Pourquoi les Eglises d’Asie ont-elles besoin des vents du changement ?
Notre ami Didier Vanhoutte a participé au nom d’IMWAC (International Movement We Are Church / Mouvement international Nous sommes Eglise) à la rencontre « Chiang Mai 2013 » tenue du 12 au 22 août 2013 en Thaïlande et organisée par l’Institut de Théologie Woori de Séoul. Le thème général de cette rencontre était « Le développement sans limites et la vie des peuples autochtones sur fond de crise écologique en Asie ». Elle impliquait deux entités associées : l’Académie de la Jeunesse asiatique (AYA – Asian Young Academy) et le Forum de Théologie asiatique (ATF – Asian Theology Forum). Les thèmes traités étaient les suivants : pour l’AYA « La jeunesse promotrice de paix, pour la vie des peuples autochtones en Asie face à la crise écologique » et pour l’ATF : « Les grandes spiritualités des peuples autochtones et le développement durable ». Vous trouverez ci-après la traduction de l’intervention de Paul Hwang faite lors d’une session de l’AYA.
L’interface entre le catholicisme et l’animisme est un excellent exemple
Par Paul Hwang
Il m’arrive souvent de penser qu’il est difficile pour un laïc ayant une certaine expérience sociologique et théologique de travailler avec la hiérarchie de l’Eglise, en particulier en Asie. Sa structure et sa culture verticales et rigides rendent pratiquement impossible pour les laïcs d’être des partenaires égaux du clergé dans la plupart des pays asiatiques, en dépit du fait que le christianisme y est une infime minorité.
Mais le vent du changement souffle de plus en plus plus fort. Il ne serait pas logique de dire que c’est grâce au pape François, parce qu’il est lui-même membre du clergé. Je dirais plutôt que c’est à cause de l’Esprit, travaillant à la fois parmi les laïcs et le clergé. C’est lui que fait souffler le vent, à un rythme certes lent mais régulier.
Permettez-moi de vous raconter l’histoire de Maria (ce n’est pas son vrai nom), une militant laïque de Sarawak en Malaisie orientale. Quand je l’ai invitée à l’un des forums théologiques et aux ateliers de formations pour les jeunes militants que j’ai organisés chaque année au cours de ces 10 dernières années, elle a dit aux autres participants de cette réunion : « C’est une expérience qui change la vie. » La raison en est que cet événement lui a permis de se définir comme « chrétienne » avec beaucoup plus de confiance.
Elle a été baptisée chrétienne et elle l’est toujours : une telle déclaration en public de sa part n’a donc rien de remarquable. C’était cependant particulier pour elle, parce qu’elle est la petite-fille d’un chaman dans son village. Personne ne lui avait dit auparavant que le catholicisme et la théologie pourrait englober le système de croyance traditionnel, animiste, de ses grands-parents.
Des théologiens et des savants ont débattu de cette question théologique sensible. Parmi eux, on peut distinguer particulièrement Thomas Berry ; il a même proposé le concept de « l’animisme chrétien » comme une interprétation créative des religions traditionnelles comme celle des grands-parents de Maria. Mais ceci se passe dans un monde savant, pas dans la vraie vie de quelqu’un comme Maria.
Avant de rencontrer un théologien au cours d’une réunion, elle n’avait personne pour l’aider à concilier sa foi actuelle avec la religion traditionnelle qui faisait partie de ses racines. Maria a grandi avec l’idée que la religion primitive est l’animisme, une croyance religieuse qui a encore de nombreux partisans dans les régions rurales de l’Asie. Les animistes croient que les entités physiques naturelles, y compris les animaux, les plantes et même les objets inanimés possèdent une essence spirituelle influente. Maria a aussi grandi avec l’idée que l’animisme et le christianisme sont irréductiblement incompatibles.
Naturellement, cela l’a conduite à se sentir découragée et coupable en raison de son respect pour ses aînés. Elle avait tenté sans succès de concilier les sens de sa « double appartenance ».
Lors de la conférence, cependant, elle a pris conscience de l’idée que les esprits animistes peuvent être considérées comme les divers visages d’un « Christ cosmique ». C’était la « bonne nouvelle qui change la vie » et qui a rendu Maria tellement heureuse qu’elle en dansait.
Mais Maria a peut-être eu de la chance, il y a beaucoup de travailleurs d’ONG chrétiennes de diverses traditions religieuses en Asie qui n’ont personne à qui demander ce genre d’aide.
À mon avis, ils ont un besoin urgent de renforcer leur identité chrétienne tout en conservant les cultures et religions traditionnelles locales, pour s’engager plus fortement dans leur travail. Mais ils ne reçoivent pas de l’Église le soutien dont ils ont besoin. Ils sont littéralement abandonnés.
Naturellement, toute institution religieuse soutiendra ses séminaristes et les préparera à la prêtrise. Mais en ce qui concerne la relation entre le christianisme et l’animisme, le niveau de formation des jeunes dirigeants laïcs se monte à zéro. Il n’existe pas non plus de reconnaissance des dures réalités auxquelles sont confrontés les militants d’ONG liées à l’Eglise en Asie.
Je vois cela comme un signe simple, clair que le clergé de l’Eglise n’est pas prêt à travailler avec les laïcs.
Les évêques locaux ont mis l’accent sur la « collégialité », l’un des grands trésors retrouvés du Concile Vatican II. Aujourd’hui, il est généralement considéré que c’est là tout ce qui concerne les évêques, leurs relations entre eux et leur autonomie. Malheureusement, on s’arrête souvent aux évêques et on ignore la situation d’ensemble, qui est le peuple de Dieu, comme une communion de communautés.
Comme le dit à juste titre le Pape François, l’Eglise n’est pas une ONG. Mais les travailleurs des ONG liées aux Eglises sont importants et il ne faut pas les négliger. Ils pourraient même être ceux qui font de l’Eglise un mouvement de pèlerinage vers le Royaume de Dieu.
Nous allons donc utiliser le vent du changement pour créer un esprit de solidarité entre les laïcs et le clergé. D’une façon modeste, mon programme théologique pour les jeunes montre comment les deux peuvent travailler ensemble. Je sens que le changement vient de l’intérieur. Mais à ce moment crucial, nous devons faire encore plus d’efforts.
La solidarité doit se manifester avec une participation accrue des laïcs dans la prise de décision à tous les niveaux de l’Eglise en Asie. Nous avons besoin de soutien systématique pour la formation des laïcs en général, et des jeunes leaders laïcs en particulier.
Je voudrais voir mis en place une institution ou un comité pour traiter de ces questions de manière concrète. Ce serait un pas de géant pour réaliser et rendre visible le vent de changement dans l’Eglise.
Dr Paul Hwang
Traduction par Lucienne Gouguenheim
Le Dr. Paul Hwang est l’un des membres fondateurs de l’Institut de Théologie Woori à Séoul. Il soutient les jeunes leaders laïcs en organisant des forums théologiques et des ateliers de formation pour les théologiens asiatiques et les militants d’ONG d’Eglise.
EN SAVOIR PLUS :
• Présentation de la rencontre « Chiang Mai 2013 »à :
• Programme détaillé de la rencontre à :
• Site de l’Institut de Théologie Woori (WTI) de Séoul à :
http://www.icmica-miic.org/en/about-us/2013-06-04-16-36-42/asia/191-wti.html