Quand Wall Street se pique de morale
Smith & Wesson – Pertes et profits
Par Jean-Baptiste Jacquin
Dis-moi comment vont tes sociétés, et je te dirai comment va ta société. Pas besoin d’être chercheur en sociologie pour deviner quels ressorts dans la population américaine révèle la performance historique de la société de fabrication d’armes à feu Smith & Wesson.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au cours de son exercice annuel, clos le 30 avril, Smith & Wesson a enregistré une croissance de 43 % de ses ventes, au niveau record de 588 millions de dollars (450 millions d’euros), tandis que son bénéfice net a quintuplé, à 78 millions de dollars.
Une réussite industrielle et commerciale qui aurait même pu (et dû) être plus éclatante encore si l’appareil de production avait été en mesure de répondre à l’explosion de la demande. Le communiqué sur les comptes s’en excuse : « Bien que la société ait continué d’augmenter ses capacités de production, elle a été incapable de répondre à la demande dans la plupart de ses gammes d’armes à feu, ce qui a provoqué une croissance supplémentaire du carnet de commandes. » Dans sa conférence de presse, mercredi 26 juin, le PDG James Debney a promis de faire mieux : « Nous prévoyons de continuer d’augmenter intelligemment nos capacités de production en 2014. »
« Business as usual »
Le boom des ventes d’armes sur le marché américain n’a pas cessé depuis la tuerie dans l’école primaire Sandy Hook, en décembre 2012 (vingt enfants et six adultes tués). Pis, la tentative (avortée) de législation pour contrôler la vente des armes les plus dangereuses a stimulé le marché, avec ces acheteurs inquiets voulant profiter de leurs derniers instants de « liberté ». Pas besoin d’être politologue pour y voir un échec de l’administration Obama.
C’est donc business as usual chez Smith & Wesson, puisque la vente d’armes à feu est un business comme un autre. Pour James Debney, le succès de son groupe vient notamment « d’un marketing costaud, de nouveaux produits innovants et de la discipline dans la qualité de fabrication ». Rien que du très classique.
Le seul hic dans cette success story est que la Bourse choisit de la bouder. Cotée sur le Nasdaq, le marché des valeurs technologiques, l’action Smith & Wesson n’a gagné « que » 15 % depuis le début de l’année. Une vraie contre-performance au regard des comptes qui habituellement font la joie des analystes et des investisseurs.
Mais la grande finance sait parfois, quand elle le veut, prendre des attitudes morales. Tandis que les citoyens américains se ruent chez l’armurier, les fonds d’investissement se délestent massivement de ces titres sulfureux.
Avoir du Smith & Wesson dans son veston oui, mais pas dans son portefeuille ! Près de 90 % des institutionnels seraient ainsi sortis du capital, laissant la place aux investisseurs individuels. Pas besoin d’être trader pour y voir une évolution des mentalités.
Jean-Baptiste Jacquin
Source : article publié dans le Cahier du « Monde » n° 21287 Eco&Entreprise daté du 28 juin 2013.