« Evangelii Gaudium » : François réaffirme son programme
Par Bosco D’Otreppe, avec Jean Mercier
Remise officiellement dimanche 24 novembre 2013 par le pape à 36 représentants de l’Eglise catholique et publiée mardi 26, cette lettre – la première exhortation apostolique de François – vient clôturer officiellement l’Année de la foi qui avait été lancée par Benoît XVI le 11 octobre 2012. Au-delà du bilan du synode des évêques qui s’était tenu l’an dernier sur le thème de la nouvelle évangélisation, cette exhortation apostolique, aux allures de texte programmatique pour son pontificat, François réaffirme et précise sa pensée, tout en esquissant le chemin missionnaire du catholique.
Si l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium exhorte l’Église à faire siennes les propositions issues du synode des évêques d’octobre 2012 consacré à la nouvelle évangélisation et si le texte demeure très fidèle à la pensée de ses prédécesseurs, le pape François part de son expérience pour livrer une réflexion qui systématise ce qu’il a déjà pu dire au cours de ses nombreuses homélies, et qui indique des voies « pour la marche de l’Église dans les prochaines années ».
Le ton est donc personnel, percutant et lucide. Pour retrouver la « fraîcheur originale de l’Évangile », pour affronter cette « priorité absolue » qu’est l’évangélisation, François compte sur tout le monde. L’évangélisation n’est pas réservée à une élite, et chacun est appelé à témoigner de la miséricorde en fonction de sa vocation, de ses talents et de ses moyens.
Les deux mandats
Ce qui n’écarte pas – au contraire – « la réforme des structures » explique le pape, « qui exige la conversion pastorale [afin qu’elles] deviennent toutes plus missionnaires ». Par ces quelques mots, il relie les deux mandats sur lesquels il a été élu : la nécessité de promouvoir une nouvelle évangélisation, et l’exigence d’une réforme des institutions – la seconde étant au service de la première. C’est ainsi qu’il évoque l’étude, l’accroissement possible « des droits légitimes des femmes », ou l’importance donnée aux laïcs dans les processus de décision.
Mais le pape étend ses ambitions et ne s’arrête pas aux organigrammes. « Les portes des sacrements ne devraient pas se fermer » explique-t-il par exemple. Ainsi, l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. Ces convictions ont aussi des conséquences pastorales que nous sommes appelés à considérer avec prudence et audace. »
Un profond désir de changer le monde
Les cinq chapitres de son exhortation présentent une réflexion globale sur l’Église tournée vers son souci de l’évangélisation, mission à laquelle le pape veut donner une dimension sociale indispensable. « Une foi authentique (…) implique toujours un profond désir de changer le monde », explique-t-il. « Bien que l’ordre juste de la société et de l’État soit un devoir essentiel du politique, l’Église ne peut ni ne doit rester à l’écart dans la lutte pour la justice », continue-t-il en citant Benoit XVI.
À travers des pages ambitieuses et lucides (sur les risques de la mondanité ou sur les conditions d’une paix sociale notamment), le pape invite l’Église à un chemin de conversion. « L’Évangile nous invite toujours à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec sa souffrance et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps. » Le pape argentin confirme donc son désir de la voir cheminer dans les aspérités même des frontières, éclairer de sa mission et de son message les périphéries oubliées.
Pour éviter tout prosélytisme, François explique que le but ultime reste le « bien du prochain », et que si « la véritable ouverture implique de se maintenir ferme sur ses propres convictions les plus profondes, avec une identité claire et joyeuse », il faut absolument – et il reprend les mots de Jean-Paul II, rester « ouvert à celles de l’autre pour les comprendre en sachant bien que le dialogue peut être une source d’enrichissement pour chacun ».
Le chemin de la joie
Ce cheminement n’est pas facile admet le pape. Il présuppose un « don de soi nécessaire », et implique de préférence « une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités », mais c’est le chemin de la « joie » conclut-il en appelant à mettre le Christ au centre de tout, à se laisser toucher par la grâce, l’Esprit et l’exemple de la Vierge Marie. « La première motivation pour évangéliser est l’amour de Jésus que nous avons reçu », et « quel est cet amour qui ne ressent pas la nécessité de parler de l’être aimé ? » Et d’insister : « Ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation ».
Le « Best of » :
(Les numéros renvoient aux articles du document, et non aux pages.)
- La « décentralisation salutaire » de l’Eglise : 16
- La « conversion de la papauté » : 32
- La hiérarchie des vérités : 34 à 38
- Le refus du monolithisme doctrinal : 40
- Contre la peur de se tromper : 49
- Le rejet de la douane spirituelle : 47
- Contre l’économie de l’exclusion et du déchet : 53
- Le fétichisme de l’argent : 55
- « L’argent doit servir et non pas gouverner » : 57
- Réhabilitons la piété populaire : 38 à 70
- Contre la tentation du découragement pastoral : 78
- Le refus de la « momification » du chrétien : 83
- La tendresse au lieu du virtuel : 88
- Contre le repli dans le doctrinal rigide : 94
- Un non à la chasse aux sorcières parmi les chrétiens : 100
- Sur les femmes : 103-104
- Respecter la « terre sacrée » de l’autre : 169
- L’évangélisation et l’engagement social vont de pair : 178 et suivants
- L’Eglise pauvre pour les pauvres 198
- Un non à l’avortement : 213-214
- Le réel plutôt que l’idéal : 231
- Sur l’islam, la dialogue : 253
- Le danger du refuge spiritualiste : 262
Texte complet de l’exhortation apostolique (170 pages) à télécharger (en pdf) en cliquant ci-après :