La Théologie Palestinienne de la Libération (TPL) : ses débuts
La théologie Palestinienne de la Libération fête son vingt-cinquième anniversaire. L’article de Naïm Ateek reproduit ici expose son histoire : il est extrait du numéro 66 de la revue “Cornerstone”, publiée par Sabeel et diffusée dans sa version française par Les Amis de Sabeel-France.
Trois facteurs ont contribué au développement d’une théologie palestinienne de la libération.
Le premier facteur fut l’Intifada palestinienne de 1987 : Cette Intifada fut la réponse de la communauté palestinienne contre l’occupation israélienne illégale de la Palestine. Elle commença 20 ans après l’occupation de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie, avec Jérusalem-Est. L’objectif était de mettre un terme à l’occupation et de trouver une solution au conflit concernant la Palestine sur la base du droit international. Pendant les 20 années qui ont précédé, beaucoup de tentatives internationales en vue d’une solution politique s’avérèrent vaines. Israël était fort militairement et n’était pas intéressé par la paix. Il y eut même une escalade dans la violence de la part de l’État israélien comme de la résistance palestinienne contre l’occupation qui se prolongeait, contre la confiscation de la terre palestinienne, et contre la construction et l’expansion des colonies israéliennes illégales.
Le moment arriva où le peuple palestinien en eut assez de compter sur la communauté internationale pour résoudre le conflit. Par conséquent, les Palestiniens se soulevèrent pour se débarrasser des chaînes de l’oppression. C’est alors que commença l’Intifada. C’était un soulèvement en grande partie pacifique contre une occupation obstinée et acharnée. Les jeunes palestiniens brisèrent les barrières de la peur et firent voler en éclat le mythe de l’invincibilité de l’armée israélienne.
Le deuxième facteur fut la réponse de la communauté religieuse chrétienne à Jérusalem. L’irruption soudaine de l’Intifada suscita une réponse spontanée au sein du peuple palestinien dans toute la Bande de Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem-Est.
En fait, c’était à Jérusalem que 2 000 ans auparavant les disciples de Jésus-Christ avaient proclamé sa résurrection et, par la puissance de l’Esprit-Saint, avaient lancé le mouvement chrétien. Maintenant, à nouveau à Jérusalem, un groupe de chrétiens palestiniens qui se rencontraient régulièrement pour louer Dieu, cherchaient à tâtons la bonne attitude à adopter vis-à-vis de l’Intifada. Il en résulta le lancement initial du mouvement pour une théologie palestinienne de la libération.
Chaque dimanche, après leur célébration, des chrétiens palestiniens se rencontraient et discutaient de la réponse à donner à la lumière de leur foi. Plusieurs éléments résultèrent de ces rencontres. Il y eut une période de thérapie au cours de laquelle les gens partageaient leurs histoires et leurs frustrations, et évaluaient la situation politique et sociale de la semaine écoulée. Il y eut une recherche biblique où la Bible futinvoquée et consultée. Il y eut un travail théologique au cours duquel les gens réfléchirent à la réponse chrétienne à l’égard de la violence de l’armée israélienne. Il y eut des sessions de responsabilisation au cours desquelles la foi et la résolution des gens étaient renforcées et approfondies. Les chrétiens parlaient de la violence et de la non-violence, de l’Intifada, de la justice et de l’injustice de la situation, du besoin de résistance, et du sens de l’amour des ennemis dans des situations de conflit. Ce fut là, dans le hall de la Cathédrale Saint-George, que la théologie palestinienne de la libération vit le jour alors que la communauté religieuse chrétienne réfléchissait sur ses relations avec Christ et sur sa responsabilité envers les autres.
Le troisième facteur fut la publication du livre Justice et seulement la Justice, une Théologie palestinienne de la Libération, en 1989. Le manuscrit de mon livre était déjà chez Orbis Books (l’éditeur, ndt), à New-York, quand l’Intifada commença dans les territoires occupés palestiniens. Je garde le souvenir précis du fait que je dus me dépêcher d’ajouter quelques pages à propos de l’Intifada afin que le livre ne soit pas obsolète avant même d’avoir été publié. Le livre fut publiquement présenté à la Cathédrale Saint-George peu après sa publication ; et il devint une référence pour le mouvement naissant d’une théologie palestinienne de la libération.
Par la grâce de Dieu, le mouvement se répandit peu à peu aussi bien dans le pays qu’à l’étranger.
Quelques points d’ancrage théologique :
Une des idées les plus stimulantes qui touchèrent les chrétiens palestiniens fut la découverte que Jésus lui-même a été un Palestinien qui vécut et mourut sous l’occupation romaine. Une telle découverte rapprocha les chrétiens palestiniens du 20ème siècle de leurs ancêtres du premier siècle. Cela les rapprocha de Jésus, dans son humanité et dans ses rapports avec son pays, sa population et ses autorités. Jésus devenait une personne concrète, et ses idées, son enseignement revêtaient peu à peu une plus grande clarté pour les chrétiens palestiniens. Ce cheminement aboutit à deux résultats importants.
