Le nouveau cardinal des Philippines demande à l’Eglise de se tourner vers les pauvres
Le journal National Catholic Reporter (NCR) publie une série de reportages pour présenter les nouveaux cardinaux nommés en 2014 par le pape François. On trouvera ci-après la traduction d’un article consacré au nouveau cardinal des Philippines, Mgr Orlando B. Quevedo, Archevêque de Cotabato.
L’Eglise catholique doit fondamentalement se réorienter pour placer ses institutions et ses ressources financières au service des pauvres dans le monde, a déclaré l’un des 19 nouveaux membres du puissant groupe d’élite de prélats, connu sous le nom de Collège des Cardinaux.
« L’origine de l’Eglise est la pauvreté », a déclaré le cardinal philippin Orlando B. Quevedo. « Et le parcours de Jésus-Christ a été un parcours avec les pauvres. »
« Aujourd’hui, l’Eglise a des richesses, des institutions », a poursuivi Quevedo. « Mais je me plais à penser que la seule façon pour l’Eglise de purger ces ressources ainsi que ses institutions serait de les mettre au service de la justice et des pauvres pour la cause du Royaume de Dieu. »
Quevedo, qui dirige l’archidiocèse de Cotabato aux Philippines, a été fait cardinal avec 18 autres prélats lors d’une cérémonie conduite par François samedi [22 février]. Il a organisé une conférence de presse d’une heure vendredi [21 février] au Collège pontifical philippin à Rome.
Il a parlé d’une vision asiatique de l’Eglise fondée sur les communautés ecclésiales de base avec un style de leadership reposant sur la collaboration.
La vision asiatique de l’Eglise est en accord avec la vision du pape François, qui « se tourne plus vers la périphérie que vers le centre » a-t-il déclaré.
Dans le passé, les cardinaux, connus pour leurs vêtements rouges, ont été parfois appelés les « princes de l’Eglise », car ils officiaient généralement soit comme archevêques dans les plus grands diocèses du monde, soit dans la bureaucratie centrale du Vatican.
Mais des changements, petits et grands, semblent être en cours de réalisation au sein de ce groupe, dont le rôle principal est de se rassembler en conclave secret, à la suite de la mort ou de la démission d’un pape pour élire son successeur.
Donnant une homélie lors d’une messe dominicale avec les cardinaux à la basilique Saint-Pierre, François leur a dit avec insistance qu’ils ne sont « pas une cour royale » et qu’ils doivent éviter « l’intrigue, les ragots, les coteries, le favoritisme et les préférences. »
Et comme la plupart des autres que le pontife a choisis pour cet honneur, Quevedo vient d’une région du monde qui était jusqu’ici peu représentée dans le groupe d’élite. Son archidiocèse de Cotabato, situé dans l’île philippine de Mindanao, est confronté à des taux élevés de pauvreté et une population répartie en parts égales entre catholiques et musulmans (48 et 47 pour cent, respectivement).
Notant que plus de 50 pour cent de la population dans son archidiocèse vit en dessous du seuil de pauvreté, Quevedo estime que l’idée de l’Eglise devenant « une Eglise pour les pauvres » n’est « pas étrangère aux débuts de l’Eglise et à ce qu’elle devrait être. »
« L’Eglise est la communauté de disciples du Christ », a déclaré le nouveau cardinal. « Et le Christ était le Christ pauvre, le Christ, qui a annoncé le royaume pour les pauvres, a choisi des pauvres pour ses premiers disciples. »
« Je pense que l’Eglise devrait être comme cela », dit-il. « Est-il facile de le faire ? C’est difficile. Il doit y avoir un changement radical d’état d’esprit des laïcs, du clergé, des religieux, des évêques – un changement radical d’esprit et un changement radical de l’utilisation des institutions. Mais nous devons nous mettre en route. »
« Nous ne parlons pas d’un changement de doctrine », a déclaré Quevedo, « c’est un changement de point de vue, un changement du côté où se tient l’Eglise. Est-ce avec les riches et les puissants ou avec les pauvres et les démunis ? »
« Et si le Christ était ici, ce que ferait le Christ serait de choisir les pauvres et les démunis » a-t-il dit. « Oui, il a visité les gens riches, mais dans le but de les convertir. Il dînait avec des gens riches, mais à l’occasion de ces dîners en mangeant avec des gens riches, il a donné une leçon, une conversion sur l’utilisation des biens et ainsi de suite. »
« Je pense que l’Eglise devrait être comme cela », a déclaré Quevedo. « Tel le Christ pauvre, telle l’Eglise pauvre. »
La conférence de presse de vendredi, qui s’est tenue à environ 10 minutes de route du Vatican, a été d’importance réduite et assez simple, signe des préférences du nouveau cardinal.
Elle s’est tenue au sous-sol du bâtiment principal de l’université, il n’y avait que quatre chaises pour les trois organes de presse présents. À proximité, presque dans le champ de l’unique caméra qui enregistrait la conférence, il y avait six mallettes et plusieurs troncs, stockés sous un escalier.
