La paix est-elle possible sans l’arme nucléaire ?
C’est une invitation au débat sur le nucléaire que lance l’Eglise catholique avec « La paix sans la bombe ? », en librairie depuis le 20 février 2014. Un ouvrage qui offre les clés historiques et éthiques pour que nous puissions tous nous prononcer sur le désarmement. Explications avec Denis Viénot, coauteur et secrétaire général de la commission pontificale, Justice et Paix.
Propos recueillis par Alice Papin
Pourquoi avoir voulu vous attaquer au dossier du nucléaire militaire ?
Depuis la Guerre froide, on constate une baisse de l’armement nucléaire mais cela ne suffit pas. En France, il manque cruellement de débat public autour de cette question. Aux élections de 2012, le sujet n’a été qu’effleuré. Au niveau mondial, le nucléaire participe à une confusion entre les États, en étant à la fois la cause et l’effet de ce brouillage, la poule et l’œuf. Ce qui entraîne des relations non-démocratiques. Pourquoi seulement cinq pays, plus trois ou quatre, ont-ils le « droit » de posséder leur propre arme alors que les autres non ?
L’ambition de l’ouvrage est de mettre les données sur la table. Comment vous positionnez-vous dans ce vieux débat ?
En publiant l’ouvrage, nous ne voulions pas prendre une position définie. Si certaines personnes désirent le désarmement de manière immédiate, demain matin, ce que nous souhaitons, nous, c’est la mise en place d’un processus sur le long terme et fondé sur l’évolution des Eglises chrétiennes ces quinze dernières années. Ce que nous recommandons aussi, c’est l’européanisation du processus, qui permettrait de sortir du cadre franco-français et d’accélérer le débat. La présence de bombes nucléaires tactiques américaines dans plusieurs pays européens ainsi que les arsenaux anglais et français constituent des outils qui obligent à la réflexion.
De quelle manière la position de l’Eglise catholique a-t-elle évolué ?
Durant la Guerre froide, l’Eglise catholique était très réservée vis-à-vis de la question à la différence des Eglises protestantes et orthodoxes, qui soutenaient déjà un positionnement clair. Dans ce contexte instable, elle considérait qu’il était prudent de garder l’arme nucléaire, qu’il s’agirait d’un moindre mal. Le basculement s’est opéré après la chute du mur de Berlin et lors du pontificat de Jean-Paul II. Comme il n’y avait plus d’ennemi, le discours a changé. Aujourd’hui, l’Eglise catholique dénonce l’ensemble des armes de destruction massive, qu’elles soient chimiques ou nucléaires, et promeut le désarmement.
Quel regard portez-vous sur le dernier livre blanc français de la Défense ?
Il met en avant une dérive supplémentaire par rapport à la position classique de la France concernant la dissuasion. Ce texte semble dire, entre les lignes, que le nucléaire pourrait être une menace utile pour la France lors des interventions extérieures. Par exemple, si on envoie les soldats français pour rétablir la paix au Mali et que le Pakistan est en profond désaccord contre ce choix, nous aurions l’arme nucléaire pour nous protéger de ce pays tiers.
Qu’attendez-vous de la prochaine révision du Traité de non-prolifération (TNP) prévue en 2015 ?
Notre souhait est que la France prenne le chemin d’un monde sans arme nucléaire, comme l’a fait Barack Obama. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : l’Etat français viole même le traité international. Il est en effet de règle de ne pas moderniser ses armes alors que nous le faisons. Notre ouvrage, nous l’espérons, permettra de propulser un débat actif et utile avant cette négociation.
Propos recueillis par Alice Papin
20.02.14
A LIRE : « La paix sans la bombe ? Organiser le désarmement nucléaire » par Faculté de Sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris (Fasse), Justice et Paix, Pax Christi, Les Editions de l’Atelier, 128 pages, 13,50 euros, 2014.
Présentation de l’éditeur à : La paix sans la bombe ?
EN SAVOIR PLUS ET SE MOBILISER :
• Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires ; Ican France : http://icanfrance.org/index.php/archives/category/mobilisez-vous
• Action des citoyens pour le désarmement nucléaire : http://www.acdn.net/spip/rubrique.php3?id_rubrique=22&lang=fr
• Mouvement pour une Alternative non- violente : http://nonviolence.fr/; Consulter sur ce site le dossier « France sans armes nucléaires »
• Réseau « Sortir du nucléaire » : http://www.sortirdunucleaire.org/
Sur le même sujet :
– « Appel en faveur du désarmement nucléaire unilatéral de la France » : http://nsae.fr/2012/01/26/appel-en-faveur-du-desarmement-nucleaire-unilateral-de-la-france-2/
– « Les chrétiens doivent-ils se soumettre à l’idéologie païenne de la dissuasion nucléaire ? » : http://nsae.fr/2013/05/29/les-chretiens-doivent-ils-se-soumettre-a-lideologie-paienne-de-la-dissuasion-nucleaire/
La force de dissuasion nucléaire dont s’est doté notre pays est équivalente à 2000 bombes Hiroshima.
Témoignage d’une survivante de la bombe d’Hiroshima,
à l’Assemblée générale des Nations unies le 26 oct. 2011 :
« J’ai regardé autour de moi : bien que c’était le matin, le ciel était sombre comme au
crépuscule, avec des poussières et des fumées qui montaient dans l’atmosphère.
