La mort lente
Par Philippe Lewandowski
Il s’agit du titre de la chronique Palestine de Ph. Lewandowski parue dans le numéro de novembre de la revue Démocratie & Socialisme. C’est un titre terrible, et que d’aucuns trouveront peut-être outrancier. C’est pourtant le titre choisi par Euro-mid Observer for Human Rights, une organisation non-gouvernementale basée à Genève [1], pour son dernier rapport sur l’évolution de la situation dans la bande de Gaza [2]. Après sept années d’un blocus illégal, barbare et criminel, la plus grande prison à ciel ouvert du monde s’enfonce en effet dans un drame qui menace d’être irréversible.
Ce n’est pas la première fois que Démocratie & socialisme aborde cette partie constitutive du territoire palestinien [3], et le lecteur intéressé peut, s’il le désire, se reporter à la présentation générale. Cette fois, c’est la dégradation des conditions de vie des Gazaouis qui sera l’objet de notre attention. Très concrètement :
1. L’eau
Peut-être s’agit-il de ce qu’il y a de plus effrayant. Aujourd’hui, seulement 5% de l’eau extraire localement est potable. Cette situation risque d’empirer dans des proportions catastrophiques. S’appuyant sur une mise en garde de l’ONU, une pétition en ligne a été lancée [4]. Et le mot scandaleux semble plus approprié que celui d’effrayant : car il s’agit du résultat d’une politique inhumaine délibérée.
2. La santé
Depuis 2007, 20 à 25% des malades n’ont pas obtenu le droit de se rendre en Israël pour se faire soigner. Des dizaines d’entre eux sont morts en attendant une autorisation qui ne venait pas (29 pour la seule année 2010). En juillet 2013, 27% des médicaments essentiels étaient manquants dans la pharmacie centrale de Gaza, et l’approvisionnement de 16 autres % ne correspondait aux besoins que d’un à trois mois. Les restrictions de passage par le terminal de Rafah (vers l’Egypte) ont encore aggravé cette situation.
3. L’agriculture
Outre les incursions dévastatrices de l’armée israélienne lors desquelles elle se plaisait à araser les terres agricoles, Israël a décrété une zone tampon (du côté gazaoui de la frontière) représentant 20 % de ses terres agricoles, que les agriculteurs palestiniens ne peuvent cultiver qu’au péril de leur vie. Selon Adie Mormech, activiste britannique citée par la journaliste suisse Carol Scheller, « depuis le cessez-le-feu du mois de novembre 2012, plus de 80 Palestiniens ont été blessés et quatre tués près de la barrière le long de la frontière » [5].
4. La pêche
À Gaza, la mer rétrécit : « La zone de pêche autorisée par Israël aux pêcheurs de Gaza s’est réduite comme peau de chagrin. Initialement fixée à 20 milles nautiques par les accords d’Oslo, elle a été progressivement restreinte […]. De 12 milles en 2002, elle est passée à 6 milles en 2006, pour atteindre sa limite actuelle de 3 milles à la suite de l’opération « Plomb durci », en décembre 2008 et janvier 2009. Aujourd’hui, selon l’Office de coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations unies, 85 % des eaux de pêche sont, en violation du droit international, partiellement ou totalement interdites d’accès » [6].
5. Le bâtiment et l’industrie
Les destructions et la dangerosité des bâtiments ne peuvent être traitées : « Il y a maintenant jusqu’à plus de 400 produits qu’Israël a décidé de prohiber et dont les Gazaouis sont privés [dont] les matériaux de construction [et] les carburants » [7]. Le chômage atteint plus de 40 % de la population.
« En 1995, Sara Roy a écrit « The Political Economy of De-development » dans lequel elle a inventé le mot « dé-développement » pour décrire la politique israélienne vis-à-vis la bande de Gaza. Le concept défiait la compréhension, mais tous les faits montraient clairement que le gouvernement israélien avait mis en route une politique « d’anti-développement » unique dans le tiers-monde dans les territoires occupés de Gaza » [8].
6. Sans oublier
L’insuffisance de l’alimentation en énergie électrique, les entraves aux exportations (oubliées même des chantres de la concurrence dite libre et non faussée), la difficulté de faire des études, la restriction des visites (cet automne encore, un groupe de travail du Parlement Européen s’est vu refuser l’accès), la quasi-impossibilité de voyager, les drones, les assassinats plus ou moins ciblés, etc.
Nul doute que la mort lente entre dans les compétences de la seule dite démocratie du Proche-Orient ayant légalisé l’usage de la torture.
Plus que jamais, exigeons l’arrêt de ce blocus que nulle déraison d’État de saurait justifier.
