Goodyear Amiens Nord : un an de lutte sociale
Cela fait tout juste un an que Goodyear Dunlop Tires France a pris la décision de fermer son usine d’Amiens-Nord (au plus tard fin 2014) où sont employés 1200 salariés. L’année 2013 a été marquée par une âpre bataille sociale faite de manifestations et d’actions en justice menées par les salariés, de projets de reprise non réalisés (en particulier par le groupe américain Titan international), sans issue d’accord entre l’entreprise et les salariés, ni de scénario clair d’avenir. Le conflit a récemment défrayé la chronique avec la séquestration de deux cadres de l’entreprise sur le site, pendant 30 heures, par des militants du syndicat local CGT, pour lancer un cri d’alarme et obtenir des négociations réelles. Ce type de conflit – devenu assez fréquent en France – mérite que l’on appréhende ce qu’est la réalité du terrain.
On pourra lire ci-après un reportage à Amiens-Nord, réalisé en novembre 2013, qui illustre le fonctionnement de la procédure de « reclassement » des futurs licenciés :
Goodyear Amiens : « On va nous proposer quoi ? Cueilleur de champignons à Paris ? »
Depuis 6 heures du matin à l’usine Goodyear d’Amiens-Nord plus aucun pneu ne sort du site. Les grilles de l’entrepôt ont été soudées. La CGT organise des équipes pour garder les lieux tout au long de la journée et de la nuit.
Dans le même temps, à quelques kilomètres de là, à Boves, le « point information conseil » (PIC), qui est la cellule de reclassement mise en place par Goodyear à destination des 1 173 salariés du site d’Amiens-Nord, ouvrait ses portes pour la première fois.
La direction considère en effet que la procédure d’information-consultation sur le plan social (PSE) accompagnant la fermeture du site est terminée. Ce que contestent la CGT et la CFDT, qui ont engagé des actions en justice. Tous les salariés ont donc reçu, la semaine passée, des invitations à venir à la cellule de reclassement, qui est gérée par Sodie, une filiale du groupe Alpha.
Ce même groupe, à travers sa filiale Sécafi, avait mené une expertise pour le comité d’entreprise de Goodyear très contestée – le rapport avait conclu que l’usine n’était pas viable. Ce qui ne facilite pas la tâche de Sodie.
« La procédure est illicite »
Vers 9 heures du matin, une centaine de salariés était sur place à Boves. Personne ne voulait rentrer. « La procédure est illicite, déclare René, 56 ans. On n’est pas licencié. Mettre en place la cellule, c’est mettre la charrue avant les bœufs. On verra en temps voulu. »
« Si on va au PIC, c’est qu’on accepte le PSE. Donc on n’y va pas », assène Franck Jurek, délégué CGT, qui ajoute tout de même : « Cela dit chacun est libre d’y aller. »
Il y a aussi des doutes sur l’utilité de la cellule. D’autant que le bassin d’emploi d’Amiens est sinistré. « Et on va nous proposer quoi ? », dit un salarié. « Etre cueilleur de champignons à Paris, comme nous avait dit un ancien DRH ? » Vendredi 15 novembre, une dizaine de chefs de secteur de Goodyear sont venus visiter les lieux et assister à une réunion d’information sur le reclassement.
Depuis lundi matin, la direction affrète des autobus de l’usine vers le PIC : 45 au total sont prévus sur une semaine, avec des rotations toutes les deux heures. Deux nocturnes sont aussi programmées dans la semaine, jusqu’à 22 h 30.
« Trouver une solution pour chacun »
Il est 10 heures, à Boves, face aux locaux où est installé le PIC, tout le monde a froid. Virginie Classiot, directrice de projet chez Sodie apporte des cafés. « On ne va pas en prendre, on nous achète pas comme ça », lance un salarié. Un autre rigole : « vous n’allez pas nous empoisonner quand même. »
« On est là pour vous aider. Nous ne sommes pas Goodyear et Goodyear met des moyens pour la cellule », répond Mme Classiot. « Nous sommes 15 personnes payées pour vous accompagner. »
Elle en profite pour glisser quelques informations : « Sur Amiens, il y a des emplois dans l’agroalimentaire, la maintenance, l’aide à la personne. Le but c’est de vous faire des propositions personnalisées. Pour anticiper sur les licenciements ». « On n’est pas licencié », disent les ouvriers.
« Je vous respecte, je respecte ce que vous faites individuellement et collectivement », répond Mme Classiot. « Cela ne coûte rien de venir nous voir. Vous pouvez le faire de façon anonyme. Appelez notre numéro vert pour vous informer. »
Mais le dialogue est délicat. Il y a de mots qui font réagir. « Votre salaire est supérieur au marché », lance Mme Classiot. « Mais il y a des dispositifs mis en place par Goodyear pour compenser la différence entre les salaires que vous trouverez et le votre, pendant 21 mois ».
« Et ben vous allez nous attendre longtemps », rétorque un salarié. Un autre lance : « vous allez nous apprendre à vivre sans manger de viande ? » Un autre crie : « c’est honteux, vous vous servez du malheur des autres pour vous faire du fric ». Une partie de la rémunération de Sodie est basée sur le nombre de reclassements qui sera atteint.
Mme Classiot ne se lasse pas de répéter : « notre objectif c’est de trouver une solution pour chacun ». Mais beaucoup de salariés n’y croient pas. Surtout à cause de « l’image des Goodyear », explique l’un d’eux. « On a été sali, on a été insulté dans les médias, on a parlé de nous comme de fainéants ». « Dans trois mois, assure Mme Classiot, l’image sera oubliée. »
100 postes proposés en interne
Pour le moment, le PIC dispose de 100 postes de reclassement en interne, dont 55 chez Dunlop à Amiens-Sud, l’usine qui fonctionne en 4 x 8 heures, un système que le salariés de Goodyear Amiens-Nord avaient refusé. Les 45 autres postes proposés sont à l’usine de Montluçon.
A 11 h 30, un deuxième car arrive de l’usine Goodyear avec sept personnes à bord qui entrent dans le PIC. La foule reste calme – même si quelques jets d’oeufs et de farine sur la façade de l’immeuble ont eu lieu plus tôt dans la matinée.
« Je suis persuadée que les salariés vont venir nous voir dans les prochaines semaines, indique Mme Classiot. Au moins ceux qui ne sont pas au front » de la lutte,
Mais pour Michael Wamen, délégué CGT et leader du mouvement, « les cellules de reclassement ne sont là que pour donner bonne conscience à Goodyear. Ce que nous voulons c’est que les pouvoirs publics obligent Goodyear à venir discuter avec nous. »
Francine Aizicovici (Amiens, envoyée spéciale)
Source : publié sur le monde.fr/economie du 18/11/2013 ; http://lemonde.fr
Illustration : un logo de l’entreprise « Goodyear sécurité ensemble »
En savoir plus :
• Lettre « J’Accuse » par la CGT Goodyear-Amiens Nord publiée le 6 janvier 2014 à :
http://blog.cgt-goodyear-nord.com/
• Daily motion AFP : Goodyear : deux dirigeants séquestrés à l’intérieur de l’usine d’Amiens-Nord à :