Par Christian Chavagneux
L’obsession de la croissance et de la consommation illimitées représente le mal le plus dangereux du capitalisme contemporain : faute de les maîtriser, c’est l’avenir même de notre planète qui est en jeu. La transition écologique n’est alors plus un futur parmi d’autres, c’est une nécessité politique. Mais elle n’advient pas. Pourquoi et qu’est-ce qu’il faudrait faire pour avancer ? La philosophe et sociologue Dominique Méda nous livre son analyse et ses réponses, en réussissant l’alliage parfait entre la limpidité du pédagogue et le ton enlevé et convainquant de la militante.
Une approche alternative
Economistes et sociologues sont d’emblée montrés du doigt pour avoir, à de rares exceptions près, « systématiquement minorés, voire rendus invisibles », les dégâts du progrès sur la nature et sur les hommes. Le débat s’est enfin ouvert ces dernières années, prenant surtout la forme d’une remise en cause de l’indicateur phare de mesure du progrès, le produit intérieur brut (PIB).
Mais la floraison des indicateurs alternatifs, issus de l’OCDE, de la Banque mondiale ou de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, reste prisonnière de deux hypothèses délétères : le capital humain ou l’innovation technique pourront toujours se substituer au capital naturel, lequel n’a pas besoin d’être protégé en soi ; il suffit de donner un prix, une valeur monétaire, à la nature et de conserver les mêmes raisonnements économiques habituels pour résoudre tous les problèmes. Dominique Méda conteste ces hypothèses – ce qui nous vaut notamment une belle critique des travaux de Robert Solow sur le sujet – et dessine les pistes d’une approche alternative.
Redonner du sens
Il faut par exemple dresser un inventaire du patrimoine naturel de l’humanité que l’on souhaite protéger et décider collectivement d’un indicateur complémentaire au PIB mesurant les dégâts écologiques et sociaux. Les pays industrialisés doivent s’habituer à un monde de croissance faible et être capables de créer de l’emploi par la réduction négociée du temps de travail, par les gisements d’emplois de la transition énergétique et agricole, et par le développement des services de bonne vie. Il faut privilégier les circuits courts et revenir sur la mondialisation.
Les confédérations syndicales internationales portent déjà ce combat. Mais seule la puissance publique pourra mener cette transition, de manière centralisée mais négociée. Un programme pour sauver la planète mais aussi redonner sens au travail. Et à nos vies.
Christian Chavagneux
Source : publié dans le mensuel Alternatives Economiques n° 327 – septembre 2013 (4,30 €), actuellement en kiosque.
Divers accès en ligne pour ce numéro :
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Présentation de l’ouvrage par l’éditeur :
La mystique de la croissance. Alors que les pays occidentaux font face à une crise économique et sociale d’une extrême gravité, responsables politiques et experts attendent le salut du seul retour de la croissance. Pourtant si celle-ci revenait, elle contribuerait sûrement à aggraver la menace écologique à laquelle le monde est confronté. Comment sortir de cette contradiction ?
En comprenant pourquoi et comment nous sommes devenus des « sociétés fondées sur la croissance ». En tirant toutes les conséquences du caractère anachronique et pervers des indicateurs – tel le PIB – qui sont devenus nos fétiches.
En mettant au coeur de l’action publique ce qui compte pour inscrire nos sociétés dans la durée.
La reconversion écologique est le seul moyen de maintenir des conditions de vie authentiquement humaines sur Terre, de permettre à tous d’accéder à l’emploi et de changer le travail. Elle suppose de rompre avec une partie de nos croyances, liées à l’avènement de la modernité : le caractère intrinsèquement bon de la maximisation de la production, le progrès confondu avec l’augmentation des quantités, la passion de l’enrichissement personnel… Elle exige aussi de mettre un terme à la prétention de l’économie à décrire seule le monde que nous voulons.
A LIRE : « La mystique de la croissance. Comment s’en libérer », par Dominique Méda, Ed. Flammarion, Collection Documents et Essais, 2013, 265 p., 17 euros, 04/09/2013.