Regards sur la « révolution de François » encore à venir
Au sein des clameurs autour des commentaires du pape François sur les homosexuels, les femmes, la banque du Vatican et autres sujets croustillants lors de la Conférence de presse du 28 Juillet 2013 dans l’avion, une remarque isolée mais révélatrice a largement glissé à travers les mailles du filet.
Prié de dire s’il avait rencontré au Vatican de la résistance au changement, François a donné une réponse peu précise, soulignant la présence de beaucoup de gens utiles et loyaux, avec un jugement brutal sur la qualité de l’endroit qui a décliné depuis l’ère des « vieux curialistes » qui firent simplement leur travail.
Puis vint l’information : « C’est vrai » a déclaré le pape, « que je n’ai pas fait grand-chose. »
Dans un sens, bien sûr, il était modeste. François a beaucoup fait, surtout pour inverser les impressions négatives sur l’église et lui offrir une nouvelle espérance de vie. Pourtant, en termes d’actes concrets de gouvernance, il avait raison.
Le Cardinal Timothy Dolan de New York, qui a contribué à l’élection de François en mars, a déclaré à NCR au cours d’une interview le 24 Juillet que, entre autres qualités, les cardinaux « voulaient quelqu’un ayant de bonnes compétences managériales. » Dolan a déclaré que jusqu’à présent, cette partie de l’équation « n’a pas été évidente. »
« Je m’attends à ce que, après l’accalmie estivale, nous voyions plus de signes de changements dans la gestion », a-t-il dit.
Les prévisions de Dolan confirment quelque chose qui était déjà clair il y a cinq mois. Cet outsider d’Amérique latine a été élu sur un mandat clair de réforme. La question est, une fois revenu aux choses sérieuses, quel genre de révolution François va-t-il conduire?
Quatre domaines semblent destinés à former les lignes de front.
Les finances
Livré à lui-même, François pourrait ne pas avoir choisi de commencer par la banque du Vatican. Il la considère comme une institution importante, mais, comme il l’a dit au cours d’une homélie en Juin, qui n’est nécessaire « que jusqu’à un certain point. »
Pourtant, les circonstances se conjuguent pour faire de la banque l’objet d’un test décisif de l’engagement de François dans le changement. Plus tôt cet été, les deux principaux responsables de la banque ont démissionné lors d’une investigation sur le blanchiment d’argent italien et la police italienne a arrêté un comptable du Vatican, accusé d’essayer de faire passer en fraude 26 millions de dollars en liquide en Italie, en utilisant les comptes bancaires du Vatican pour dissimuler des fonds.
Dans l’avion de Rio de Janeiro à Rome le Juillet 28, François a esquissé trois options pour la banque, officiellement connue sous le nom d’Institut pour les Œuvres de Religion :
• la transformer en une «banque éthique»;
• la transformer en un fonds d’assistance charitable;
• la fermer.
La plupart des observateurs considèrent que la troisième option est la moins probable, bien que peut-être la plus pertinente. Le fait est que les ordres religieux catholiques et des organisations caritatives qui opèrent dans différents coins du monde, souvent dans des circonstances où les systèmes financiers sont sous-développés, ont besoin de moyens pour protéger leurs actifs et transférer des fonds facilement. Si la banque du Vatican n’existait pas, les papes seraient probablement soumis à une pression pour en inventer une.
L’option de la banque éthique est considérée comme l‘issue le plus probable, même si le terme lui-même est un peu nébuleux. En général, les banques éthiques partagent trois caractéristiques : l’engagement pour de « meilleures pratiques » de transparence, avec publication régulière de bilans et ouverture à un contrôle extérieur ; l’utilisation des fonds à des fins socialement responsables, souvent en acceptant des marges bénéficiaires inférieures à celles des banques commerciales ordinaires ; et la participation à la gouvernance des parties prenantes et des membres de la communauté.
En Italie, la Banca Popolare Etica est souvent citée comme modèle. Elle est sponsorisée par des syndicats, des groupes d’agriculteurs, des commerçants, même par les scouts italiens.
Des signes de changement sont dans l’air. Les responsables de la Banque du Vatican ont embauché le Promontory Financial Group de Washington, pour procéder à un examen détaillé des comptes, et la plupart des observateurs estiment qu’il sera plus difficile pour les individus, contrairement aux organisations, d’utiliser les services de la banque. La banque a également lancé récemment un site Web qui confirme le montant des actifs sous gestion (9,4 milliards de dollars) et le nombre de titulaires de compte (18 900).
