Quand les Palestiniens sont obligés de louer les terres des colons !
C’est ce qui se passe en Cisjordanie, et notamment dans la Vallée du Jourdain, à cause du manque de terres cultivables, confisquées pour les colons, et de la pénurie d’eau qui touche les Palestiniens, tandis que les colons ont autant d’eau qu’ils veulent. Lire ci-après l’article d’Amira Hass paru dans le journal israélien Haaretz.
En Cisjordanie la pénurie d’eau oblige les palestiniens
à louer la terre des colons
Par Amira Hass
Des colons dans la Vallée du Jourdain louent une partie de leur terre aux palestiniens de la région et aux citoyens israéliens, mais des deux côtés on préfère garder l’affaire secrète. Selon des sources israéliennes officielles, les autorités ne seraient pas au courant et expliquent qu’il s’agit de « cas isolés ».
Les Palestiniens se retrouvent obligés de louer la terre des colons vu la pénurie de la terre et de l’eau provoquée par la politique israélienne dans la Vallée du Jourdain et à cause des restrictions concernant la commercialisation de leurs produits. Les israéliens louent les terres des colons parce qu’ils ne sont pas assez nombreux pour couvrir les énormes surfaces de terres attribuées aux colonies par l’Etat depuis l’occupation de la Cisjordanie en1967.
Cette transaction va à l’encontre même des règles émises par le Conseil Régional de la Vallée du Jourdain et le Département des Colonies de l’Organisation Sioniste Mondiale qui en pratique détient la majorité des terres agricoles de l’Etat dans la vallée du Jourdain. Les règlements émis par ce Conseil interdisent de louer la terre à d’autres citoyens. Mais cette terre agricole est la terre qu’Israël a confisquée par différents moyens aux Palestiniens, puis attribuée à des colons dans la vallée du Jourdain.
Le journal Haaretz a interrogé en différents endroits de la Vallée du Jourdain une dizaine de Palestiniens qui louent la terre d’un certain nombre de colonies. Quelques-uns d’entre eux ont d’abord caché le fait qu’ils louaient et disaient qu’ils étaient employés auprès des Israéliens qui possédaient la terre.
Nombre d’entre eux ont dit que cette pratique existait depuis les années 90, quand Israël a institué les permis pour voyager, qui ont limité leurs déplacements. Cette politique s’est étendue dans les années 2000 avec la clôture du marché du travail israélien pour la majorité des résidents de Cisjordanie. La taille des terres louées aux Palestiniens oscille de quelques dunams à des centaines de dunams.
Certains des locataires sont des citoyens israéliens, juifs et arabes, qui embauchent des travailleurs palestiniens de la Vallée du Jourdain. Dans certains cas, surtout si le terrain loué n’est pas grand, la transaction est faite sans signer aucun document. Il y a aussi des contrats moins nombreux entre colons juifs et Palestiniens de la Vallée du Jourdain.
Dror Etkes, qui enquête sur la politique israélienne d’expropriation de la terre en Cisjordanie, est en train de finir un projet de cartographie et de description de l’agriculture israélienne en Cisjordanie. Il dit qu’il a réussi à inventorier environ 6000 dunams (approximativement 600 hectares) loués par les Israéliens aux Palestiniens, ou si non à leurs représentants, dans la Vallée du Jourdain. Etkes estime qu’il y en a en réalité beaucoup plus.
L’« Administration civile », c’est-à-dire l’Armée israélienne* dans les territoires occupés a dit qu’elle n’était pas au courant de cette affaire.
Leader des colons : « Pas entendu parler de ça ».
Le président du Comité agricole du Conseil régional de la vallée du Jourdain, Zvi Avner, a déclaré au journal Haaretz que personnellement il n’était pas au courant de ces colons qui loueraient la terre aux Palestiniens. « Peut-être que ça se passe ici ou là dans la périphérie », a-t-il dit. Avner a affirmé que les terres des colonies dans la vallée du Jourdain étaient des terres de l’Etat.
Dans quelques cas les locataires sont résidents dans une communauté loin de la terre agricole et dorment dans les champs pendant la semaine. Dans de nombreux cas la terre louée est loin des colonies elles-mêmes, ce qui facilite sa location, du point de vue des colons, souligne Etkes.
Tous les locataires ont dit que leurs produits étaient étiquetés comme « israélien » et qu’ils n’avaient pas besoin de les transporter vers Israël par des passages frontaliers lointains, comme ils sont obligés de le faire avec les produits « palestiniens ». Pour eux ceci signifie un coût beaucoup moins important. Mais les locataires se plaignent que dans la plupart des cas ils font très peu de bénéfices, et même perdent de l’argent, à cause de la rude concurrence avec les agriculteurs israéliens qui ont des subventions et une mécanisation développée.
Les locataires ont informé Etkes et le journal Haaretz qu’ils payent entre 40 et 300 shekels par dunam et par an dans des endroits où il existe une infrastructure pour l’eau. Le paiement de l’eau est séparé et les Palestiniens payent les israéliens environ 3 shekels par mètre cube d’eau. Ce prix garantit un bénéfice pour le propriétaire puisqu’il paye moins cher cette eau qu’il est censé utiliser.
Avner, qui est à la tête du Comité agricole depuis 17 ans, a informé le journal Haaretz que les agriculteurs israéliens dans la Vallée du Jourdain payent en moyenne 2,10 shekels par mètre cube d’eau. Le quota d’eau pour les agriculteurs israéliens dans la Vallée du Jourdain est de 42000 mètres cube pour chaque terrain de 35 dunams, et le prix est échelonné en trois paliers, dont le premier est de 1,90 shekels pour 50% de l’eau.
Depuis des années Israël contrôle à peu près 77% de la terre dans la vallée du Jourdain –quelque 125.000 hectares sur 160.000. Ce sont les réserves de terre naturelles des communautés palestiniennes, que ce soit pour le pâturage ou pour l’agriculture.
Riche en eau
La Vallée du Jourdain est particulièrement riche en sources. L’Autorité palestinienne voit cette région comme le futur grenier de l’état palestinien, une région où ils pourront s’établir et se développer, en suivant l’exemple de la Jordanie. Mais sous les Accords d’Oslo, Israël continue à contrôler les ressources en eau de la Cisjordanie : il définit les quotas en eau pour les palestiniens en utilisant son veto sur toute nouvelle construction de puits par les palestiniens, et refuse d’approuver la reconstruction des puits qui ont été détruits.
Une grande partie du forage d’eau d’Israël en Cisjordanie, 69% environ, se trouve dans la vallée du Jourdain. L’eau de ces puits est utilisée par les colonies dans la Vallée du Jourdain, sauf pour quelques villages palestiniens dans le nord et centre de la Vallée du Jourdain où les puits ont été séchés par le forage israélien et qui maintenant obtiennent un quota de la Compagnie Nationale des Eaux Mekorot, un quota qui diminue année après année.
Amira Hass – 2 août 2013
Traduit par Annie et Pedro pour CAPJPO-EuroPalestine
Source : originale (anglais) à http://www.haaretz.com/news/diploma…
Source (français) : http://europalestine.com/spip.php?article8526&lang=fr
* Administration civile des IDF (« Israel Defense Forces»).