La révolte des associations
C’est le thème du dossier récemment publié par Politis alors qu’une semaine d’action nationale se développe du 14 au 22 septembre pour alerter bénévoles et militants, citoyens, élus locaux et pouvoirs publics sur les risques que le plan de rigueur fait courir aux associations et par ricochet à la société tout entière.
Présentation, par Thierry Brun
Des grands noms du secteur associatif comme le Secours populaire, France Nature environnement, le Planning familial, la Fédération des centres sociaux, l’association des accidentés de la vie (Fnath), Vacances et famille, la Ligue des droits de l’homme ou les Maisons des jeunes et de la culture (MJC) sont signataires d’un appel au titre radical : « Non à la disparition des associations ». Localement, un grand nombre de structures sont en passe de mettre la clé sous la porte ou de fermer un lieu d’accueil et de supprimer des emplois. Beaucoup sont au bord du gouffre et craignent que l’accélération des restrictions budgétaires ne les achève. L’annonce en juin par Jean-Marc Ayrault d’un plan d’économie sans précédent de 14 milliards d’euros fait courir un « énorme risque sur l’apport financier » que les associations reçoivent sous forme de subventions publiques, alerte le Collectif des associations citoyennes (CAC) dans une lettre ouverte adressée à Jean-Marc Ayrault et à Valérie Fourneyron, ministre de la Vie associative. En quatre mois, l’appel lancé par ce collectif a rassemblé près de 5 000 signatures, 136 réseaux et associations régionales ou départementales, ainsi qu’un grand nombre de petites associations locales. L’afflux de témoignages et de signatures est sans précédent. Des élus de gauche, des militants associatifs et des universitaires ont apporté leur soutien à ce mouvement inédit, qui a prévu une semaine d’action nationale du 14 au 22 septembre dans la plupart des départements et grandes villes. Le collectif exige « la reconnaissance du rôle des associations dans la société et le maintien des financements associatifs ». Surtout, il prévient que l’enjeu est de préserver l’un des piliers de la vie démocratique, sociale et culturelle.
Comment l’Etat orchestre un plan social insidieux
Quarante mille emplois menacés ! Les restrictions budgétaires entraînent une diminution des subventions publiques qui place le secteur associatif dans une situation explosive.
Ce qui se passe dans la fédération nationale des Francas, important mouvement d’éducation populaire et fédération de centres de loisirs, est symptomatique de la situation dramatique vécue par le mouvement associatif. Son association lilloise a connu de grosses difficultés en 2012 après la diminution de 30 % des subventions municipales. Au point de mettre en péril les centres de loisirs qui accueillent les enfants : onze salariés étaient sur la sellette avant que la Ville et le réseau trouvent in extremis une solution. Cette situation n’est pas un cas isolé dans la fédération nationale, qui a pourtant signé en juin, avec Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, et Benoît Hamon, ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire (ESS), un accord-cadre pour développer l’éducation et la formation à l’ESS.
Au-delà des Francas, beaucoup d’associations ont du mal à boucler leurs fins de mois et sont sur le point de cesser leur activité en raison des mesures d’économie prises par les collectivités et l’État. Le conseil général de Seine-Maritime, un exemple parmi d’autres, a divisé par deux ses dotations aux clubs de prévention du département, « alors même que la politique de la Ville est présentée comme prioritaire », indique une note du Collectif des associations citoyennes (CAC). Le département de la Gironde réduit l’ensemble de ses subventions de 15 % en 2013, « mais annonce que ce sera beaucoup plus en 2014 », ajoute la note.
« Les restrictions des dotations de l’État aux collectivités territoriales sont telles qu’elles ne peuvent qu’amener ces dernières à concentrer leurs ressources sur les dépenses contraintes, au détriment de la vie associative et de la démocratie », alerte le CAC, dans une lettre ouverte adressée le 9 juillet à Jean-Marc Ayrault et à Valérie Fourneyron, ministre de la Vie associative.
Dès le mois d’avril, le collectif a tiré le signal d’alarme en lançant un appel intitulé « Non à la disparition des associations »[1]. Et l’annonce faite en mai par Jean-Marc Ayrault d’économies budgétaires à réaliser en 2014, à hauteur de 14 milliards d’euros, a suscité un mouvement de grande ampleur dans le secteur associatif.
« Le plan de réduction des dotations de l’État versées aux collectivités prévoit une baisse supplémentaire de 1,5 milliard d’euros en 2014 et autant en 2015 », relève Didier Minot, un des animateurs du CAC et fondateur du Réseau des écoles de citoyens (Récit) [2]. « Les collectivités territoriales doivent prendre part à l’effort de redressement avec, en 2013, la stabilisation des concours de l’État puis leur réduction progressive », ajoute Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France (AMF), qui a demandé à Jean-Marc Ayrault, en mars, de « changer sa façon de travailler », après l’annonce d’une deuxième baisse des dotations de l’État.
De plus, « l’accroissement des compétences de départements, déjà en difficulté, risque de les amener à recentrer leur action sur l’économie et la formation professionnelle au détriment du secteur associatif. Les communes sont également touchées et risquent de perdre toute marge de manœuvre en 2015 », indique la lettre ouverte du CAC.
