Par Laurent Grzybowski
ATD Quart Monde publie un ouvrage intitulé En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté (éd. de l’Atelier) afin de lutter contre les préjugés. Il démontre que la stigmatisation des plus pauvres repose non sur des faits, mais sur une idéologie qui masque les véritables causes de la misère.
Ce petit manuel « anti idées reçues » démonte point par point, chiffres et documents officiels à l’appui, 88 lieux communs véhiculés sur les pauvres et la pauvreté, la fraude aux aides sociales, l’immigration, etc. «Dans notre monde en crise, les pauvres et les étrangers deviennent les boucs-émissaires d’une société où les relations ne cessent de se durcir », explique Bruno Tardieu, délégué national du mouvement ATD Quart Monde en France, l’un des auteurs du livre. « Il ne suffit pas que les personnes aient des droits, il faut aussi qu’elles soient reconnues pour ce qu’elles sont. Nous avons réalisé ce manuel pour déconstruire des préjugés bien ancrés, les démasquer et les combattre. On ne peut pas laisser dire des choses inexactes et humiliantes sur les pauvres. »
« Les pauvres coûtent chers », « les sans-abri ne veulent pas travailler », « les pauvres font des enfants pour toucher des aides », « on ne vit pas trop mal avec le RSA », « les immigrés prennent des emplois aux Français », « les Roms ne veulent pas s’intégrer », « les gens du voyage roulent en Mercedes »… « Tous ces clichés contribuent à montrer du doigt et à isoler un peu plus des personnes qui ont surtout besoin d’être acceptées et encouragées, témoigne Marie-France Zimmer, membre d’ATD Quart Monde et co-auteur du fascicule. Par exemple, beaucoup de gens croient que le montant du RSA est proche de celui du SMIC, que l’on peut cumuler le RSA et les allocations familiales. Certains sont même persuadés qu’avec le RSA, on touche plus qu’avec le SMIC. Tout cela est faux, je suis bien placé pour le savoir. Ce livre prouve que nous ne sommes ni des menteurs, ni des fraudeurs. »
Un travail de fond commencé au printemps 2012, pendant la campagne des élections présidentielle et législatives. Le mouvement ATD Quart Monde avait alors élaboré des propositions, adressées aux candidats et aux électeurs, accompagnées d’un argumentaire dénonçant les préjugés dont sont victimes les plus faibles. « La misère n’est pas la seule affaire des plus démunis. Elle est un dysfonctionnement entre nous, citoyens. Elle l’est aussi entre les institutions et certaines personnes que nous considérons hors du monde », affirme Bruno Tardieu pour qui « la seule manière de dépasser les stéréotypes, c’est la rencontre et la connaissance de l’autre ».
La publication de ce livre s’inscrit dans une action plus large [1]. Le 17 octobre, journée mondiale du refus de la misère, une délégation d’ATD sera reçue à l’Assemblée nationale pour défendre le principe d’une proposition de loi instaurant le délit de discrimination pour origine sociale.
[1] http://www.atd-quartmonde.fr/Les-idees-fausses-ca-suffit
Extraits du livre :
• « Les pauvres font tout pour profiter au maximum des aides »
FAUX.
Au contraire, beaucoup ne sollicitent pas les aides auxquelles ils ont droit. Pour différentes raisons (volonté de ne pas dépendre de l’aide publique, complexité des démarches, manque d’information, souhait de ne pas être contrôlé…), une partie des personnes éligibles à différentes aides n’en font pas la demande. C’est ce qu’on appelle le non-recours. Les taux de non-recours sont les suivants : 50 % en moyenne pour le RSA (68 % pour le RSA activité, 35 % pour le RSA socle), 29 % pour la CMU complémentaire, 68 % pour le tarif première nécessité d’EDF, 62 % pour le tarif spécial solidarité de GDF, 50 à 70 % pour les tarifs sociaux dans les transports urbains.
• « Si l’on veut travailler, on trouve »
FAUX, LA SITUATION N’EST PAS SIMPLE.
Il est vrai que quelques dizaines de milliers d’offres d’emplois ne sont pas pourvues chaque année, pour différentes raisons qui peuvent toucher à l’éloignement géographique, à la durée trop courte du travail proposé, etc. Mais, dans l’état actuel du marché de l’emploi (entre trois et cinq millions de chercheurs d’emplois en France, selon la catégorie que l’on considère), il est un peu rapide de prétendre qu’il est facile de trouver du travail. De plus, certaines personnes restées depuis longtemps sans travail ont besoin d’être soutenues pour revenir à l’emploi (…)
« Quand on les interroge, confirme l’Onpes (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale) dans son rapport Penser l’assistance, les personnes en situation de pauvreté espèrent majoritairement trouver un emploi et améliorer leur niveau de vie, tout en devenant autonomes. Toute fois, beaucoup d’entre elles rencontrent des obstacles pour y parvenir : formation insuffisante, problèmes de santé ou de mobilité, d’enfants à charge, enfin – et surtout – absence d’emplois accessibles localement. Une littérature abondante a analysé les comportements discriminatoires de certains employeurs par rapport au lieu d’habitation ou à l’origine ethnique des candidats. On peut penser que le fait de percevoir des prestations d’assistance aboutit au même type de signalement. »
• « Les pauvres sont des fraudeurs »
FAUX.