Philipe Lewandowski
Source : publié dans la revue mensuelle Démocratie&Socialisme (DS) n° 209 de Novembre 2013 et le 17 décembre 2013 à :
http://www.democratie-socialisme.fr/spip.php?article3012
Notes :
[1] Site internet consulté le 10-11-2013 : http://www.euromid.org/marsad/index.php?action=main/pages&lang=en&id=4 [2] Gaza : slow death and collective punishment à :http://www.euromid.org/marsad/index.php?action=main/readcontent&lang=en&cat=2&id=454
Rapport complet téléchargeable (pdf) en cliquant ci-après : SlowDeath
[3] Le ghetto de Gaza, D&S n° 161, janvier 2009, consultable à :http://www.democratie-socialisme.fr/spip.php?article1786
[4] Gaza à court d’eau potable d’ici 2016, à :http://www.france-palestine.org/Petition-Gaza-a-court-d-eau
[5] Du dé-développement au boycott, à :http://carol.blog.tdg.ch/archive/2013/02/11/du-de-developpement-au-boycott.html#more
[6] À Gaza, la mer rétrécit, à :http://www.monde-diplomatique.fr/2012/08/DEAS/48030
[7] Plus que jamais, le blocus israélien contre Gaza doit être levé, à :http://www.france-palestine.org/Plus-que-jamais-le-blocus
[8] « Du dé-développement au boycott », site cité [5].Pour aller plus loin :
PAROLES D’ENFANTS
A LIRE : « Les monologues de Gaza », Théâtre Ashtar, traduit de l’arabe par Marianne Weiss, Éditions L’espace d’un instant, 96 pages, 15 €, 2013.
• Ph. Lewandowski commente ainsi ce livre : « Pour qui ne serait pas encore persuadé que ce sont bel et bien des être humains qui vivent dans la bande de Gaza, rien de vaut la lecture des Monologues de Gaza, une pièce de théâtre montée par le Théatre Ashtar à partir de témoignages d’enfants gazaouis recueillis, après la sauvage agression israélienne de l’hiver 2008-2009, appelée Plomb durci ».
• On trouvera ci-après une présentation détaillée de l’ouvrage publiée sur le blog danactu-résistance :
« La violente invasion de la bande de Gaza par l’armée israélienne fin 2008, nommée Plomb durci demeure dans les mémoires. Elle causa alors la mort de 1380 Palestiniens, dont 431 enfants. Sans parler des 5380 blessés.
Ce petit livre intitulé « Les monologues de Gaza », petit par le nombre de pages, mais grand par la puissance des voix entendues, est l’œuvre du Théâtre Ashtar, ONG à but non lucratif créée en 1991 à Jérusalem par deux comédiens palestiniens, Edward Muallem et Iman Aoun. Maintenant installé à Ramallah, la structure offre des formations théâtrales aux jeunes, participant ainsi à cette idée qui fut fondatrice de notre site web, créer c’est résister, résister c’est créer. Le changement en Palestine ne peut toujours être, demain. D’autant plus que demain est souvent décevant. Il s’agit alors de faire entendre des voix, des mots, des phrases, aujourd’hui.
Ici ce sont des voix de jeunes Gazaouis, ceux qui vécurent les violences, la destruction et l’injustice. Car violence il y avait avant « Plomb durci », et après… Alors un atelier d’écriture permet, en partie, de se retrouver, de se reconstruire, de dire, et de nommer le processus de déshumanisation infligé par l’armée israélienne. Mettre des mots sur l’oppression, sur la frustration, sur la colère, afin de faire de tout cela un processus d’émancipation future qui sera un ferment actif pour la Palestine de demain.
Ce livre contient donc trente trois expériences qui furent ensuite présentées dans le monde entier par le Théâtre Ashtar par plus de 1700 jeunes adultes, dans 14 langues différentes. Mis en scène depuis 2010 par Ali Abu Yasin, Les monologues de Gaza continuent à faire entendre ces voix de la résistance. Elles sont un geste de refus de la destruction d’un peuple, et en même temps un geste d’espoir, un geste de construction pour le futur, car il y aura un futur pour la Palestine malgré tous les plombs durcis du monde.
Le pouvoir de la création, le pouvoir du peuple en résistance est toujours plus fort que le pouvoir de la destruction. Là où la politique échoue un peu partout, le pouvoir de la création, via le théâtre, le cinéma, la littérature ou la poésie, attise la flamme de la vie.
Lire ce livre est donc indispensable pour que ces voix vivent au-delà du temps et des frontières, et en un sens perpétuent les résistances créatives d’un Mahmoud Darwich ou d’un Ghassan Kanafani. ». Publié le 12 août 2013 à :
Sur le même sujet :
Sous le blocus israélo-égyptien de Gaza, « Dieu seul le sait… à :
http://nsae.fr/2013/10/30/sous-le-blocus-israelo-egyptien-de-gaza-dieu-seul-le-sait/