Aussi difficile que soit le choix de la banque, il n’est qu’une étape préliminaire à un plus grand défi : promouvoir la transparence aux niveaux inférieurs de l’église, où est concentrée l’argent réel et où la surveillance « au petit bonheur » frise parfois la catastrophe.
Cette situation a été bien illustrée par une crise récente en Slovénie, où les deux archevêques du pays ont démissionné après l’effondrement de l’archidiocèse de Maribor. Après la sortie du pays du communisme, les responsables de l’église de Maribor avaient construit un colosse financier de crédit, où à un moment donné trois holdings contrôlaient plus de 50 entreprises différentes, y compris une télévision câblée de diffusion nocturne de porno.
Les holdings se sont récemment lancés, ventre à terre, dans une dette estimée à plus de 1 milliard de dollars, ce qui équivaut à 2 pour cent du produit intérieur brut du pays. Entre autres choses, un fonds de pension aurait été anéanti avec les économies de quelque 65.000 petits investisseurs.
François a envoyé un signal de responsabilité en acceptant les démissions des archevêques, deux ans seulement après que le précédente archevêque de Maribor ait été contraint de démissionner pour son rôle dans le désordre. La tâche consiste maintenant à élaborer des règles et à façonner les comportements pour éviter que des implosions similaires se produisent ailleurs.
Les abus sexuels
Un autre front où les critiques estiment que l’Église a besoin de plus de transparence est sa réponse aux scandales d’abus sexuels sur des enfants.
Le Cardinal de Boston, Sean O’Malley, qui a plus de deux décennies d’expérience avec les scandales, a mis récemment deux idées sur la table. Dans une interview du 26 Juillet à NCR, O’Malley a déclaré que François devrait:
• convoquer les présidents des conférences épiscopales du monde entier et essayer de convaincre ceux qui n’ont pas adopté des directives anti-abus fortes à le faire;
• adopter au Vatican les mêmes protocoles anti-abus qui sont devenus une pratique courante dans les diocèses et d’autres lieux catholiques du monde entier, y compris la vérification des antécédents et le dépistage de l’ensemble du personnel, la formation à la détection des abus et à la prévention, et l’instruction sur la façon de traiter les plaintes.
On ne sait pas si François agira en suivant ces recommandations, bien que O’Malley soit dans une position unique pour lancer la balle. Il est le seul Américain parmi les huit cardinaux sélectionnés en avril pour aider François à la «gouvernance de l’Église universelle ».
François a fait une remarque intéressante sur la question lors de sa conférence de presse à bord de l’avion, en distinguant les « péchés » passés qui peuvent être pardonnés et oubliés, et les « crimes », comme « l’abus de mineurs », qui nécessitent une réponse différente.
C’était un petit signe mais signifiant potentiellement que François envisage de prendre une position ferme. De nombreux observateurs estiment qu’un test sera de savoir si François étend aux évêques qui ont mal géré les plaintes d’abus la difficile responsabilité de l’église. Des Supérieurs ecclésiastiques ont exprimé à NCR la confiance qu’ils ont en François pour le faire, mais à ce jour il n’y a pas eu de mouvement clair en ce sens.
Collégialité
À certains égards, l’étape la plus importante de François vers une plus grande collégialité a peut-être déjà été franchie avec la décision du 13 avril de créer le conseil de huit cardinaux. Elle a pour effet est de répartir le pouvoir à l’extérieur du Vatican et vers les chefs d’églises locales.
Entre autres choses, la décision implique de couper les ailes du Secrétariat d’État du Vatican. Déjà, il a perdu un peu de son pouvoir en tant que « cerbère ». Par exemple, O’Malley dit que quand il a des questions à poser au pape ou veut lui faire un rapport, il a le contact direct avec François sans avoir à passer par la Secrétairerie d’Etat.
O’Malley a également déclaré que les huit cardinaux veulent agir comme porte-parole des préoccupations et des idées des autres évêques. Il a interrogé tous les autres cardinaux d’Amérique du Nord et leur a demandé des conseils. D’autres font la même chose. Le Cardinal Fransisco Errázuriz du Chili, par exemple, a interrogé les membres de la Conférence épiscopale d’Amérique latine (CELAM) lors d’une récente réunion à Panama.
