Des opposants à Christiane Taubira se manifestent à Angers
On trouvera ci-après l’article du journal local AngersMag qui rend compte de ce qui s’est passé à Angers le 25 octobre lors de la visite de la ministre de la Justice. A la suite de ces évènements, Jean Birnbaum analyse dans un billet – reproduit à la suite – ce qu’ils nous disent de notre société.
Quand les opposants au mariage pour tous
dépassent les bornes
Par Yves Boiteau et Yannick Sourisseau
Ils l’avaient annoncé. Et ils sont donc venus. Les derniers opposants actifs au mariage pour tous de Maine-et-Loire ont saisi l’occasion de la venue de la Garde des Sceaux, Christiane Taubira vendredi à Angers pour lui signifier (de nouveau) leur mécontentement.
A la Maison de la justice et du droit à la Roseraie dans un premier temps, puis au Palais de Justice, la ministre est venue parler d’accès au droit et d’une concertation nationale qu’elle souhaite lancer au début de l’année prochaine, pour réformer le fonctionnement judiciaire français et le rendre précisément plus accessible aux citoyens.
Place Leclerc, de l’autre côté des barrières, solidement gardées par une haie de CRS, drapeaux de la «Manif pour tous» à la main, les opposants, une bonne centaine, juchés pour certains sur le Monument aux morts, donnaient de la voix, du mégaphone, du coup de sifflet ou de la corne de chasse afin de faire comprendre qu’ils n’avaient toujours pas digéré la loi permettant aux personnes de même sexe de convoler désormais en justes noces.
Bruyants. Très bruyants. Au point de couvrir les échanges entre la ministre et les avocats angevins venus eux-aussi lui faire part de quelques revendications. Énervants aussi quand, au milieu des “Taubira, casse-toi” ou “Taubira, démission”, le groupe se met à scander “dictature socialiste”. “Et un petit séjour en Corée du Nord, ça vous dit ?” a t-on envie de leur rétorquer.
Christiane Taubira, la Garde des Sceaux, en a vu d’autres dans sa vie de parlementaire, puis de ministre. Elle n’a donc pas hésité, du haut des marches du palais, à saluer les manifestants et à leur envoyer un baiser. Bien évidemment, les cris et les sifflets ont alors redoublé d’intensité.
La Garde des Sceaux Christiane Taubira, saluant ses opposants
en descendant les marches du Palais de Justice, à Angers
Une enfant : “une banane pour la guenon”
Les opposants au Mariage pour tous n’ont-ils pas dit et répété qu’ils savaient manifester dans le calme et la dignité ? Calme, à peine, quant à la dignité, avec la suite des événements, on repassera.
La ministre à peine entrée dans le Palais de justice, le groupe de manifestants à fait mouvement vers la rue voisine pour se positionner sous les fenêtres des salons dans lesquels se tenait la réception en l’honneur de la Garde des Sceaux, avec la volonté de perturber la rencontre par les quolibets et les sifflets.
Acceptable jusque-là, si ce n’est que, fidèles à leurs habitudes, les participants à « la Manif pour tous » avaient amené des ribambelles de gamins pour démontrer leur esprit de famille. Tout à leur honneur sans doute, si ce n’est que ces enfants pour certains très jeunes n’avaient pas vraiment leur place dans la rue.
« Taubira casse-toi, Taubira dégage, Taubira tu sens mauvais, tes jours sont comptés. Nous sommes le peuple (100 personnes), on ne veut plus de ta loi. Non à la dictature socialiste », criaient les enfants, sans vraiment comprendre la portée de leurs mots, dans des mégaphones presque aussi gros qu’eux, sous le regard amusé de parents fiers de leurs progénitures.
L’inadmissible est arrivé avec une adolescente qui, du haut de ses 12 ans brandissait une peau de banane à l’attention de la ministre en criant : « une banane pour la guenon ». Même les CRS qui assuraient le cordon de sécurité n’en sont pas revenus. « Des propos passibles d’une interpellation pour injure à un ministre en exercice », commentait l’un d’eux.
Dans le palais de justice, la ministre n’a rien vu, ni perçu distinctement de ces injures et de ces messages de haine, indignes de la part de parents qui mettent en avant la famille et l’éducation des enfants.
Yves Boiteau et Yannick Sourisseau – 26.10.2013
Source : publié par le journal AngersMAG à :
http://www.angersmag.info/Quand-les-opposants-au-mariage-pour-tous-depassent-les-bornes_a7994.html
Photo : YS angers.mag.info
Prière d’insérer
Par Jean Birnbaum
Politiquement abject
D’abord rappeler ce qui a eu lieu. Vendredi 25 octobre, à Angers, Christiane Taubira, ministre de la République, a été accueillie par des enfants de La Manif pour tous aux cris de : « C’est pour qui la banane ? C’est pour la guenon ! » Ensuite constater ce qui n’a pas eu lieu : la réprobation. Car, si cet épisode a brièvement électrisé les réseaux sociaux, il a été peu rapporté, et trop rarement commenté. Enfin, poser la question : comment une telle scène peut-elle avoir eu lieu ?
Ce qui l’a rendue possible, c’est la répétition quotidienne d’une autre scène, plus banale mais non moins pernicieuse, à laquelle peu à peu nous nous sommes habitués. Quelqu’un, quelque part, prononce une parole raciste, misogyne ou homophobe ; or, témoin de tels propos, chacun préfère la boucler ; l’ouvrir, ce serait s’exposer au grand ricanement de l’époque : « Marre du politiquement correct ! » ; protester, ce serait risquer le pilori.
« Nous savons que cette scène se reproduit partout », constatait le philosophe Jacques Derrida dans un livre indispensable cosigné avec Elisabeth Roudinesco (De quoi demain…, Fayard-Galilée, 2001). Qualifiant le « politiquement correct » de slogan armé, Derrida y rappelait que cette expression fut inventée aux Etats-Unis par de puissants groupes conservateurs. Au prétexte de combattre les abus d’une certaine gauche intellectuelle, cette campagne a fini par cibler toute pensée critique. Et par exercer sa force d’intimidation sur quiconque ose encore rappeler des principes, faire valoir une éthique.
Répété ad nauseam, ce spectacle fait plus que jamais recette. Les champions du « politiquement incorrect » sont les rois du prime time. Ces grands briseurs de tabous pourfendent la bien-pensance au « 20 heures ». Leur posture, qui se prétend rebelle, jouit d’une domination sans partage. Au bistrot comme dans les salons, « politiquement correct » s’est imposé comme l’étiquette infamante. L’indignation, dès lors, passe pour une lubie de vieux barbon. Et l’abjection devient un jeu d’enfant.
Jean Birnbaum
Source : publié dans le Cahier du « Monde » n° 21395 (Le Monde des Livres) daté 1er novembre 2013.