Dans un état des lieux dressé en juin [3], Viviane Tchernonog, chercheuse au CNRS et spécialiste des associations, souligne que « la baisse massive des subventions dans les dernières années et son corollaire, la généralisation des commandes publiques, ont des conséquences importantes sur l’avenir des associations et les fonctions qu’elles remplissent ». L’universitaire relève de plus que « les subventions publiques sont surtout concentrées dans les grandes associations : 2 % d’entre elles, soit environ 27 000, perçoivent 71 % des subventions publiques, soit une aide moyenne de l’ordre de 360 000 euros ». Elle souligne aussi que la baisse des subventions publiques a « pour effet de fragiliser les associations moyennes, qui ne sont pas en mesure d’accéder aux commandes publiques ».
En fait, près de la moitié des subventions de l’État vont aux associations parapubliques telles que les œuvres sociales, les colonies de vacances, les restaurants des ministères, diverses agences, l’Afnor, l’Afpa, qui ont pour la plupart une forme associative, pointe le Collectif des associations citoyennes. Il ajoute que ces subventions « sont la plupart du temps gérées au sein des mêmes programmes que les subventions aux associations réelles ». [ cf la note 4 pour en savoir plus].
La régression des financements de l’État est lourde de conséquences : le CAC, qui a été reçu à trois reprises par le cabinet du Premier ministre, parle de « catastrophe qui se traduirait, sur le territoire national, par un énorme “plan social”, plus important encore que ceux qui touchent l’industrie et les services ».
Selon, Didier Minot, « 26 000 emplois ont été perdus en 2010, puis, après une accalmie, 9 000 au dernier trimestre 2012 et au premier trimestre 2013. Les perspectives budgétaires nous amènent à prévoir une amplification de ces pertes d’emplois, que nous estimons à près de 40 000. Cela représente le volume d’emplois perdus par la Lorraine en 1983, au moment des reconversions industrielles. C’est pour cela que nous avons dénoncé “un plan social invisible” dans notre lettre au Premier ministre ».
En comparaison, les emplois d’avenir du gouvernement, conventionnés dans les domaines de l’éducation populaire et du sport, représentent moins de 5 000 emplois : « C’est pourquoi le 19 juillet, considérant que le gouvernement ne ferait plus évoluer sensiblement les emplois d’avenir, la Conférence permanente des coordinations associatives [CPCA, voix institutionnelle du mouvement associatif, NDLR] a fait des propositions au président de la République pour d’autres mesures concernant principalement les grands réseaux », ajoute Didier Minot.
Le CAC reproche au gouvernement d’avoir une vision comptable à court terme : la disparition des subventions publiques « se traduirait par une perte beaucoup plus importante d’activités d’intérêt général, avec un effet multiplicateur de l’ordre de 1 à 3 », ont écrit les membres du collectif au Premier ministre et à la ministre de la Vie associative. « Des milliers de personnes vont se retrouver au chômage. Au total, la décision prise par le gouvernement ne peut que creuser encore plus le déficit, comme le montrent les exemples de la Grèce et des pays de l’Europe du Sud », souligne l’animateur du CAC, qui anticipe « une multiplication des souffrances sociales et des vies brisées, des effets négatifs directs sur l’économie et l’équilibre des territoires, la destruction de projets associatifs patiemment construits, nécessaires à la société », et une perte de l’engagement bénévole.
Pour l’instant, les ponts ne sont pas coupés avec le gouvernement. « Nous avons la reconnaissance implicite d’un besoin permanent de mise en réseau, de réflexion commune et d’action des associations citoyennes. Cela nous conduit à envisager la pérennisation de notre action. Apparemment, le cabinet de Valérie Fourneyron partage ce point de vue, car nous avons reçu une réponse de principe plutôt positive à notre demande de financement pour 2014. » Autant dire que la plateforme associative lancée par le collectif a un bel avenir devant elle.
Thierry Brun
Notes :
[1] Texte de l’Appel « Non à la disparition des associations », téléchargeable (en pdf) en cliquant ci-après : Appel-Non-à-la-disparition-des-associations-A4-28-8-13 [2] http://www.recit.net/[3] « Le financement public des associations entre subventions et commandes », Viviane Tchernonog, juin 2013, étude présentée lors de la conférence « Associations, subventions, collectivités, mode d’emploi », organisée par le ministère de la Vie associative.
[4] Subventions ou appels d’offres ? En France, où les 200 associations les plus subventionnées (dont un grand nombre de structures parapubliques) se répartissent plus de 700 millions d’euros d’aides publiques, près de 35 000 associations sont concernées par les directives européennes qui imposent de passer par des procédures d’appel d’offres pour les marchés publics. En effet, depuis la mise en place du marché européen des services orchestrée par la directive de 2006, Bruxelles considère qu’un grand nombre d’activités associatives relèvent du marché et tombent dans le champ de la concurrence. Certains services de l’État estiment donc que toutes les activités associatives peuvent être qualifiées d’économiques et doivent ainsi répondre à des procédures concurrentielles, comme l’a affirmé la circulaire Fillon de 2010, qui concerne les relations entre les pouvoirs publics et les associations. Le Collectif des associations citoyennes (CAC) s’oppose évidemment à cette vision marchande.T.B.
Source : article paru dans l’hebdomadaire Politis n° 1267 du 5 sept. 2013 dans le cadre du Dossier Société intitulé « La révolte des associations » (p.14-19) coordonné par Thierry Brun. En kiosque (3,30 €) et en ligne à : http://www.politis.fr
Aller plus loin :
• SIGNER l’appel en ligne à :http://www.nondisparitionassociations.net/?page_id=4
• Communiqué de presse (11 sept. 2013) : « Une semaine nationale d’action du 14 au 22 septembre 2013 » téléchargeable en cliquant ci-après :Communiqué-de-presse-11-9-13
• Plus d’information sur les mobilisations sur le site de la plateforme à :