Le Cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga, coordonnateur du groupe des huit cardinaux, a rencontré François, alors qu’il était au Brésil pour la Journée Mondiale de la Jeunesse en Juillet. Rodríguez a dit qu’il a reçu l’autorisation de mettre sur pied un instrumentum laboris, ou document de travail, qui formulera des recommandations pour le changement.
Un autre front où François semble susceptible d’avancer rapidement est le Synode des Évêques, qui a été fondé sous le pape Paul VI en tant qu’organe de gouvernance collégiale. Dans l’avion, François a fait allusion à la nécessité d’une réforme dans la « méthodologie » du synode, que de nombreux observateurs estiment trop vaste, trop lourd et trop centré sur des sujets particuliers pour agir comme la caisse de résonance dont le pape a besoin.
Le Cardinal George Pell de Sydney a suggéré en Juin qu’un conseil des évêques plus réduit pourrait rencontrer le pape pendant plusieurs heures, deux ou trois fois par an, pour discuter longuement d’un sujet spécifique. François a dit dans sa conférence de presse que, lorsque les huit cardinaux se réuniront avec lui en Octobre, ils vont réfléchir aux changements du système.
Mariage et divorce
Il y a aussi des signes qui indiquent que Françoise est peut-être prêt à délier quelques nœuds pastoraux ancestraux, en commençant par les catholiques divorcés et remariés. En vertu de la discipline actuelle, ces catholiques ne peuvent pas recevoir l’Eucharistie, une pratique qui est depuis longtemps une source de douleur.
Parmi ses remarques dans l’avion, François a manifesté de l’intérêt pour le « principe d’économie » qui se trouve dans la tradition orthodoxe, selon laquelle une seconde union peut être bénie après la dispense des vœux de mariage.
Il a également dit que la question doit être examinée dans le contexte plus large de la pastorale du mariage, un thème dont il a déclaré que le conseil des huit cardinaux et un futur Synode des évêques l’examineront. La pratique des annulations, a-t-il dit, « doit être examinée à nouveau ».
Résistance
En général, François semble disposé à permettre de nouvelles initiatives pastorales allant du bas vers le haut, au lieu d’être envoyées du haut vers le bas. Le 25 Juillet, lors de son voyage au Brésil, il a ostensiblement encouragés des jeunes venus d’Argentine à « mettre la pagaille ».
« Je veux que l’église sorte dans les rues », a-t-il dit. « Je veux que nous résistons à tout ce qui est mondain, à tout ce qui est statique, à tout ce qui est confortable, à tout ce qui a à voir avec le cléricalisme, à tout ce qui pourrait nous refermer sur nous-mêmes. »
Mais toute révolution a ses gagnants et des perdants, et bien que François puisse souligner qu’il n’a pas rencontré de résistance, cela ne veut pas dire qu’il n’en existe pas. Actuellement, il y a cinq cercles où l’opposition à la « révolution de François » semble se dessiner.
• Le premier est celui des traditionalistes liturgiques, récemment irrités par la décision d’interdire aux Frères Franciscains de l’Immaculée de dire l’ancienne messe en latin sans autorisation expresse – une décision qui, selon certains, va à l’encontre de la décision de 2007 du pape Benoît XVI qui libéralisait l’usage de la liturgie ancienne .
• Deuxièmement, François attire des critiques variées chez certains conservateurs de l’Église non pas tant pour ce qu’il a dit ou fait, mais à cause d’une perception diffuse que ses préférences ne sont pas les leurs. Dans une interview fin juillet avec NCR, Mgr Charles Chaput de Philadelphie a indiqué que son sentiment est que les conservateurs « n’ont généralement pas été vraiment heureux » de François.
Le mécontentement peut s’envenimer dans les milieux pro-vie, par exemple, si François poursuit sa politique d’éviter les commentaires publics sur des questions comme l’avortement et le mariage homosexuel. Interrogé dans l’avion papal sur la raison pour laquelle il n’a pas discuté de ces questions au Brésil, un pays qui a récemment libéralisé les deux, il a déclaré que « l’Eglise s’est déjà exprimée parfaitement sur cela » et qu’« il n’était pas nécessaire de revenir là-dessus ».
• Troisièmement, les laïcs de droite ont également exprimé une certaine consternation. Réagissant à sa visite du 8 Juillet à l’île méditerranéenne du sud de Lampedusa, un important point d’arrivée de migrants en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient, les hommes politiques anti-immigration en Italie ont suggéré que le pape devrait s’occuper de ses propres affaires.