En premier lieu, Jésus commença à être vu comme un paradigme de la foi. Les chrétiens pouvaient regarder à lui et prendre modèle sur lui pour leur vie. Jésus fit aussi l’expérience de la dureté de la vie sous l’occupation d’un oppresseur, d’une manière semblable à l’expérience de l’oppression de notre peuple . En second lieu, Jésus-Christ devint un critère pour mesurer, juger, tester, et évaluer le comportement des gens d’aujourd’hui. Jésus-Christ nous inspira dans nos actions ; et comme lui, beaucoup d’entre nous se sont apprêtés à utiliser ses méthodes non-violentes. La personne de Jésus devint pour eux la clé d’interprétation de la Bible, spécialement celle des difficiles textes de l’Ancien Testament.
Un autre point d’ancrage a été la priorité donnée à la justice, et la reconnaissance qu’une paix durable ne pouvait être fondée que sur la justice. Le problème de la justice est de la compétence des Églises, et il est nécessaire que les responsables des Églises osent prendre position en faveur de la vérité et de la justice. Le temps est venu pour le gouvernement israélien d’admettre les fautes et les injustices qu’il a commises envers les Palestiniens, et d’accepter de partager la terre de Palestine avec eux. Les Palestiniens, d’origines religieuses variées, sont le vrai peuple autochtone du pays.
Autres réflexions :
Si l’on fait une rétrospective du chemin parcouru ces 25 dernières années, on peut vraiment dire que chaque fois que nous proclamons l’Évangile, nous proclamons en fait la libération. En un sens, je considère la libération comme l’essence de notre foi chrétienne. Le terme libération a un sens très complet. À la fois en hébreu et en grec anciens, sa signification inclut la notion de salut, de délivrance, de secours aussi bien que celle de bien-être et de guérison. En fait, le concept de théologie de la libération a émergé d’un contexte d’oppression et d’injustice. Où que se trouvent l’oppression, la domination et l’injustice, il est naturel pour les êtres humains de rechercher la liberté et la libération. De ce point de vue, Jésus-Christ est notre libérateur.
Dans le contexte de la Palestine et d’Israël, la théologie de la libération s’est développée officiellement plus de 40 ans après la Nakba. Pourtant, ses racines étaient probablement inconsciemment cachées déjà auparavant, et elles ont mûri et se sont développées dans l’esprit et l’âme des uns et des autres. De plus, je suis sûr que certains pasteurs, comme certains laïcs pratiquaient déjà une forme de théologie de la libération, sans la nommer. En effet, depuis le début, bien des gens se sont engagés dans le combat pour la résistance. Beaucoup choisirent le combat armé ; d’autres optèrent pour des moyens pacifiques et non-violents. Beaucoup furent emprisonnés et déportés, alors que d’autres y laissèrent leur vie.
On peut dire que la flamme de la vérité et de la justice ne s’est jamais éteinte. Les gens étaient conscients de la puissance militaire d’Israël, ainsi que du pouvoir de ses forces de sécurité d’appréhender n’importe quel suspect, et de neutraliser ceux qui étaient perçus comme une menace. En dépit de tout cela, le peuple a résisté par des voies non-violentes diverses.
Au cours de cette période, la foi de beaucoup de gens fut secouée à cause du conflit palestinien. Et pour ceux qui continuaient de s’accrocher à leur foi, leur théologie revêtait un caractère de désespoir et de résignation. Elle consistait en une attente passive de Dieu. C’est pourquoi la TPL, fut l’étincelle qui alluma un feu qui eut un double effet. En premier, il brûla les chaînes d’une théologie opprimante qui entravaient beaucoup d’entre nous. Et puis le feu de la TPL fut la lumière qui éclaira nos chemins pour parvenir à une meilleure compréhension de Dieu en Christ, et pour découvrir le merveilleux message de la Bible sur un Dieu d’amour qui aime tout homme de la même manière et qui veut la justice, la paix, et la libération pour tous.
Finalement, depuis ses tous débuts, la TPL s’est engagée sur la voie de la non-violence, et a mis l’accent sur trois points essentiels successifs : la justice, la paix et la réconciliation. La justice doit venir en premier. C’est la justice qui peut produire la paix, et la paix peut ouvrir la porte à la réconciliation.
Naïm Ateek
Traduction A.L. Bandelier
Accéder à la revue CORNERSTONE – N° 66 – Traduction française
site des Amis de Sabeel – France