Nucléaire : les manœuvres de l’Elysée
Par Marie-Béatrice Beaudet
L’exécutif envisage de remplacer des vieilles centrales par des EPR
La loi sur la transition énergétique est l’un des grands chantiers du quinquennat de François Hollande. « Malheureusement, on s’achemine vers un scénario aussi désastreux que celui de la loi sur la famille », se désole un député PS informé des grandes manœuvres lancées autour du texte, que le Parlement devrait examiner d’ici à l’été ou, au plus tard, cet automne.
Pour lui, « le projet en préparation n’aura rien de vendable aux écologistes et à un certain nombre d’élus socialistes ». Attention, pas de méprise. Le sujet de la discorde ne concerne pas le gaz de schiste. Malgré le buzz entretenu par les habituelles joutes verbales entre Arnaud Montebourg et Philippe Martin, aucun revirement de M. Hollande, officiellement opposé à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, n’est à l’agenda : « Le président tiendra bon sur ce point, prédit un haut fonctionnaire. Les gens ne veulent pas de forages sur leurs territoires et, économiquement, il n’y aurait aucune retombée à attendre d’ici à 2017. » Non, la polémique attendue concerne le nucléaire.
M. Martin, ministre de l’écologie, a beau avoir l’énergie dans son portefeuille, le dossier est directement piloté par l’Elysée qui organise des réunions où sont aussi conviés Pierre Moscovici (économie), Bernard Cazeneuve (bugdet) et Arnaud Montebourg (redressement productif). Décidé à faire de la France un pays « sobre en carbone » et à diversifier son mix énergétique – notamment en faisant monter en puissance les énergies renouvelables –, M. Hollande s’est engagé à réduire de 75 % à 50 % la part de l’électricité d’origine nucléaire d’ici à 2025 et à fermer la plus ancienne centrale française, Fessenheim, en Alsace. Autant de promesses saluées par Europe Ecologie-Les Verts qui, du coup, parie sur la fermeture d’une vingtaine de réacteurs.
Le plan concocté à l’Elysée risque fort de les décevoir. Son principe reprend l’esprit de l’une des phrases du discours prononcé en septembre 2013 par le chef de l’Etat, lors de la deuxième conférence environnementale : « La loi sur la transition énergétique se bornera à poser le principe d’un plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire. » Nombre d’observateurs ont considéré alors que le président de la République précisait les choses concernant la fermeture des deux réacteurs alsaciens – prévue fin 2016, mais compensée par la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche). En réalité, la démarche se veut plus large.
Plusieurs autres centrales pourraient être fermées, celles dont le prolongement au-delà de quarante ans coûterait trop cher à EDF, sommé par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de les mettre aux normes post-Fukushima. « Nous savons bien que l’ASN mettra son veto au prolongement de certains réacteurs, sauf à y réinvestir des sommes énormes. Autant devancer, par conséquent… », confirme un industriel proche du dossier.
Booster la compétitivité
Des centrales stoppées donc, mais remplacées, sur les mêmes sites (ce qui permet de bénéficier du réseau des lignes à haute tension déjà en place), par des EPR de troisième ou quatrième génération, afin de maintenir une puissance du parc constante. Quant à la chute à 50 % de l’atome dans le mix électrique d’ici à 2025, le raisonnement du PDG d’EDF, Henri Proglio, a visiblement fait mouche auprès de plusieurs ministres : la part relative du nucléaire diminuera mécaniquement en raison de la hausse de la consommation d’électricité liée aux nouvelles technologies et à une population forte de 6 millions d’habitants supplémentaires.
Cette confiance renouvelée dans l’atome permet, selon les arguments développés par les ministères de l’économie et du redressement productif, de continuer à booster la compétitivité du tissu industriel français grâce à un prix de l’électricité inférieur à celui de nos voisins européens. Qui plus est, la construction de nouveaux EPR va faire de l’Hexagone une vitrine pour les champions industriels de la filière nucléaire (Areva, EDF, Vinci, Alstom, etc.) en quête de marchés à l’exportation. « Enfin, explique un conseiller ministériel, l’atome s’inscrit parfaitement dans la logique de la transition énergétique puisque le nucléaire est une énergie qui n’émet pas de CO2. » Les éléments de langage ont été peaufinés : la loi sur la transition énergétique est ainsi devenue « une loi sur la stratégie bas carbone ».
