Expériences de rencontre avec l’autre
Par Michel Dallaporta
La rencontre de l’autre, c’est tous les jours et partout…
C’est comme la prose et Mr Jourdain…
C’est tous les jours qu’elle se présente ici et là avec mes plus proches mais je ne veux donner de leçon à personne de peur que mon voisin avec qui je me dispute à propos de la hauteur de ses cyprès n’éclate de rire… à moins que ce ne soit l’un de mes, encore plus proches, qui vit sous le même toit que moi !
Ne souriez pas car l’un de vous aurez pu se trouver à ma place si Lucienne G., qui a assisté la gestation de mon livre, n’y avait vu quelques rapprochements à faire avec notre réflexion de ce matin.
A 23 ans, comme certains d’entre nous je me trouve au cœur de l’Algérie : les Monts de Ksours, 600 kms au sud d’Oran sur la frontière algéro-marocaine. Je suis un citoyen d’un pays démocratique, « appelé sous les drapeaux ». Soldat parmi d’autres soldats, je suis au milieu d’un peuple rebelle à la colonisation qu’il faut « pacifier », c’est-à-dire remettre sur les rails de la soumission. Je ne parlerai pas de cette période que vous découvrirez peut-être dans mon livre « Un conscrit de la 58.2.B », édité par Temps Présent.
35 ans après, mon ami, Loïc Chevrant Breton, Délégué à Marseille d’ATD Quart-Monde me raconte sa matinée chez les gitans de la Cité St. Joseph. Aventurier hors normes à quelques kms de la Canebière, Loïc, seul avec sa peinture et ses pinceaux, s’installe sur une caisse en bordure du campement et se met à peindre… Il revient chaque semaine, au même endroit. Les gitans grands et petits approchent de l’hurluberlu inspiré et ils se parlent.
Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD a encouragé cette démarche : une présence régulière et continue, dans les Cités, par des ateliers de peinture dans la rue.
Il disait : « Les ravages de l’exclusion s’exercent avant tout sur la dignité des personnes. Faire l’expérience de l’art rejoint la personne dans ce qui fait sa valeur inaliénable. L’art touche à la singularité de toute personne ».
Depuis 25 ans, les ateliers de peinture dans la rue d’Arts et Développement sont présents dans les quartiers de Marseille et alentour.
Notre équipe d’atelier : une demi douzaine de salariés et de bénévoles mettent en scène un artiste qui, par sa présence d’exception va éveiller la créativité des enfants. Source inépuisable mais, au quotidien, si peu sollicitée.
Pour donner crédit à son choix, Loïc Chevrant Breton, diplômé des Arts et Métiers, entre aux Beaux Arts à Marseille …
Déjà, un chemin surprenant qui pourrait inspirer notre réflexion de ce matin : les courbes de nos chemins… Il soulève rapidement des enthousiasmes parmi ses amis, des quadras, des quinquas, hommes et femmes, bénévoles tentés par l’aventure de nomadiser dans le Nord de Marseille avec la peinture pour tout bagage et se laisser apprivoiser par des nuées d’enfants. André Gence, artiste- peintre et prêtre de la Mission de France, Marcel Maréchal et d’autres artistes s’enrôlent. Quelques ministres nous encouragent de loin.
La Fondation Abbé Pierre nous appuiera solidement pendant des années tant financièrement qu’en participant activement à notre évolution.
Le Réseau de nos ateliers s’est amplifié : 40 ateliers en activité.
Mon enthousiasme pour la démarche d’Arts et Développement est plus politique, plus civique.
Témoigner de notre solidarité avec les plus démunis. Joseph Wresinski l’a dit. Leur montrer que notre regard est empreint de respect pour leur dignité. Pour moi, c’est adhérer à la magnifique Déclaration des Droits de l’Homme. Le manifester, au grand jour de la rue, c’est honorer à la fois notre Pays et ces citoyens-là.
Parce que ceux-ci sont souvent issus des l’immigration, c’est aussi une tentative de restaurer les traces de ce passé colonisateur et dominateur auquel mon Pays a tant participé et où il m’a entraîné.
