoyennes catholiques qui s’engagent avec conviction dans la réalité sociale, même si certains ont, parfois, une vision qui se limite à une assistance, provisoirement nécessaire certes, mais qui doit être dépassée par une vision et une action politique complète qui tende à rendre caduque cet assistanat.
Aussi, sommes-nous convaincus que les responsables de l’église catholique ne doivent en aucune manière défendre ses privilèges ou jouer dans la société et dans les institutions nationales et européennes des rôles qui brouillent le message évangélique de Jésus, en transformant service en pouvoir (notamment à travers l’article 17 de la nouvelle Constitution Européenne). Comme au temps du régime de chrétienté qui a disparu et dont nous ne devons pas être nostalgiques.
Nous, citoyens et citoyennes européens chrétiens et chrétiennes de base, dont beaucoup se situent à l’intérieur de l’église catholique à laquelle ils appartiennent en refusant tout ce qui s’apparente à un veto et à un obstacle de la part de la hiérarchie, nous devons promouvoir des actions pour que tous les croyants des différentes religions agissent ensemble, et pour qu’ainsi le chemin emprunté par notre continent, en ce début du XXIème siècle, puisse changer de direction et permette, au-delà des vieilles hégémonies et des oppositions Est-Ouest / Nord-Sud, de collaborer avec les grands pays émergents.
C’est par ces efforts que Dignité, Respect mutuel, Justice et Paix auront plus de chances de parvenir à guider l’humanité.
Madrid, le 12 mai 2013
[1] COMECE : Commission des Episcopats de la Communauté Européenne ;CCEE : Conseil des Conférences Episcopales d’Europe ;