Louis PEIGNON : 26 janvier 1927- 27 juin 2013
Notre ami Louis Peignon, fidèle adhérent de NSAE, nous a quitté le 27 juin 2013. Ses obsèques auront lieu le samedi 6 juillet à Montluçon.
Prêtre ouvrier très engagé et actif, « il a vécu une vie de passion, d’élan et de générosité, et nul ne peut oublier la vigueur de sa parole fraternelle. Qu’elle résonne encore longtemps à nos oreilles ! Elle peut illuminer encore notre peine. » (Didier Vanhoutte).
Jacques Haab, nous rappelle un témoignage de Louis, qu’il présente ainsi :
« voici la lettre-témoignage que Louis Peignon écrivait il y a deux ans et qu’il aurait bien aimé faire connaître largement. Il y marquait avec force son attachement à l’Eglise mais aussi son amertume d’avoir vu celle-ci, après le sursaut Vatican II, s’éloigner progressivement de “la simplicité et la justesse des Évangiles”, préférant la prudente communion à une entrée risquée mais réelle et résolue dans le 21e siècle. ». Ci-après ce texte :
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L’ÉGLISE CATHOLIQUE
Ma vie m’a fait passer, dans le souffle du Concile Vatican II, 50 années heureuses et passionnantes, nouant, surtout quand j’étais prêtre-ouvrier, de solides amitiés masculines et féminines. Mais, aujourd’hui, comme un très grand nombre de personnes, j’ai eu des raisons d’apprécier le petit livret de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! » paru en octobre 2010 ; il a su dépister les cibles sensibles, qui devraient être source d’inspiration pour tout citoyen responsable, et dégager quelques pistes pour vaincre l’indifférence et l’irresponsabilité qui tendent à s’imposer dans notre monde en crise.
Peut-être serait-il possible et utile de faire, à plusieurs, à beaucoup, une démarche animée du même esprit que celui de ce livret, au sujet de l’Église catholique dont je fais partie ! Car Ils sont nombreux les chrétiens convaincus que l’Église a besoin de profonds changements, adaptations et réformes. Il est trop évident que l’Église catholique (donc universelle) est encore marquée par son inféodation historique à l’Empire Romain qui l’a accréditée comme religion d’État. Et son long cheminement dans le Moyen-Age occidental n’a fait que l’aliéner à ce mode de civilisation très loin d’être universelle.
Insistons. Le pouvoir ecclésiastique séculaire et, plus grave encore, le message évangélique, tel qu’il a été longtemps débattu et réfléchi sous l’influence de cette culture ancienne et de cette civilisation-là, peuvent-ils prétendre être indépendants et donc universels ? Le courant protestant avait compris en son temps qu’il fallait s’efforcer de renouer avec la simplicité et la justesse des Évangiles : cela a valu à la chrétienté occidentale des guerres fratricides et un compromis, l’Édit de Nantes en 1598, puis sa sinistre révocation.
De mon vivant (84 ans depuis peu) j’ai connu et vécu de nombreux courants spirituels qui ont mobilisé des groupes plus ou moins importants de catholiques dans la recherche et dans l’action à la rencontre de l’autre : les mouvements d’action catholique, les prêtres-ouvriers, la Mission de France, fortement marqués par un esprit qui leur a fait vivre plus d’un demi-siècle d’une pastorale passionnante, mais sont en voie de disparition sans que les responsables de l’Église semblent vraiment s’en inquiéter.
Je ne donnerai qu’un rapide aperçu des débats et des courants qui ont secoué l’Église au cours de son histoire récente ; je me contenterai de dire qu’ils sont très nombreux celles et ceux de ma génération qui ont beaucoup espéré dans le Concile Vatican II et le retour aux sources qu’il les a aidés à faire : c’est pourquoi ils regrettent infiniment sa mise en veilleuse dans une Église décidément très frileuse et timorée.
Je ne citerai que quelques recherches d’un esprit évangélique authentique, parmi beaucoup d’autres, suscitées par ce Concile convoqué par Jean XXIII : par exemple en France : Échanges et Dialogue – Le Courrier de Jonas – Nous sommes aussi l’Église – Partenia avec Jacques Gaillot – Golias – Le Monde des Religions qui accomplit également un sérieux travail de documentation. Et ailleurs : en Allemagne et en Autriche – Wir sind Kirche ; aux États-Unis – l’Association pour les droits des catholiques dans l’Église ; et bien sûr les communautés de pauvres dans les pays du Sud, qui continuent à vivre la théologie de la Libération malgré les soupçons et interdits « romains »…Il y aurait tant d’autres groupes, mouvements, livres et revues à nommer !!
Voici deux affirmations parmi d’autres qui posent des questions de fond : « Nous sommes convaincus que les chemins d’humanisation sont multiples, que la voie chrétienne n’est pas un passage obligé pour tous, qu’un croyant en Jésus-Christ peut avoir avec tout homme un partage sincère où il reçoit autant qu’il donne ». Et : « Une Église qui ne s’unit pas aux pauvres et, à partir d’eux, ne dénonce pas les injustices commises contre eux, n’est pas la véritable Église de Jésus-Christ ». De semblables propos ont valu à Oscar Romero, archevêque de San Salvador, d’être assassiné le 24 mars 1980 pendant qu’il disait la messe dans une chapelle de l’hôpital. Depuis, je n’entends pas l’Église officielle parler de lui !
Les animateurs ou animatrices de ces courants spirituels profondément évangéliques ne flattent surtout pas la « religiosité » dont l’Église risque de faire actuellement son fonds de commerce : la béatification de Jean-Paul II en mai 2011, n’en est-elle pas, par certains aspects, une confirmation ? On comprend alors pourquoi ces sérieux groupes de réflexion sont le plus souvent délaissés, voire ignorés par les autorités ecclésiales qui les considèrent comme des empêcheurs de tourner en rond ; ils sont parfois « mis à l’index », de même que, hélas !, de nombreux théologiens… Sinon leur disparition progressive semble souhaitée…
Voilà pourquoi il serait nécessaire et urgent que les responsables de ces courants de réflexion, d’approfondissement, d’action pastorale adaptée aux sociétés du 21e siècle, et parfois de contestation, n’acceptent pas leur fin programmée par l’usure du temps. Ils devraient s’unir hardiment à partir de l’essentiel qui les anime, tout en respectant l’originalité de chacun. Cela permettrait d’établir une charte mondiale de propositions communes, dans laquelle serait exprimé très clairement et fortement ce qui, pour les divers groupes, apparaîtrait comme des valeurs évangéliques essentielles.
L’union fait la force, dit-on. Elle est indispensable pour être bien compris de tous et, dans ce cas, en particulier dans l’application de l’esprit nouveau sur le terrain, de tenir le choc face à l’Église Romaine et résister résolument à ses « fatwas » et à son trop connu rouleau compresseur.
Alors, avis à celles et à ceux qui sont attachés à l’Évangile de Jésus-Christ, à son message révolutionnaire ! Que se rassemblent à l’échelle mondiale ceux qui regrettent l’affadissement de celui-ci, son détournement, et croient qu’il n’est la propriété de personne puisqu’il est universel !
Louis Peignon – 2 mai 2011
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Pour retrouver le parcours de Louis, lire le message diffusé par l’équipe épiscopale de la Mission de France, téléchargeable (en pdf) en cliquant ci-après :