Je voyais des suites de figures fantomatiques, se déplaçant lentement depuis le centre
de la ville d’Hiroshima vers les collines environnantes.
Ces corps étaient nus et déchirés, saignants, brûlés, noircis et enflés.
Ils étaient mutilés, la chair et la peau pendant de leurs os, certains avec les yeux
tombés dans leurs mains, d’autres avec l’estomac éclaté, les intestins pendant dehors.
Nous, les jeunes filles, rejoignîmes la procession de ces fantômes, en faisant attention
à ne pas marcher sur les cadavres ou les agonisants.
Il y avait un silence mortel, rompu seulement par les gémissements des blessés et
leurs supplications pour avoir de l’eau.
L’odeur nauséabonde des peaux brûlées remplissait l’air […]. »
[http://www,ippnw.org/pdf/2011-setsuko-thurlow.pdf]
Ce sont là les effets terrifiants, monstrueux, d’une seule bombe,
notre pays s’est donné les moyens de faire 2000 fois pire (*).
Amicalement
Gabriel Chel
(*) Pouvoir faire 2000 fois pire… c’est ce que notre doctrine officielle appelle maintenir
un niveau de « stricte suffisance ».
Puisse notre Église parler sans tarder publiquement haut et fort (et pas seulement par une
brochure de Pax Christi et de Justice et Paix !) pour dénoncer nos armes nucléaires
par lesquelles nous nous sommes donné les moyens de tuer des millions et des millions
d’innocents,
c’est-à-dire de tuer des millions et des millions de fois Jésus-Christ : « Ce que vous faites au
plus petit de mes frères c’est à moi que vous le faites ».
Puisse chacun de nous insister auprès de nos évêques pour qu’elle le fasse.
« Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour
nos frères » nous dit St Jean dans sa première lettre.
Donner notre vie pour nos frères … et non pas nous préparer à les tuer !
Si nous sommes complices du meurtre de millions de nos frères, « comment l’amour
de Dieu pourrait-il demeurer en nous ? »
Il importe (je vais le démontrer) que notre Église appelle haut et fort à un désarment
nucléaire unilatéral (tout en disant qu’avancer sérieusement vers un désarmement
multilatéral serait bien évidement moins négatif que de ne pas désarmer du tout).
En effet, si on est chrétien (si peu que ce soit) comment ne pas hurler notre refus de
tuer des millions d’innocents ?
Comment appeler seulement au « moindre mal » du désarmement multilatéral (qui serait
un mal terrible consistant à accepter pendant un temps indéterminé de pouvoir tuer des
millions et des millions d’innocents) alors que Jésus nous dit : « Soyez parfait comme votre
Père céleste est parfait » !
D’autant plus que chacun de ces innocents qu’on se donne la possibilité de tuer
(répétons-le) est pour nous Jésus-Christ lui-même !
Cela implique le désarmement nucléaire de la France quoi que fassent par ailleurs
les autres pays.
De plus il y a une incohérence quasiment totale à démontrer qu’il est absolument
inacceptable de tuer des millions d’innocents (avec chacun desquels Jésus s’identifie)
et de conclure que néanmoins on accepte pour une durée indéterminée (le temps que
le désarmement progressif multilatéral aboutisse, et Dieu sait que ce temps peut s’avérer
très long, voire infini…) la possibilité qu’on puisse le faire (qu’on accepte que, de notre fait,
pendant des dizaines ou des centaines d’années, puisse être tué des millions de fois
Jésus lui-même) !
Cela non seulement est inacceptable (monstrueux) moralement mais puisque c’est totalement
incohérent cela ôte une très grande partie de la force de notre parole.
Or il importe que notre parole soit forte si on veut convaincre (et il le faut) !
Je vous invite à lire ci-dessous un extrait de la position de Jean-Marie MULLER – 04/03/2014
À propos de la politique française de dissuasion, l’introduction nous donne d’emblée la conclusion de cette étude : « Ces analyses ne concluent pas à la nécessité d’un abandon unilatéral de l’arme nucléaire . » Le débat est donc terminé avant même d’avoir commencé. Nous savons donc à quoi nous en tenir : l’Église catholique a décidé de s’accommoder de la dissuasion nucléaire française. L’Église a décidé de se soumettre à César en lui laissant ce qui lui appartient : la France doit garder sa bombe. Et cela risque fort de durer longtemps : « Le nucléaire militaire, précise le texte, est sans doute une réalité durable ; sa disparition ne pourra résulter que de décennies d’efforts internationaux concertés . » Des décennies… Autant dire une éternité !!! Et pendant tout ce temps, la France devra entretenir sa bombe, quels que soient les aménagements évoqués par les auteurs. Certes, qui ne serait pas en faveur du désarmement mondial ? Il reste que cette solution idéale est purement abstraite et rien ne permet de penser qu’elle puisse s’inscrire dans la réalité dans un avenir prévisible. Pour nous citoyens français, le choix n’est pas entre le désarmement mondial et le désarmement unilatéral. Il est entre le désarmement unilatéral et le maintien de l’armement français. Qui n’exige pas l’élimination de l’armement nucléaire français participe, qu’il le veuille ou non, à son maintien. Il existe une logique implacable : qui n’est pas contre la dissuasion française est pour.