• Quatrièmement, les progressistes catholiques peuvent déchanter si leurs espoirs en François ne correspondent pas à ce qu’il peut ou souhaite libéraliser. Déjà, certains défenseurs des femmes prêtres et des droits des homosexuels ont utilisé la blogosphère pour râler à propos de ce qu’ils considèrent comme un décalage entre le discours du pape sur la miséricorde et ses positions concrètes sur ces questions.
• Cinquièmement, il y a au Vatican une « vieille garde » mal définie qui peut être résistante à l’éclipse de son pouvoir et de ses privilèges traditionnels. Jusqu’à présent, aucune personne identifiée à ce groupe n’a publiquement rompu les rangs, même si certains ont détecté ses empreintes digitales sur un mauvais scandale impliquant le prélat trié sur le volet par François, pour l’aider à réformer la banque du Vatican, un prêtre italien nommé Mgr. Battista Ricca. À la mi-Juillet, le journaliste italien Sandro Magister a publié un article sensationnel à charge révélant que, lorsque Ricca était un diplomate du Vatican en Uruguay de 1990 à 2001, il avait un amant masculin, fréquentait les bars gays, où il fut une fois battu et qu’une autre fois il introduisit à l‘ambassade un jeune homme avec lequel il fut coincé toute la nuit dans un ascenseur.
Pour l’instant, François semble le soutenir. A bord de l’avion papal, il a dit qu’une enquête préliminaire a montré qu’« il n’y a rien de vrai dans ce dont on l’a accusé. » (C’est une question à propos de Ricca qui a suscité le désormais célèbre « Qui suis-je pour juger ? » du pape à propos des gays.
Toutefois, le cas Ricca se développe, quelqu’un chargé par François de mettre en œuvre la réforme doit probablement s’attendre à ce que des squelettes cachés dans son placard courent le risque risque d’être exposés.
Un automne chaud
Bien que François ne prenne pas les vacances habituelles en août à Castel Gandolfo, la plupart des observateurs ne s’attendent pas à ce qu’il commence à mettre en œuvre d’importantes réformes structurelles avant l’automne.
Une décision très attendue est de savoir qui il va nommer comme son secrétaire d’Etat – une position qui, bien que diminuée par la tendance de François à s’adresser à l’extérieur du système du Vatican, comporte encore un force considérable.
À ce jour, le pape n’a pas fait pencher sa main. De nombreux observateurs estiment que le cardinal italien Giuseppe Bertello, un diplomate chevronné et actuellement à la tête de l’Etat du Vatican, est en pole position. Cependant, compte tenu de la capacité de François à faire la surprise, on ne peut pas appliquer la sagesse conventionnelle.
François aura également bientôt à faire face à des choix importants à la tête de diocèses phares. A Cologne, en Allemagne, le cardinal Joachim Meisner a 79 ans, tandis que le Cardinal Antonio Rouco Varela à Madrid et le cardinal François George de Chicago ont tous deux 76 ans – ils sont tous au-delà de l’âge habituel de la retraite
François a montré le genre d’évêque qu’il veut. Dans un discours au Brésil, il a dit : «Les évêques doivent être des pasteurs, proches des gens, des pères et des frères ; ils doivent être bons, patients et miséricordieux. »
Les évêques doivent être des « hommes qui aiment la pauvreté, à la fois la pauvreté intérieure, qui est liberté devant le Seigneur, et la pauvreté extérieure, qui est la simplicité et l’austérité de la vie », a-t-il dit. « Des hommes qui ne se pensent pas et ne se comportent pas comme des ‘’princes’’. Des hommes qui ne sont pas ambitieux, qui sont mariés à une église sans porter leurs yeux sur un autre. »
La question est de savoir s’il peut trouver des prélats de chair et de sang correspondant à cette vision, un défi majeur dans une Eglise où le personnel est souvent politique.
Le situation romaine semble donc préparée à ce que les Italiens appellent autunno caldo – un « automne chaud ». Le défi pour François, semblerait-il, est de maintenir les feux brûlants de la réforme sans faire trop bouillir la marmite.
John L. Allen jr
Traduction par Lucienne Gouguenheim
Source : article publié (en anglais) par National Catholic Reporter le 12 août 2013 à :
http://ncronline.org/news/vatican/stage-set-looking-toward-francis-revolution-s-still-come
Photo : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Place-Saint-Pierre-foule.jpg