Nos ateliers sont sobres non seulement par nécessité économique mais aussi parce qu’ils sont nomades. Les enfants enfilent en guise de blouses, de vieilles chemises données par Emmaüs. Certains artistes recyclent des débris ou des déchets, font des peintures à partir de matières alimentaires inutilisables. Nous laissons les lieux propres avec l’aide des enfants.
J’aime cette manière d’être. Silencieuse. A contre-courant de notre société de consommation.
Dans ces espaces publics, souvent troublés de tension en tout genre, nos équipes témoignent de la non-violence. Une poignée d’adultes sereins et unis peuvent créer, par leur simple attitude confiante, un lieu de sérénité autour duquel quelquefois, une centaine de personnes.
J’aime à nous voir, courbés ou assis à même le sol, pour parler avec les enfants, vis-à-vis, c’est-à-dire – visage à visage – comme peu souvent un adulte parle à un enfant. Cette proximité entre générations, cette égalité entre personnes, est signe d’appartenance à une culture démocratique qui se risque à la fraternisation.
Les filles plus assidues que les garçons !
J’ai de la joie à imaginer que ces filles apprécient particulièrement le bonheur d’être en liberté dans la rue, parlant entre copines et peignant, sans se soucier du qu’en dira-t-on.
J’ai de la joie à sentir que nous participons un tout petit peu à la libération des femmes.
Temps de créativité autour de la peinture, merveilleuse fée, compagne de l’artiste, qui fertilise tout ce monde accouru que sont ces petits d’hommes…
Les feuilles éclatent de couleurs. Un arc en ciel, un ciel tourmenté, une occasion de rencontre avec soi-même, éclos en plein soleil ou en plein vent, dans un paysage usé pas toujours avenant.
Bienveillance, écoute, bonté. Les attitudes des intervenants sont lisibles.
Le ton de leur voix n’est pas à la réprimande ni au jugement. Liberté. Fraternité.
Les enfants accèdent à ce temps d’apaisement. Bien souvent les plus agités finissent par y parvenir.
Le respect – que leurs Grands Frères réclament tant – s’étend parmi les petits et les grands.
Les ateliers sont gratuits, la sobriété et la rusticité des moyens permettent un accès facile à l’atelier. Rien de tapageur ni de provoquant au milieu de ces ensembles d’habitat qui respirent le modeste et l’utile. Nous sommes en harmonie.
La seule abondance est celle du matériel : papier Canson, belles couleurs, pinceaux, crayons… L’enfant vit son coté Petit Prince.
Tout ce matériel est identique, il invite silencieusement au collectif, à l’égalité, au partage.
Malgré le nombre, les enfants sont connus par leurs noms. Nous les écrivons au dos des feuilles. Premier signe de respect. Essentiel.
En fin d’atelier, les œuvres sont exposées. Vieilles pelotes de ficelles déroulées entre les arbres, les peintures s’affichent. Lieu magnifié, lieu de célébration.
Les enfants sont honorés. Les parents aussi.
La dignité inaliénable de l’être est perceptible.
Les rues et les places des Cité ressemblent parfois aux chemins de Galilée où Jésus fît tant de rencontres…
La qualité humaniste des ateliers Arts et Développement attirent des bénévoles parce qu’ils leur offrent de vivre leurs convictions profondes.
Ces valeurs à peine ébauchées, discrètes sont des repères pour l’enfant qui s’en souviendra demain. L’éveil de sa capacité de création dans l’art et dans la relation pourrait bien l’accompagner, sa vie entière…
Le vivre-ensemble que nous vivons se situe dans la proximité de ces grands courants de pensée qui traversent notre époque :
Les acquis de la psychologie, l’avènement du sujet. De Marcel Légaut à Marie Balmary.
La planète à respecter, les richesses à partager entre tous. Leonardo Boff.
L’implication du citoyen démocrate dans notre Pays laïque reflète la sécularisation des chrétiens.
Michel Dallaporta
Source : Intervention à la Table ronde sur le thème général « Eglise universelle ou diversifiée ? : Comment la rencontre du chemin de l’autre me fait progresser sur mon propre chemin. » tenue le 19 janvier 2014 dans le cadre de l’Assemblée générale de NSAE.
Ci-après deux diaporamas illustrant les activités de peinture de l’association « Arts et Développement » ; à noter que le second se situe en centre ville dans le cadre de l’événement Marseille 2013.