Si « à ce stade », l’Elysée ne souhaite faire aucun commentaire sur le scénario en cours, au ministère de l’écologie, on confirme « être en discussion avec la direction stratégique d’EDF » et que « le débat est bien posé en ces termes ». Mais, ajoute-t-on, « rien n’est abouti et toutes les bornes pas encore fixées ». Quid notamment de la promesse de diviser par deux la consommation d’énergie d’ici à 2050, un point-clé pour les ONG et dont le patronat ne veut pas entendre parler ?
La bataille se joue en parallèle au Parlement. La loi sur la transition énergétique sera-t-elle examinée à la lumière des enjeux économiques ? Ou de ceux de l’environnement ? Pour François Brottes (PS), président de la commission des affaires économiques, et ancien conseiller énergie du candidat Hollande, les jeux sont faits, la loi est de son ressort : « Ma bible, c’est le règlement de l’Assemblée nationale. Article 36, alinéa 6, l’énergie relève de la compétence de la commission des affaires économiques. Point final. »
Estimant que la loi recouvre des enjeux économiques, écologiques, fiscaux et sociaux – en lien avec la précarité énergétique –, le président de la commission du développement durable, Jean-Paul Chanteguet (PS) préférerait un travail collégial du Parlement et réclame la constitution d’une « commission spéciale » (prévue par l’article 31).
Jeudi 6 février, il a adressé un courrier à M. Hollande, cosigné par Jean-Yves Caullet, responsables des députés PS pour la commission de développement durable, afin d’alerter le chef de l’Etat. « Au cœur même de la question énergétique, l’importance du secteur électrique ne doit pas focaliser le débat, encore moins la seule évolution du secteur nucléaire », mentionne la lettre. Si M. Brottes ou le gouvernement s’opposaient, comme le règlement le prévoit, à la requête de MM. Chanteguet et Caullet, le président de la commission du développement durable a l’intention de demander un vote en séance publique. Ce qui obligerait chaque député à se positionner sur la nature même de la loi : un simple texte sur l’énergie ? Ou un passage vers un nouveau modèle de développement ?
Marie-Béatrice Baudet
Note – Retard et surcoûts pour l’EPR de Flamanville
Commencée en 2007, la construction du réacteur français de 3e génération, l’EPR (réacteur pressurisé européen) de Flamanville (Manche), a pris du retard. La livraison, prévue en 2012, n’est plus attendue avant 2016. La facture devrait atteindre 8,5 milliards d’euros, deux fois et demie le coût initial. Ces surcoûts annoncés fin 2012 par EDF seraient imputables notamment aux nouvelles exigences de sécurité imposées après l’accident de Fukushima. Ces dérives mettent en cause la rentabilité et l’avenir commercial de l’EPR.
Source : article publié dans Le Monde daté du 11 février 2014 ; http://www.lemonde.fr
Illustration : vue du chantier de l’EPR de Flamanville ;
http://energie.edf.com/nucleaire/carte-des-centrales-nucleaires/presentation-48324.html
En savoir plus
VIDEO : écouter l’entretien avec Delphine Batho « Le PDG d’EDF est le « ministre fantôme de l’énergie » réalisé le 14 février 2014 par lemonde.fr et accessible sur Daily Motion à :
Sur le même sujet :
• « Ecologie et spiritualité » : http://nsae.fr/2014/01/30/ecologie-et-spiritualite/
• « Pour une transition citoyenne » : http://nsae.fr/2014/01/21/pour-une-transition-citoyenne/
• « Sortir de la crise par la transition énergétique, c’est possible » :
http://nsae.fr/2014/01/07/sortir-de-la-crise-par-la-transition-energetique-cest-possible/