Le nouveau cardinal a parlé d’abord de ses attentes pour son nouveau rôle, disant qu’il « ne constitue pas un honneur, un privilège, une situation de pouvoir. »
Il a dit par contre que l’attente pour un cardinal est « celle d’un grand service à la population, d’un plus grand service. »
« Je voudrais être comme j’étais avant : simple, accessible, sans formalité, et juste aller vers les gens », dit-il. « Je voudrais continuer à le faire. »
Précisant qu’il y a beaucoup de gens dans son archidiocèse qui vivent dans les régions montagneuses éloignées des villes, Quevedo a dit : « Quand je vais aller à la montagne dans les Philippines, les gens ne sauront pas si je suis cardinal ou pas. »
Quevedo a également parlé vendredi de la nécessité pour la bureaucratie centrale du Vatican d’être attentive aux besoins différents des catholiques dans les différentes régions du monde.
Il a fait référence à plusieurs reprises à la notion d’« l’Eglise locale », sur laquelle il a fréquemment parlé et écrit, en particulier alors qu’il servait entre 2005 et 2011 comme secrétaire général de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie.
Cette fédération, qui est un espace de rassemblement central pour les conférences épiscopales dans toute la région, a été créée à la suite du Concile Vatican II.
« Je pense que la vision d’une Eglise locale, l’Eglise en Asie, est très appropriée au pontificat de François, qui regarde vers la périphérie plutôt qu’au centre », a-t-il dit.
Quevedo a dit que la « priorité pastorale principale » à Cotabato est « la construction de communautés ecclésiales de base dans lesquelles est mise en œuvre l’idée de former des personnes de dialogue. »
« L’idée d’une direction partagée, pas seulement un diktat d’en haut, mais collaborative, consultative – ce qu’on appelle une Eglise participative – est en cours de construction dans les communautés ecclésiales de base » a-t-il dit.
« C’est de la base qu’émane la réponse aux problèmes de la société en général, où parfois l’un des impératifs politiques consiste à dicter ce qui est important pour les gens plutôt que de consulter le peuple. »
Evoquant un concile plénier qui s’est tenue dans les Philippines en 1991, Quevedo a dit que le concile a défini une nouvelle vision de l’Eglise.
« Celle d’une Eglise participative, une Eglise des pauvres, une Eglise inculturée, et une Eglise de disciples authentiques – de véritables disciples du Christ, non seulement de nom, mais en actes », a-t-il dit.
« Si vous traduisez cette vision de l’Eglise dans le monde entier, c’est vraiment, je pense, la vision du pape François : une humble Eglise des pauvres, une Eglise simple, une Eglise qui est consultative. »
Quant à ce que Quevedo fera lundi à son retour aux Philippines, le nouveau cardinal a dit qu’à son retour, « le travail commencera ».
« J’ai à mon retour chez moi une confirmation dans les montagnes, » dit-il. « Peut-être le seul signe montrant que je suis un cardinal sera de porter une soutane blanche avec des boutons différents, mais ils ne seront pas en mesure de s’en rendre compte. »
« Tant que vous êtes là, ils seront heureux », a poursuivi Quevedo. « De retour au travail. »
Le cardinal a-t-il des idées précises sur la façon dont l’Eglise peut se réorienter pour les pauvres ?
« Un changement d’esprit radical », a-t-il répondu. Ce que les théologiens appellent aussi la metanoia, un changement radical de cœur. »
« Mais je dis aussi un changement radical dans l’utilisation des institutions, » a-t-il poursuivi. » Déjà seulement, le changement de l’esprit et le changement du cœur est formidable. C’est un défi formidable. »
« Je considérais, dans le deuxième concile plénier des Philippines, la vision d’une Eglise des pauvres comme le plus grand défi », a-t-il dit. « Il est facile de dire que les Philippines sont une Eglise des pauvres, parce que pour la sagesse populaire, c’est une Eglise des pauvres. »
« Mais l’idée d’une Eglise des pauvres est un point de vue théologique. Elle tourne son centre de gravité vers les pauvres, pour être en solidarité avec les pauvres. Et il est vraiment difficile, souvent, pour les prêtres, le clergé et les évêques – et l’institution dans son ensemble, comme une école – d’être confrontés aux pauvres plutôt qu’à la stabilité, au progrès, ce genre de chose. Lorsque vous êtes face aux pauvres, vous devez être prêt à l’insécurité, car être avec les pauvres vous rend pauvre. »
Joshua J. McElwee
Correspondant à Rome du New Catholic Reporter
Traduction française par Lucienne Gouguenheim
Source : article publié le 24 février 2014 dans National Catholic Reporter (NCR) :
http://ncronline.org/news/global/new-philippin journales-cardinal-calls-church-turn-toward-poor
Source illustrations :
– Le nouveau cardinal des Philippines Orlando B. Quevedo lors de sa conférence de presse au Collège pontifical philippin à Rome le vendredi 21 février 2014. (NCR photo/Joshua J. McElwee ; cf référence ci-dessus de l’article).
– Carte des Philippines: localisation de la province de Cotabato (en rouge) au sud des Philippines. Manille se trouve au nord sur la côte ouest de l’île principale (Luzon).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cotabato_(province)
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