Ils fraudent beaucoup moins que les autres. Il ne s’agit pas de nier la fraude aux prestations sociales, ni la nécessité de lutter contre elle. Mais elle est très faible par rapport aux autres types de fraudes – notamment la fraude fiscale -, auxquels les discours stigmatisants s’intéressent beaucoup moins. 60 millions d’euros de fraude au RSA en 2009 pour environ 2 millions de bénéficiaires, cela représente en moyenne 30 euros par personne et par an. « La fraude des pauvres est une pauvre fraude », estimait le Conseil d’Etat en février 2011.
En face des 4 milliards de fraude estimée aux prestations sociales, alignons les montants estimés des non-recours à ces mêmes prestations : 5,3 milliards pour le RSA, 4,7 milliards pour les prestations familiales et le logement, 828 millions pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)…, soit au total environ 11 milliards « économisés » chaque année par l’Etat parce que, pour différentes raisons, une partie des personnes qui ont droit à ces prestations ne les sollicitent pas. Au bout du compte, malgré la fraude, l’Etat est donc gagnant d’environ 7 milliards d’euros par an ! « Les discours stigmatisants ont pour effet de culpabiliser les ayants droit, entraînant ainsi des non-recours et donc des non-dépenses », estime l’Odenore (http://odenore.msh-alpes.fr/).
• « Les pauvres ne paient pas d’impôts »
FAUX.
Ils participent comme les autres citoyens à la moitié des recettes fiscales de l’Etat. Si elles échappent à l’impôt sur le revenu, les personnes en situation de pauvreté paient comme les autres la TVA (48,3 % des recettes fiscales de l’Etat en 2010) et les taxes sur les alcools et le tabac (9,1%). Le taux moyen d’imposition (impôts directs et indirects) des 10 % les moins riches est d’environ 40 %, alors que celui des 0,1 % les plus riches est d’environ 37 %. Celui des revenus moyens de 45 à 48 % (source Insee : http://www.revolutionfiscale.fr). Précisons que pour les plus hauts revenus, les taux réels d’imposition sont souvent très inférieurs aux taux affichés, à cause des niches fiscales. Grâce à elles, une partie des plus hauts revenus échappe à une part de l’imposition. Il est vrai que les familles aux plus faibles revenus peuvent être exonérées de la taxe d’habitation et de la redevance TV, mais il faut effectuer beaucoup de démarches avant d’obtenir ces exonérations et il faut les renouveler régulièrement.
• « Les pauvres ont des écrans plats et des téléphones portables »
C’EST VRAI.
Mais il est erroné de croire que les gens ne sont pas pour autant confrontés à une grande précarité. La diffusion de ces objets s’est tellement répandue dans toutes les couches de la population, y compris celles qui connaissent la grande précarité, qu’ils ne sont plus vraiment un signe de richesse ou de pauvreté. « Avec les téléviseurs chinois bon marché, les pauvres peuvent s’offrir la télévision et, en général, les habitants déshérités d’Inde et de Chine l’ont aussi, confirme l’économiste Joseph Stiglitz. Dans le monde actuel, ce n’est pas un signe de richesse. » On voit bien par contre que le fait de posséder une voiture ou de manger de la viande, par exemple, est un indicateur de pauvreté (plus ou moins important selon le pays). On pourrait se dire que les familles en difficulté feraient mieux de manger de la viande, de se chauffer (ou de payer leurs factures!) plutôt que d’acheter une télé ou un téléphone portable… A cela, Joseph Stiglitz répond : « vendre le téléviseur ne mènera évidemment pas bien loin un ménage pour financer des dépenses comme l’alimentation, les soins médicaux, le logement ou l’accès aux bonnes écoles. » Il ajoute que l’on ne peut éluder aussi la question du bien-être lié à l’acte de consommer. Si la télévision procure des moments de bonheur, de quel droit priverait-on ceux qui ont le moins accès au bien-être ? Plus prosaïquement, sans téléphone portable, comment chercher un emploi ?
• « Les sans-abri atteints de troubles mentaux sont violents »
PAS SI SIMPLE.
Le trouble mental n’est pas en soin facteur d’une violence aggravée. De façon générale, « les images véhiculées par les discours politiques, les médias et le cinéma montrent la personne malade comme agressive, voire criminelle. Or, la réalité, c’est que les personnes atteintes de troubles psychiatriques sont douze fois plus victimes d’agressions physiques et 130 fois plus victimes de vols que leurs concitoyens. » (Rapport sur les droits et la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques présentés à l’Assemblée nationale en mars 2011). L’enquête Samenta (Santé mentale et addictions chez les personnes sans logement), réalisée par l’Observatoire du Samu social de Paris et l’Inserm en 2009 montre que le risque relatif que les personnes atteintes de troubles mentaux commettent des actes violents « n’est un peu plus élevé que pour des populations non malades » que « si la maladie mentale est accompagnée par d’autres facteurs. Par exemple, si la personne a été victime de violences dans le passé, s’il existe un contexte de violence environnante ou si elle abuse de substances toxiques. » Cette enquête montre que les personnes sans domicile atteintes de troubles mentaux sont plus souvent victimes que responsables de violences.
Source : http://www.lavie.fr//solidarite/88-idees-fausses-sur-la-pauvrete-10-09-2013-43826_406.php
A LIRE : En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ATD Quart Monde, Ed. de l’Atelier, 190 pages, 5 €, Septembre 2013.
Présentation par l’éditeur à :
http://www.editionsatelier.com/index.php?ID=1018896&contID=1015267